Pour l’auteur Mickaël Correia, loin du business mondialisé, le football peut être un outil d’émancipation pour de nombreux groupes sociaux dominés.
Dans son ouvrage « Une histoire populaire du football », il décrit ces espaces de résistances et d’expression dans des contextes très variés, des rebelles zapatistes aux militants anticoloniaux, en passant par les ultras d’Istanbul mobilisés contre le pouvoir turc.
Les femmes ont également leur place dans cette histoire, des pionnières britanniques aux joueuses contemporaines qui luttent encore contre le patriarcat très présent dans ce sport.
Grâce à cette lecture et la rencontre de l’équipe militante des Débuteuses, voyons une des manières dont les femmes conquièrent leur place et s’approprient le football.
Le football féminin ne cesse de prendre de l’ampleur en France, tant par l’audience qu’il mobilise, que par les vocations qu’il suscite et les financements qui lui sont alloués. Mais malgré les bonnes intentions des instances dirigeantes, le football apparaît encore comme un bastion masculin, dans lequel les femmes n’auraient qu’une place secondaire.
Pour le journaliste Mickaël Correia, le football tel qu’il se diffuse au sein des classes populaires peut être un important outil d’émancipation. Dans son ouvrage Une histoire populaire du football, paru en 2020 aux Éditions La Découverte, il explore de nombreux domaines d’expression d’un football engagé et libérateur pour les ouvriers, les jeunes des quartiers populaires, les militants anticolonialistes, les femmes, etc. Depuis ses origines « "dominants" et "dominés", se disputent le ballon rond » (p. 11), et ces luttes continuent à l’heure de l’opposition de nombreux supporters contre à la fois un certain football business, des actes racistes qui s’accumulent, et un climat sexiste et homophobe régulièrement dénoncé.
Si le football s‘est sans cesse transformé, comme un miroir de la société, il semble encore à la traîne pour l’intégration effective de la gent féminine et la remise en question de stéréotypes genrés. Face à cette donne, des associations de joueuses se réapproprient ce sport et y ouvrent des espaces militants. C’est en allant à la rencontre de l’équipe des Débuteuses, que nous explorons une partie de ce paysage alternatif.
Le football féminin : plus d’un siècle d’histoire
Selon Mickaël Correia, la première rencontre de football féminin s’est déroulée en 1881 à Édimbourg, opposant des équipes d’Angleterre et d’Écosse. D’autres établissent la naissance de cette pratique en 1894 avec celle du premier club féminin.
.
Quand vient la Première Guerre mondiale, les Munitionnettes remplacent à l’usine les hommes partis au front. Prolongeant la logique paternaliste de l’époque, les patrons d’industrie mettent en place des activités sportives afin « d’encadrer les travailleuses qui pourraient être enclines […] à s’émanciper de tout cadre patriarcal » (p. 62). De nombreuses équipes féminines sont alors créées pour jouer des matchs de charité à destination des œuvres de guerres. En 1920, les Dick, Kerr Ladies de Preston, équipe la plus fameuse d’Angleterre, organise même la première rencontre internationale contre l’équipe féminine française.
Malgré leur popularité, la Fédération anglaise se dressera contre ces footballeuses. Après-guerre, le contexte social n’est plus favorable à l’émancipation féminine : « Le football féminin apparaît progressivement comme le vecteur d’une crise des identités de genre et d’une remise en cause du rôle procréateur assigné à la femme » (p. 69). Accompagnée par des discours médicaux pointant les effets néfastes du sport sur la fertilité et la maternité, une idéologie nataliste les enjoint à se consacrer à la régénération de la nation, En France, le football féminin déclinera progressivement, avant d’être interdit sous le Régime de Vichy.
Il réapparaîtra doucement dans les années 1960, et ce n’est qu’en 1970 que la Fédération Française de Football, jusqu’ici plus encline à le brider, le reconnaîtra officiellement. Face à sa diffusion au sein de la société, c’est « plus par peur de voir la dynamique féminine leur échapper que par une réelle ambition d’animation et de soutien que les hiérarques mâles des instances fédérales intègrent les footballeuses » (p. 387).
L’histoire du football féminin oscille donc sans cesse entre phases d’émancipation féminine et de réaction patriarcale qui cherche à réaffirmer la domination en place. Loin d’être des précurseurs, médias et instances dirigeantes ont dû se plier aux évolutions sociétales, à l’envie des joueuses et au soutien du public, ce qui n’exclue pas la persistance d’un climat sexiste.
Un bastion masculin ?
Depuis leur reconnaissance par la FFF et la Fifa, les footballeuses semblent toujours faire l’objet de discriminations. Le manque de soutien économique fédéral, de visibilité et l’inégalité matérielle dans les clubs freinent considérablement le développement de ce sport. L’ancienne joueuse Annie Fortems dénonce même une véritable maltraitance du football féminin par ses institutions.
Le classique, en club ou à l’université, c’est que la section féminine a le créneau le plus compliqué. Tu joues entre 20h et 22h en soir de semaine, donc quand t’es étudiante, tu travailles, c’est des créneaux qui ne facilitent pas la pratique, il faut vraiment être passionnée pour aller jouer. Pareil pour les terrains, si tu joues en même temps qu’une équipe masculine, qu’il y a un terrain synthétique et un en terre, tu peux être certaine de te taper le terrain en terre, et ça pour toute la saison. On ne va pas échanger, on ne va pas faire une semaine sur deux. - Débuteuse
Pour l’anthropologue Anne Saouter, si le champ sportif a bien intégré les femmes, il a en même temps engendré ses propres outils de contrôle pour préserver la position masculine dominante (Saouter ; 2015). Outre les très critiqués tests de féminité qui s’appuient sur un déterminisme biologique pourtant à relativiser, Saouter comme Correia décrivent des phénomènes de valorisation et dévalorisation – voire de déclassement – selon l’adéquation des joueuses aux stéréotypes de genre, qui véhiculent une vision très normée de la féminité.
C'est bien de donner des moyens, mais il y a toujours cette injonction de devoir ressembler à des femmes, et de ne pas faire un pet de travers sous prétexte qu’on te finance. Je trouve ça insupportable, ça me met vraiment en colère. Il faut qu'elles aient les cheveux longs, qu'elles soient maquillées, sexy, etc. Y'en a pas une qui est poilue, qui est out, ou qui a les cheveux courts sur le terrain. On les lisse. Les médias c’est pas mieux, y’a pas d’infos, c’est encore compliqué de suivre des championnats féminins, et les commentaires sont nuls ! On ne ferait jamais un reportage sur le football masculin comme ça. - Débuteuse
Le style « garçon manqué » ou l’homosexualité peuvent être un obstacle dans une carrière. Les quelques articles dédiés au football féminin s’attardent davantage sur la vie de femme en dehors du terrain, s’inquiétant de sa compatibilité avec ce sport. Plus encore, ils valorisent la grâce plutôt que la puissance, commentent le physique plutôt que la performance, filment et photographient le corps des joueuses de manière érotisante.
Pour Mickaël Correia, ces discriminations expriment « toute l’anxiété de la fédération de voir la figure de la footballeuse – tout comme celle du joueur gay – venir chambouler les traditionnels rapports sociaux de sexe et de genre », (p. 395). Anne Saouter pointe un « maintien de l’ordre des genre » à travers ces différents dispositifs de contrôle, qui rassurent le public masculin face à la remise en cause de sa domination.
Aux États-Unis, l’Extreme Football League donne un exemple outrancier : des femmes jouent au football américain (sport « viril » par excellence) en lingerie, lors de spectacles sportifs où l’érotisme caricatural révèle la prégnance du regard des hommes.
Quand le militantisme entre sur le terrain : de la création d’espaces inclusifs à l’appropriation politique du football
Face à ce monde footballistique qui ne se remet pas suffisamment en question, des espaces de football alternatifs apparaissent depuis quelques années en France. Les Dégommeuses nées en 2015 à Paris ouvrent la voie à d’autres, comme les Débuteuses à Lyon.
Cette association créée en 2019 par une poignée de joueuses issues de l’équipe de l’université Lyon 2, entend se réapproprier ce sport pour lutter contre toutes les formes de discriminations. L’équipe construit un espace pratique (créneaux et terrain fixes, entrée libre) et militant en mixité choisie.
C’est la possibilité de jouer une fois par semaine, sans la pression et l’engagement que tu peux avoir en club où tu dois gagner ta place et sacrifier tes weekends. Et c’est hyper ouvert, tu peux venir quel que soit ton niveau, ton matériel, ton apparence, on s’en fout et on ne se juge pas. C’est un espace bienveillant, où y’a beaucoup de soutien, de liberté et de tranquillité. - Débuteuse
Au-delà des stéréotypes de genre, elles déconstruisent plus largement les cadres sociaux qui agissent sur le rapport au sport. L’accent est par exemple moins mis sur la compétition et la performance que le partage et le plaisir, faisant écho à des démarches comme le football3.
En organisant des rencontres avec des femmes détenues, ou les Hijabeuses qui défendent la possibilité de jouer en étant voilées, ou au profit d’associations de défense des réfugiés, les Débuteuses défendent un football résolument politique. Cet espace militant se configure au fil des arrivées de nouvelles joueuses et de leurs luttes. Il s’inscrit dans un réseau alternatif plus large, avec d’autres équipes de football militant, comme les Culbuteuses de l’association Cargo ou les Lyonnasses à Lyon, mais aussi des sports tel le roller derby.
On se rend compte que rien que de jouer au foot en étant une femme c’est politique. Et on est toutes engagées dans des luttes différentes, et chacune les ramène sur le terrain. Le foot permet de s’inscrire dans ces luttes-là, à travers un match tu peux communiquer, se rencontrer, ça permet de fédérer et de créer de nouvelles choses. Là par exemple on monte un tournoi avec d’autres collectifs et la délégation zapatiste en Europe. - Débuteuse
L’expérience commune de la résistance et de l’auto-organisation au sein de ce réseau footballistique agit comme une caisse de résonnance pour les aspirations et apprentissages militants des joueuses. Mickaël Correia décrit bien dans des contextes variés le « terrain de foot, terrain de lutte » ce potentiel lieu de résistance à l’ordre établi, qui peut faire émerger de nouvelles manières de « lutter, de se divertir, de communiquer – bref, d’exister » (p. 10).
Je vois de la création de l’asso à aujourd’hui l’évolution des filles dans leur football et leur façon d'être. C’est un espace très émancipateur parce que j'ai l'impression que tout le monde est soi-même. Et l'émancipation ça part de ça, c'est à dire quand tu te sens libre de t'exprimer et que tu sens que ta parole est écoutée. - Débuteuse
Le concept des villes où les services essentiels seraient accessibles à pied ou en vélo en 15 minutes avait rencontré un immense succès. Quel problème alors ?
Quels nouveaux dangers pourraient être provoqués par la hausse des températures, et en quoi le sport pourrait-il être un levier pour éveiller les consciences ?
Dormait-on forcément mieux avant ? À partir de l’ouvrage « La grande transformation du sommeil de R. Ekirchun », regard prospectif sur les enjeux de ce temps si utile.
Cheminer vers la sobriété : L’altruisme est-il le balancier nécessaire à cette démarche de funambule ? « Pas si simple », répond la mathématicienne Ariadna Fossas Tenas
Aurianne Stroude, sociologue spécialiste de la transformation des modes de vie en lien avec les enjeux écologiques, décrypte le changement social qui opère au-delà des évolutions individuelles.
La Revue dessinée a publié plusieurs reportages sur les conséquences écologiques et sociales de nos usages digitaux. Avec humour, l'un de ces textes nous permet de prendre la mesure du piège écologique que constitue notre addiction au numérique.
Au cœur des débats qui entourent la redirection de nos organisations, le rapport entre transition et modernité interroge les ressources intellectuelles disponibles pour penser le futur.
Dans son ouvrage « Pop & psy. Comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », le psychiatre Jean-Victor Blanc s’appuie sur les œuvres et figures de la culture populaire pour parler différemment de la santé mentale.
À partir de quand peut-on considérer qu’un cheminement intellectuel, spirituel ou scientifique, peut conduire à préparer le terreau d’une déconnexion pathologique du réel ?
La famille, considérée parfois comme valeur suprême est pourtant un important marqueur d’inégalités. Dès lors, qu’en faire ? Peut-on envisager l'abolition de la famille ?
À partir de l’ouvrage « Pas d’enfant. La volonté de ne pas engendrer » d’Anne Gotman, exploration des enjeux liés au choix de ne pas devenir parent.
En croisant les approches historique, démographique, sociologique et psychologique, éclairage sur cette tendance croissante.
La structure des ménages a un impact notable sur notre empreinte carbone. Et si la solution consistait à inventer de nouvelles façons de vivre ensemble ?
La Fraternité, troisième pilier de la devise républicaine et représentation symbolique de la relation entre « famille » et « nation ». Mais demain, est-ce encore de ce lien dont nous aurons besoin ?
Quelles sont les principales sources d’émission de polluants, et quels effets ont-ils sur la santé et l’environnement ? Éléments de réponse en images et en chiffres.
Fête et droit, deux champs irréconciliables ? Ou les deux faces d’une même pièce, assurant la régulation de l’ordre social et mobilisables de concert ?
À partir d’une étude du Centre Léon Bérard et du Centre de lutte contre le cancer de Lyon et Rhône-Alpes, quel impact de l’exposition quotidienne à un air pollué ?
À partir du roman « La Horde du Contrevent » d’Alain Damasio et de son étude par Antoine Saint-Epondyle, réflexion sur les usages de l’imaginaire de l’air.
Analyse et mise en perspective de l’ouvrage « L’art de gouverner la qualité de l’air » de Franck Boutaric, politologue spécialiste des enjeux de pollution atmosphérique.
À partir des travaux des sociologues Vera King, Benigna Gerisch et Hartmut Rosa, réflexion sur l’introduction d’une logique d’optimisation dans notre relation au repas.
De retour sur le devant de la scène culinaire mondiale, la gastronomie française conjugue soutien des pouvoirs publics et reconnaissance de la société civile.
Entre « L’eau mondialisée, La gouvernance en question » et la vision de l’association Eau Bien Commun, focus sur les mouvements sociaux liés à la gestion d’une ressource essentielle.
Refroidissement de data centers, extraction de métaux, gravure et nettoyage de semi-conducteurs : quid de la dépendance croissante à l’eau de l’industrie du numérique ?
Un croisement du travail des historiens François Jarrige et Alexis Vrignon et du témoignage de Paul-Jean Couthenx de CoopaWatt pour saisir les enjeux de « l’énergie citoyenne ».
Avec le collectif Paysages de l’Après-Pétrole, tour d’Europe des territoires dont le modèle de développement associe approche paysagère et transition écologique.
À partir de l’ouvrage « L'Économie désirable - Sortir du monde thermo-fossile » de l’ingénieur, sociologue et économiste Pierre Veltz, réflexion sur le rôle du numérique dans une réindustrialisation écoresponsable.
Quelles nouvelles représentations exige la réindustrialisation ? Analyse de l’ouvrage « Vers la renaissance industrielle » d’Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi.
À partir de l’ouvrage collectif « Les Défis de l'Olympisme, entre héritage et innovation », tour d’horizon des grandes questions auxquelles les JO du futur devront répondre.
Même dans le sport, « L’empire des chiffres » s’étend ! Analyse de l’évolution de nos activités physiques, à partir du travail du statisticien Olivier Martin.
Analyse de l’ouvrage « Sport, démocratie participative et concertation ». Et si la participation citoyenne permettait de renouveler les politiques sportives ?
Entre géants du numérique et États en quête d’une nouvelle souveraineté en ligne, quid de la pensée critique et du militantisme de celles et ceux qui rêvent d’un Internet libre ?
L’UE travaille actuellement à l’harmonisation et la régulation des usages numériques au sein de ses frontières. Avec sa directive sur le droit d’auteur, elle pose ses limites aux géants du web.
Quel rapport entre écologie et souveraineté numérique ? Découvrez les enjeux soulevés par le rapport rendu par le Haut Conseil pour le Climat en décembre 2020.
En conclusion de ce cycle de réflexion, la Direction de la Prospective et du Dialogue public vous propose ce point de vue, entre synthèse des précédents billets et ouverture de perspectives.
« Les Terrestres », la BD de Raphaëlle Macaron et Noël Mamère, nous propose un road-trip à la rencontre de ces « collapsonautes » qui ont fait « du combat pour la planète un mode de vie ».
L’expo « Zones critiques », initiée et conçue par le sociologue et philosophe Bruno Latour pour le centre d’art ZKM, mêle arts et sciences pour alerter le public sur l’imminence de notre fin et l’inciter à réagir.
À force de certitudes, les effondristes ont fini par agacer certains experts, tels que Catherine et Raphaël Larrère, qui s’en expliquent dans « Le pire n’est pas certain ». Ce qui ne veut pas dire que tout va bien…
Avec son essai « Brutalisme », le philosophe Achille Mbembe nous emmène en Afrique, ce continent qui ne peut pas s’offrir « le luxe de la collapsologie », pour nous démontrer que quoi qu’il arrive, « le futur demeure ouvert ».
À problème global, solution locale ? C’est ce que suggèrent Alexandre Boisson et André-Jacques Holbecq dans « Face à l’effondrement, si j’étais maire ? Comment citoyens et élus peuvent préparer la résilience ».
Jamais idéale, toujours critiquable, la famille reste le premier modèle de ce que l’on peut appeler « solidarité ». En cela, y réfléchir aujourd’hui pourrait bien nous être utile dès demain…