Alors qu’un rapport de la Cour des comptes constatait en mars dernier que l’« évaluation précise des coûts actuels et futurs de l’adaptation est encore trop souvent lacunaire, voire inexistante », l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) s’est attaché à apporter de premiers éléments de réponse à travers deux rapports récents.
L’objectif de ces travaux est d’une part d’identifier des leviers d’action mobilisables dès à présent, afin de prévenir et minimiser les dommages provoqués par les aléas climatiques, et d’autre part d’estimer le coût de leur déploiement.
Se donner d’abord les moyens de piloter les politiques d’adaptation
Un premier rapport publié en 2022 passe en revue 11 « chantiers » de l’adaptation et identifie pour chacun d’entre eux les mesures à mettre en place immédiatement « sans regret » et les besoins de financements publics associés, qui s’élèvent au total à environ 2,3 milliards d’euros par an (voir visuel ci-dessous).
Si les villes, les bâtiments et l’eau sont les domaines qui concentrent la plus large partie des besoins de financement, les auteurs mettent en avant l’importance du premier levier — pilotage et animation des politiques d’adaptation à toutes les échelles territoriales — qui constitue un prérequis indispensable à la réussite de tous les autres.
Or, en dépit de son coût limité (une centaine de millions d’euros par an), ce prérequis indispensable fait encore largement défaut. Alors que l’exposition et la vulnérabilité aux aléas climatiques sont spécifiques à chaque territoire, ils restent aux collectivités, et en particulier aux métropoles, de se donner les moyens humains nécessaires en matière d’expertise et de gouvernance.
Agir coûte moins cher que subir
Le principal intérêt de cette étude est de proposer une synthèse de celles disponibles à date sur les leviers d’adaptation mobilisables dans les principaux domaines vulnérables au changement climatique. Ce faisant, elle démontre que le coût de l’inaction en matière d’atténuation, ou celui des réponses réactives ou réparatrices face aux aléas climatiques, sont sans commune mesure supérieurs au coût d’une adaptation proactive. En d’autres termes, si l’atténuation est indispensable pour éviter un changement climatique ingérable, l’adaptation l’est tout autant pour anticiper les impacts climatiques inévitables.
Une amplification des coûts d’adaptation qui suit celle du réchauffement climatique
La seconde étude d’I4CE publiée au printemps 2024 s’inscrit dans le contexte du nouveau Plan national d’Adaptation au Changement climatique et vise à donner de premiers éclairages sur les coûts de l’adaptation dans un scénario de réchauffement « pessimiste » à +4 °C à l’horizon 2100 en France.
Se focalisant cette fois-ci sur trois domaines — bâtiment, infrastructures de transport terrestre, productions agricoles végétales — elle aboutit à un chiffrage plus conséquent :
- Entre 1 et 2,5 milliards d’euros par an pour la construction neuve et jusqu’à plusieurs milliards d’euros par an pour le parc existant, afin d’adapter les bâtiments aux vagues de chaleur ;
- Quelques centaines de millions à quelques milliards d’euros par an d’investissements additionnels pour l’adaptation des réseaux routiers et ferrés ;
- De l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an pour déployer à grande échelle des mesures techniques permettant de maintenir les rendements des principales cultures végétales françaises.
Bien que substantielles, ces estimations demeurent cependant incomplètes. Le coût des actions identifiées est souvent partiel et bien d’autres actions complémentaires sont à prévoir.
S’adapter c’est accepter d’agir dans un univers complexe, incertain et potentiellement conflictuel
Enfin, ces études montrent qu’établir un chiffrage plus complet du coût de l’adaptation implique un certain volontarisme politique pour affronter la complexité du sujet et le mettre en discussion de manière démocratique :
- Il reste à conduire de nombreuses analyses pour quantifier l’ampleur des vulnérabilités pour chaque niveau de réchauffement ;
- Il n’existe pas de liste générique de solutions simples et définitives, déjà éprouvées et prêtes à être déployées. L’adaptation nécessite une combinaison d’actions de différentes natures, répondant à l’exposition et à la vulnérabilité spécifiques de chaque territoire. De plus, il est souvent impossible de qualifier précisément jusqu’à quel niveau de réchauffement les différentes options d’adaptation restent efficaces ;
- Outre les actions spécifiquement dédiées à l’adaptation (systèmes d’alerte, végétalisation, prévention des incendies, etc.), tout l’enjeu est d’intégrer les climats futurs et leurs conséquences dans l’ensemble des décisions publiques et privées en fonction de leur horizon de temps, tout particulièrement celles concernant les projets d’investissement (bâtiments, infrastructures, etc.) à longue durée de vie ;
- Loin d’être un sujet seulement technique, l’adaptation présente une dimension éminemment politique, car elle demande de nombreux arbitrages : que souhaite-t-on à tout prix conserver et à quoi est-on prêt à renoncer ? Quel niveau de service souhaite-t-on garantir pour un certain niveau de réchauffement ? Quel partage de l’effort entre acteurs ?
La question du coût de l’adaptation dépasse donc largement les seuls enjeux financiers, aussi stratégiques soient-ils. À une échelle d’investissement qui requerra des arbitrages hautement politiques, le principal levier à actionner restera sans doute l’adhésion des citoyennes et des citoyens à cette transformation historique.