Alors que la pandémie de Covid-19 a révélé les failles de la base productive française, démunie face au manque de masques, de respirateurs ou encore de certains médicaments de base, la question d’une réindustrialisation du pays se pose plus que jamais.
Mais pour réussir son retour au premier plan, l’industrie devra se réinventer, afin de devenir l’un des champs d’action face aux crises économique, sociale et environnementale dont elle a jusqu’à présent été considérée comme l’une des sources.
Comme en témoignent les différentes définitions proposées par l’Académie française, le terme d’« industrie » s’est d’abord contenté d’évoquer l’adresse, l’habileté à exécuter un ouvrage, la puissance de travail et de création, jusqu’à désigner « aujourd’hui l’ensemble des activités ayant pour objet l’exploitation des richesses minières et des sources d’énergie, la transformation des matières premières en produits fabriqués ainsi que chacune des branches de ce secteur économique ». Qu’en sera-t-il demain, alors que son retour est appelé en France, après des décennies d’un renoncement, qui a laissé des traces tant au niveau de l’environnement que de l’emploi et de l’autonomie stratégique du pays ?
De fait, dès la fin des Trente Glorieuses et le premier choc pétrolier, l’industrie n’avait déjà plus bonne presse. Alors que les frontières semblaient doucement s’effacer pour mieux laisser circuler les capitaux, mieux valait-il la délocaliser, et exporter la production là où la main d’œuvre permettait un meilleur retour sur investissement.
Un demi-siècle plus tard, le constat semble amer. La conception suit la production, la production suit les tendances des marchés. Non renouvellement du socle d’emplois peu qualifiés qu’offraient les carrières ouvrières, dépendances stratégiques, particulièrement dans le domaine numérique, incapacité à s’adapter aux besoins inattendus suscités par une crise telle que la pandémie de Covid-19, et faible marge de manœuvre dans la réduction du coût environnemental de nos modes de vie consuméristes. Il est donc temps de réinventer l’industrie, de « ré-industrialiser », à partir de nouveaux objectifs, de nouveaux moyens, et de nouveaux systèmes de représentations symboliques.
L’heure des choix
Comment penser de nouveaux modèles productifs en phase avec les impératifs écologiques et sociaux ? Comment piloter une politique cohérente à partir de lieux de décisions plus disséminés que jamais ? Si ces questions sont complexes, elles ne sont pas des impasses, mais au contraire des carrefours où la diversité des solutions pose la question du leadership à même de mener une telle refonte économique et sociétale.
Nationale ou européenne, l’inconnue de cette équation semble être in fine une notion de souveraineté qui reste à redéfinir à l’aune des problématiques contemporaines, qui exigent tout autant de savoir tendre la main que de serrer le poing, de savoir coopérer ou d’assumer le jeu des rapports de force. Le besoin de réduire nos dépendances, dans un contexte géopolitique instable et sensible, nous amène à redonner à la puissance publique sa pleine légitimité, au contraire du gradualisme généré par le « laisser-faire » et la confiance accordée au marché. La question de la diversification de nos approvisionnements, liée à celle de notre autonomie productive, donne aux décideurs une feuille de route pragmatique quant aux contours d’une régulation des échanges commerciaux. L’urgence climatique et les engagements pris auprès de la communauté internationale en matière de décarbonation fixent des repères minimum pour mesurer les seuils auxquels devront s’astreindre les nouveaux process de fabrication. Enfin, la décentralisation du pouvoir ouvre la porte à une gestion particulière des « communs négatifs » (déchets nucléaires, sols pollués, etc.) dans une logique de subsidiarité qui permettrait d’adapter les efforts de chaque territoire à ses ressources naturelles et humaines.
Pour autant, la réindustrialisation jusqu’ici évoquée ne semble avoir pour seul visage qu’un miroir, où chacun voit ce qu’il veut bien voir. Pour le traverser, il faut comme Alice ou Orphée, oser partir explorer de nouveaux imaginaires. La perpétuation du modèle classique, dont les origines remontent au 19è siècle, semble irréaliste, alors que les limites planétaires nous obligent à moins produire, moins gaspiller et moins polluer. À quoi sommes-nous donc prêts à renoncer ? Quels sont nos besoins essentiels ? Et dans quel cadre devrons-nous en discuter ?
Le passionnant défi des cercles vertueux
La création de circuits courts et locaux, indispensables pour parvenir à nous rapprocher de la neutralité carbone, suppose de pouvoir s’appuyer sur un écosystème de petites unités fortes de la pluralité de leurs compétences, allant de la conception jusqu’à la réparation. Automatisation, ciblage de la demande, réactivité de l’offre, réduction des coûts : les technologies numériques (robotique et intelligence artificielle, maintenance prédictive, impressions 3D, etc.) laissent espérer un atterrissage moins brutal que ne peuvent l’annoncer les discours les plus pessimistes, notamment grâce la généralisation d’une économie circulaire orientant globalement les chaînes de production, au lieu de n’être que l’autre nom du recyclage.
Fait social total, une réindustrialisation désirable irait ainsi plus loin qu’une simple relocalisation. Elle devrait s’inscrire dans un projet de société. Pour laisser derrière elle la représentation négative d’une activité pénible et polluante, l’industrie devra investir le champ de la médiation, afin de permettre à chacun de se familiariser avec la production industrielle concrète d’aujourd’hui, depuis la compréhension de ses nouvelles chaînes de valeur jusqu’à l’attractivité retrouvée des carrières qu’elle offre.
Une forme de renaissance industrielle dépendrait donc de la vision commune, tout du moins majoritaire, qui pourrait l’impulser. Dans ce domaine, le débat public pourrait ainsi avoir besoin à l’avenir de se nourrir d’un partage équitable des connaissances, à travers une médiation industrielle à l’image du programme « L’industrie reconnectée au territoire et aux habitants », soutenue par la Métropole de Lyon. Circularité de l’économie, boucles de dialogues citoyens : dans ce monde en mouvement permanent, il s’agira d’actionner les rouages de cercles vertueux s’entraînant les uns et les autres.
Vers une nouvelle révolution industrielle, du global au territorial ?
Sans forcément disparaître, les gigantesques fonderies d’antan ne peuvent s’imposer comme un modèle dominant dans une industrie réinventée. Le rôle des ouvriers sera également à repenser, dans des sites de production réunissant des travailleurs moins nombreux, dont les tâches pourraient exiger une plus grande maîtrise technique, pour une moindre pénibilité. Même dans le cadre d’une numérisation des process, les savoir-faire devront être revalorisés en tant que tels, et l’image, autant que les conditions de vie de leurs détenteurs, améliorées, faute de quoi le secteur ne pourrait compter sur une main d’œuvre qualifiée et pérenne.
Le degré d’acceptabilité de nouvelles conditions d’emploi aura ainsi pour enjeu de retisser des liens d’attachement entre les salariés, l’activité productive et un territoire, comme cela put être le cas avec l’identification des habitants de certaines régions à leur patrimoine industriel. Cette évolution constituerait en soi une rupture importante, à rebours d’un capitalisme spéculatif à l’échelle mondiale qui a privilégié durant les 30 dernières années la recherche de performance de gains de productivité, préférant le financier à l’ouvrier. À cet égard, l’inscription de plus en plus habituelle des Scop dans l’appareil productif français décloisonne l’idée que l’on se fait de l’entreprise, du fait de de la place centrale qu’y occupent celles et ceux qui y travaillent.
Détenteurs des savoir-faire opérationnels, les salariés peuvent-ils collectivement devenir les manageurs de demain, pérennisant ainsi leur outil de travail, sans pour autant freiner ses ambitions, comme le démontre l’agilité de l’imprimerie Hélio Corbeil ? Ramenés à des activités essentielles, ces sociétés pourraient aussi approfondir leurs relations avec les collectivités territoriales, comme le permet déjà le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), qui autorise celles-ci à participer au capital jusqu’à un maximum de 50%. Grâce à ce type d’investissements citoyens, ces entreprises ancrées dans les territoires, y compris périurbains et ruraux, pourraient alors contribuer à rééquilibrer la répartition de la richesse, et fournir autant de cohésion et de sens que de biens ou de services.
Réconcilier la société et son industrie
Imaginée à l’échelle des bassins d’emploi, la réconciliation entre l’industrie et la société civile peut ainsi être envisagée comme la clef de voute d’une transformation profonde de nos modes de vie. Des initiatives telles que la création de la Fondation Ilyse, dans le cadre du projet « L’industrie intégrée et (re)connectée à son territoire et ses habitants » porté par la Métropole de Lyon, lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt TIGA (Territoire d’Innovation de Grande Ambition), intègre cette thématique dans une approche destinée à améliorer la qualité de vie des habitants et la durabilité des territoires.
À croire que tout n’est finalement qu’affaire de définitions… En associant leurs forces vives – habitants, entreprises, collectifs de recherche académique, etc. – les territoires pourront dessiner les contours d’une transition écologique et sociale où l’économie résonnera de son sens premier, « l’organisation de la maison commune ». En privilégiant la question environnementale par rapport à celle de la rentabilité du capital, l’industrie de demain, envisagée comme un outil de progrès, se devra ainsi de revenir à sa source : l’adresse, l’habileté, la puissance de travail et de création, pour que la première rime venant après « production » ne soit plus « exploitation ».
Le concept des villes où les services essentiels seraient accessibles à pied ou en vélo en 15 minutes avait rencontré un immense succès. Quel problème alors ?
Quels nouveaux dangers pourraient être provoqués par la hausse des températures, et en quoi le sport pourrait-il être un levier pour éveiller les consciences ?
Dormait-on forcément mieux avant ? À partir de l’ouvrage « La grande transformation du sommeil de R. Ekirchun », regard prospectif sur les enjeux de ce temps si utile.
Cheminer vers la sobriété : L’altruisme est-il le balancier nécessaire à cette démarche de funambule ? « Pas si simple », répond la mathématicienne Ariadna Fossas Tenas
Aurianne Stroude, sociologue spécialiste de la transformation des modes de vie en lien avec les enjeux écologiques, décrypte le changement social qui opère au-delà des évolutions individuelles.
La Revue dessinée a publié plusieurs reportages sur les conséquences écologiques et sociales de nos usages digitaux. Avec humour, l'un de ces textes nous permet de prendre la mesure du piège écologique que constitue notre addiction au numérique.
Au cœur des débats qui entourent la redirection de nos organisations, le rapport entre transition et modernité interroge les ressources intellectuelles disponibles pour penser le futur.
Dans son ouvrage « Pop & psy. Comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », le psychiatre Jean-Victor Blanc s’appuie sur les œuvres et figures de la culture populaire pour parler différemment de la santé mentale.
À partir de quand peut-on considérer qu’un cheminement intellectuel, spirituel ou scientifique, peut conduire à préparer le terreau d’une déconnexion pathologique du réel ?
La famille, considérée parfois comme valeur suprême est pourtant un important marqueur d’inégalités. Dès lors, qu’en faire ? Peut-on envisager l'abolition de la famille ?
À partir de l’ouvrage « Pas d’enfant. La volonté de ne pas engendrer » d’Anne Gotman, exploration des enjeux liés au choix de ne pas devenir parent.
En croisant les approches historique, démographique, sociologique et psychologique, éclairage sur cette tendance croissante.
La structure des ménages a un impact notable sur notre empreinte carbone. Et si la solution consistait à inventer de nouvelles façons de vivre ensemble ?
La Fraternité, troisième pilier de la devise républicaine et représentation symbolique de la relation entre « famille » et « nation ». Mais demain, est-ce encore de ce lien dont nous aurons besoin ?
Quelles sont les principales sources d’émission de polluants, et quels effets ont-ils sur la santé et l’environnement ? Éléments de réponse en images et en chiffres.
Fête et droit, deux champs irréconciliables ? Ou les deux faces d’une même pièce, assurant la régulation de l’ordre social et mobilisables de concert ?
À partir d’une étude du Centre Léon Bérard et du Centre de lutte contre le cancer de Lyon et Rhône-Alpes, quel impact de l’exposition quotidienne à un air pollué ?
À partir du roman « La Horde du Contrevent » d’Alain Damasio et de son étude par Antoine Saint-Epondyle, réflexion sur les usages de l’imaginaire de l’air.
Analyse et mise en perspective de l’ouvrage « L’art de gouverner la qualité de l’air » de Franck Boutaric, politologue spécialiste des enjeux de pollution atmosphérique.
À partir des travaux des sociologues Vera King, Benigna Gerisch et Hartmut Rosa, réflexion sur l’introduction d’une logique d’optimisation dans notre relation au repas.
De retour sur le devant de la scène culinaire mondiale, la gastronomie française conjugue soutien des pouvoirs publics et reconnaissance de la société civile.
Entre « L’eau mondialisée, La gouvernance en question » et la vision de l’association Eau Bien Commun, focus sur les mouvements sociaux liés à la gestion d’une ressource essentielle.
Refroidissement de data centers, extraction de métaux, gravure et nettoyage de semi-conducteurs : quid de la dépendance croissante à l’eau de l’industrie du numérique ?
Un croisement du travail des historiens François Jarrige et Alexis Vrignon et du témoignage de Paul-Jean Couthenx de CoopaWatt pour saisir les enjeux de « l’énergie citoyenne ».
Avec le collectif Paysages de l’Après-Pétrole, tour d’Europe des territoires dont le modèle de développement associe approche paysagère et transition écologique.
À partir de l’ouvrage « L'Économie désirable - Sortir du monde thermo-fossile » de l’ingénieur, sociologue et économiste Pierre Veltz, réflexion sur le rôle du numérique dans une réindustrialisation écoresponsable.
Quelles nouvelles représentations exige la réindustrialisation ? Analyse de l’ouvrage « Vers la renaissance industrielle » d’Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi.
À partir de l’ouvrage collectif « Les Défis de l'Olympisme, entre héritage et innovation », tour d’horizon des grandes questions auxquelles les JO du futur devront répondre.
Même dans le sport, « L’empire des chiffres » s’étend ! Analyse de l’évolution de nos activités physiques, à partir du travail du statisticien Olivier Martin.
Analyse de l’ouvrage « Sport, démocratie participative et concertation ». Et si la participation citoyenne permettait de renouveler les politiques sportives ?
Entre géants du numérique et États en quête d’une nouvelle souveraineté en ligne, quid de la pensée critique et du militantisme de celles et ceux qui rêvent d’un Internet libre ?
L’UE travaille actuellement à l’harmonisation et la régulation des usages numériques au sein de ses frontières. Avec sa directive sur le droit d’auteur, elle pose ses limites aux géants du web.
Quel rapport entre écologie et souveraineté numérique ? Découvrez les enjeux soulevés par le rapport rendu par le Haut Conseil pour le Climat en décembre 2020.
En conclusion de ce cycle de réflexion, la Direction de la Prospective et du Dialogue public vous propose ce point de vue, entre synthèse des précédents billets et ouverture de perspectives.
« Les Terrestres », la BD de Raphaëlle Macaron et Noël Mamère, nous propose un road-trip à la rencontre de ces « collapsonautes » qui ont fait « du combat pour la planète un mode de vie ».
L’expo « Zones critiques », initiée et conçue par le sociologue et philosophe Bruno Latour pour le centre d’art ZKM, mêle arts et sciences pour alerter le public sur l’imminence de notre fin et l’inciter à réagir.
À force de certitudes, les effondristes ont fini par agacer certains experts, tels que Catherine et Raphaël Larrère, qui s’en expliquent dans « Le pire n’est pas certain ». Ce qui ne veut pas dire que tout va bien…
Avec son essai « Brutalisme », le philosophe Achille Mbembe nous emmène en Afrique, ce continent qui ne peut pas s’offrir « le luxe de la collapsologie », pour nous démontrer que quoi qu’il arrive, « le futur demeure ouvert ».
À problème global, solution locale ? C’est ce que suggèrent Alexandre Boisson et André-Jacques Holbecq dans « Face à l’effondrement, si j’étais maire ? Comment citoyens et élus peuvent préparer la résilience ».
Jamais idéale, toujours critiquable, la famille reste le premier modèle de ce que l’on peut appeler « solidarité ». En cela, y réfléchir aujourd’hui pourrait bien nous être utile dès demain…