En novembre 2015, alors que les négociations de l’Accord de Paris sur le climat battaient leur plein, l’équipe anglaise de football d’Arsenal décidait de prendre l’avion pour aller jouer un match à Norwich. Soit un vol d’une durée record de… 14 minutes ! Une fois la nouvelle connue, les critiques ne manquèrent pas de pleuvoir sur le club anglais et, plus largement, sur le monde du sport professionnel, accusé de rester aveugle face aux conséquences de ces pratiques sur le climat.
Depuis 2015, les mobilisations en faveur du climat et les engagements des États pour la neutralité carbone ont mis la transition énergétique au cœur des débats. Pour autant, la situation a-t-elle réellement évolué au sein de l’industrie du sport ? C’est ce que l’ONG britannique Rapid Transition Alliance s’est attachée à vérifier dans un récent rapport.
Au lieu de pointer d’un doigt accusateur les émissions de gaz à effet de serre du secteur, comme on aurait pu s’y attendre, l’auteur du rapport, David Goldblatt, commence par rappeler à quel point le sport tel que nous le connaissons aujourd’hui est menacé par le changement climatique. Une manière de montrer à ceux qui ne se sentiraient pas concernés que, malheureusement, aucun aspect de la société n’échappe à cette menace.
Le rapport commence par rappeler à quel point l’organisation des événements sportifs hivernaux est d’ores et déjà chamboulée. L’accroissement des températures, souvent plus marqué en milieu montagnard, rend dès aujourd’hui plus difficile la tenue de certaines courses de ski et oblige le plus souvent les organisateurs à faire appel à l’enneigement artificiel. Comme les jeux olympiques de Sotchi l’ont montré, ces conditions de neige plus délicates sont à l’origine d’un accroissement du nombre d’accidents et de blessures. Mais elles créent également des inégalités marquantes entre compétiteurs, puisque les conditions de course se dégradent très rapidement. Il arrive même que les compétitions soient reportées ou annulées. Ainsi, parmi 19 sites ayant accueilli les jeux olympiques d’hiver, une étude estime que seuls 10 pourraient encore les organiser en 2050… et 6 en 2080.
En période estivale, c’est la surchauffe qui menace de plus en plus d’événements. Car au-delà de 33°C, les organismes sont soumis à rude épreuve. C’est ce dont témoignent les nombreux malaises recensés au cours de la dernière décennie lors de compétitions aussi prestigieuses que les Opens de tennis d’Australie et des États-Unis. Les canicules ont obligé les organisateurs de plusieurs événements internationaux à décaler les horaires, à adapter les règles voire, parfois, à annuler ou reporter les matchs. Afin de faire face aux canicules de plus en plus récurrentes qui touchent Tokyo, les organisateurs des prochains Jeux Olympiques ont également été forcés de déplacer le marathon à plusieurs centaines de kilomètres au nord de la capitale japonaise.
Certains sports sont enfin confrontés à la montée des eaux et aux risques d’inondation. Parmi les 92 clubs de la ligue anglaise de football, le rapport estime que presque un quart seraient menacés à moyen terme d’inondations récurrentes.
Empreinte carbone : quel score pour le sport ?
Partant de là, David Goldblatt s’interroge sur la responsabilité du sport de compétition dans la situation actuelle. La réponse à cette question s’avère étonnamment difficile à obtenir. Car les études cherchant à mesurer l’impact du sport sur le climat sont rarissimes. Pour un secteur que l’on sait obsédé par les chiffres et par la mesure de la performance, cela peut surprendre.
Pour estimer l’empreinte carbone du sport de haut niveau, l’auteur du rapport se contente donc des quelques bilans réalisés jusque-là. Plusieurs études ont par exemple évalué l’impact des grands événements sportifs, comme les jeux olympiques ou les coupes du monde de football. En prenant les estimations les plus prudentes, et en les extrapolant aux autres compétitions, puis en recoupant différentes sources concernant la fréquentation des plus importants événements sportifs du monde, David Goldblatt estime l’empreinte carbone de ces compétitions à environ 10 millions de tonnes de CO2 par an, dont la majorité est liée au déplacement des athlètes et des spectateurs.
Le rapport s’intéresse ensuite au fonctionnement de ce sport spectacle « au quotidien », c’est-à-dire lors des championnats nationaux. Sur ce point, les estimations sont encore plus délicates à produire. En recoupant différentes études menées au sein des clubs et lors des championnats nationaux, et en croisant ces informations avec des données de fréquentation des stades, David Goldblatt évalue l’empreinte carbone de la première ligue de football anglaise à environ 200 000 tonnes de CO2 émises par an. En extrapolant ce résultat aux principaux championnats des pays riches, cela pourrait représenter 20 millions de tonnes de gaz carbonique par an.
Au total, le sport professionnel mondialisé serait donc responsable d’environ 30 millions de tonnes de CO2 chaque année, soit l’équivalent des émissions d’un pays comme le Danemark. Mais ces chiffres sont bien entendu très sous-estimés, puisqu’ils ne concernent que la vitrine du secteur : à savoir le sport spectacle. L’industrie mondiale du sport aurait un impact bien plus lourd, probablement compris entre 300 et 350 millions de tonnes de CO2 par an.
Le sport, futur champion de la lutte contre le changement climatique ?
Dans sa dernière partie, le rapport s’intéresse à la manière dont le sport peut prendre sa part dans la transition écologique et énergétique. L’auteur constate d’abord que le sport part de très loin en la matière. Les Nations Unies ont lancé seulement en 2016 une initiative intitulée « Le sport au service de l’action climatique », qui invite les fédérations à s’engager autour d’objectifs communs. Or, très peu de ligues internationales ou de fédérations sportives ont jusqu’à présent répondu à l’appel. Parmi les rares signataires, les engagements sont encore timides : ceux qui ont établi un plan d’action clair avec des objectifs chiffrés se comptent sur les doigts des deux mains. Et lorsque des objectifs ambitieux sont annoncés, c’est bien souvent en faisant appel à la compensation carbone, une pratique par ailleurs très critiquée par les ONG et certains spécialistes du climat. Dans le milieu du football, par exemple, l’UEFA a affiché sa volonté d’organiser une coupe d’Europe neutre en carbone. Pour y parvenir, la fédération européenne de football propose de compenser 400 000 tonnes de CO2 en finançant des fourneaux plus efficaces à destination des populations africaines.
David Goldblatt se demande si cette frilosité ne s’explique pas, au moins pour partie, par la volonté des fédérations de ne pas froisser les annonceurs. Fabricants automobiles, compagnies aériennes, producteurs d’énergies fossiles : le sponsoring sportif est en effet largement investi par des entreprises liées aux énergies fossiles, qui cherchent bien souvent à améliorer leur image à travers le sport. Cette stratégie commence toutefois à être dénoncée, comme en témoigne la récente prise de position de la maire de Paris, qui a refusé que les jeux olympiques de 2024 soient sponsorisés par une entreprise pétrolière. Une décision qui semblait inévitable, tant les organisateurs des JO de Paris se sont attachés à défendre le bilan écologique de cet événement.
Les choses seraient-elles en train de changer ? C’est en tout cas ce que l’on devine en découvrant les bonnes pratiques listées en fin de rapport. La fédération mondiale d’athlétisme (World Athletics) s’est ainsi engagée à atteindre la neutralité carbone pour ses activités à l’horizon 2030. Elle exige par ailleurs que les hôtes de ses événements, ainsi que leurs sponsors, s’engagent sur la même voie.
L’UEFA a de son côté le mérite de s’intéresser aux émissions générées par les spectateurs. Et même si son modèle fondé sur la compensation carbone a des limites, le rapport espère qu’il deviendra le standard minimum pour toutes les fédérations à l’avenir.
En Allemagne, de nombreux clubs de football se sont engagés dans la transition écologique de manière concrète. Par exemple, le club Werder Bremen a couvert son toit de panneaux photovoltaïques et a mis en place des transports en commun pour accéder au stade, tout en limitant les places de parking à sa périphérie les jours de match. En Angleterre, le club de Nailsworth est le premier à avoir été certifié neutre en carbone grâce à une stratégie de réduction des émissions touchant tous les secteurs d’activité du Club, allant de la fourniture d’énergie aux transports, en passant par l’alimentation des salariés. Le club s’apprête d’ailleurs à construire le premier stade en bois de Grande-Bretagne.
Un match serré… mais une victoire encore possible !
En conclusion, le rapport de la Rapid Transition Alliance avance quelques propositions. En premier lieu, il invite les fédérations sportives à signer l’initiative de l’ONU en faveur du climat et, bien entendu, à traduire cet engagement de manière opérationnelle en fixant des objectifs ambitieux et en établissant un plan d’action adapté. Cela suppose au passage que le bilan carbone de chaque activité sportive soit précisément connu et suivi dans le temps.
Pour mettre l’image positive du sport au service de la transition énergétique, l’ONG propose également que les partenariats noués avec les entreprises impliquent, de la part de ces dernières, un engagement clair en matière climatique. Enfin, l’ONG appelle à une réorganisation du monde sportif, afin que les compétitions soient moins dépendantes du transport international. Une piste consisterait à valoriser davantage la pratique sportive locale, au détriment du sport spectacle mondialisé.
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