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Bertrand Foucher, directeur général d’ONLYLYON & CO : « Notre stratégie vise à renforcer la robustesse du territoire, dans un contexte d’incertitudes et de crises »

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directeur général d’ONLYLYON & CO

Interview de Bertrand Foucher

Pierre angulaire des stratégies d’attractivité, le marketing territorial est porté au sein de la métropole lyonnaise depuis 2007 par le programme partenarial ONLYLYON, piloté par l’agence ONLYLYON & CO.

Tourisme, études, travail, congrès, implantation ou développement d’activité : tous ces champs d’activité appartiennent au périmètre d’une équipe visant le rayonnement de l’agglomération, dans un contexte international hautement concurrentiel.

S’appuyant sur 27 000 ambassadeurs et plus de 20 partenaires publics et privés, l’agence est bien consciente qu’à l’aune de la transition écologique, mais aussi du contexte géopolitique, la donne a changé.

Désormais, pour ONLYLYON & CO, il s’agit de mettre en œuvre une stratégie de robustesse, moins tournée vers des indicateurs de performance que vers un impact renforcé pour l’ensemble des composantes du territoire.

Chef d’orchestre de cette nouvelle partition, Bertrand Foucher nous explique dans cet entretien les nouvelles modalités de son action, ainsi que la stratégie qu’elles servent.

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Date : 21/07/2025

Lorsque vous arrivez à la tête d’ONLYLYON & CO en 2022, le contexte territorial et international est déjà marqué par de fortes incertitudes. Crises géopolitiques, tensions sur les ressources, accélération des transitions… Dans ce paysage mouvant, comment avez-vous engagé la redéfinition du projet de l’agence ?

Plutôt que de lisser ces contradictions, nous avons choisi d’en faire des éléments fondateurs de notre stratégie

Lorsque j’ai pris mes fonctions, on m’a demandé d’actualiser le projet stratégique de l’Agence pour le développement économique de la région lyonnaise, l’Aderly. Cette agence portait depuis presque 50 ans l’attractivité économique du territoire lyonnais et nous avons mené une démarche collective pour élaborer une stratégie à la hauteur des enjeux contemporains : décarbonation bien sûr, mais aussi raréfaction des ressources, tensions sur l’eau, sur le foncier, sur les matériaux rares.

La question des talents était également centrale, avec une pression croissante et des effets de concurrence entre territoires. Et puis, il y avait le contexte géopolitique : des crises quasi annuelles qui ont des impacts économiques directs, sur la stabilité des chaînes de valeur comme sur les questions de souveraineté.

Ce faisant, beaucoup s’imaginent que nous avons dû arbitrer entre deux lignes idéologiques, entre transition écologique et développement économique, prétendument incarnées par nos deux tutelles — la Métropole de Lyon et la CCI de Lyon Saint-Étienne Roanne. En réalité, ce n’est pas sous cet angle que les tensions se sont formulées.

Ce qui est apparu, ce sont plutôt des incompréhensions culturelles entre les générations, des équilibres territoriaux à trouver entre le centre de la métropole et les territoires voisins, des arbitrages difficiles entre différents usages du foncier, ou des dilemmes entre souveraineté et ouverture aux marchés mondiaux. Et plutôt que de lisser ces contradictions, nous avons choisi de les nommer et d’en faire des éléments fondateurs de notre stratégie, de manière lucide et créative.

Face à ces tensions multiples, vous avez évoqué la nécessité de clarifier le cap et d’assumer les contradictions et les limites du modèle économique actuel. Comment cela a-t-il influé sur le positionnement et les missions de l’agence ?

Il s’agit de permettre au territoire, à ses habitants et à ses entreprises de rester stables et même bien vivants dans un monde fortement perturbé

D’abord, nous avons réaffirmé notre périmètre d’intervention historique : ONLYLYON & CO pilote deux programmes : celui de l’attractivité économique (ONLYLYON Invest) et du marketing territorial (ONLYLYON). Nous sommes là pour parler de Lyon à l’extérieur, en France et à l’international. Notre rôle, c’est de faire rayonner le territoire, et puis d’attirer des entreprises, des investisseurs, des talents qui peuvent nous renforcer.

Cela nous a amenés à reformuler notre raison d’être, en tenant compte de la complexité du contexte et des nouveaux enjeux de l’époque. Nous avons d’ailleurs modifié nos statuts dans ce sens. Une agence d’attractivité ne peut plus se contenter d’annoncer de bonnes nouvelles et de promouvoir une vision idyllique de l’avenir.

C’est en pointant les menaces que l’on peut mettre en avant les atouts du territoire lyonnais qui nous permettront d’y faire face : une culture entrepreneuriale, des dynamiques de coopération, des secteurs industriels solides, une capacité d’innovation. Et surtout, cela nous a permis de clarifier notre finalité : non pas la performance maximale, mais la robustesse, au sens donné par Olivier Hamant.

Il s’agit de permettre au territoire, à ses habitants et à ses entreprises de rester stables et même bien vivants dans un monde fortement perturbé. Et pour atteindre cette robustesse, le principal levier identifié que nous avons choisi de mettre en avant, c’est la coopération.

Comment cette réorientation s’est-elle traduite dans l’organisation concrète de votre action, notamment à travers le projet Octopod ?

Nous avons mis au point un « impact score », sur le modèle du Nutri-Score

Une fois le diagnostic posé et nos finalités clarifiées, nous avons engagé huit chantiers de transformation opérationnelle : c’est ce projet Octopod qui constitue notre nouvelle feuille de route stratégique. Je vais ici me concentrer sur le premier chantier, qui nous a sans doute le plus transformés dans nos pratiques quotidiennes : « Attirer ce qui nous renforce ». Il s’agit de repenser notre action en fonction de ce que le territoire a vraiment besoin d’accueillir. Ce chantier se structure autour de trois axes.

Le premier axe, c’est le soutien aux secteurs d’excellence de la région. Pas pour dire qu’on est les meilleurs, mais pour consolider des atouts qui forment l’ossature de notre économie, notamment dans la santé ou l’énergie. Ces secteurs ont aussi un rôle d’entraînement : ils produisent de l’innovation, contribuent à la transition, diffusent des savoir-faire. Notre objectif n’est pas de donner des leçons au reste du monde, mais de prendre notre part dans une dynamique de transformation plus large. On parle ici de la santé, de l’énergie, de la chimie, des matériaux par exemple.

Le deuxième axe, c’est d’identifier les « trous dans la raquette », les manques dans les chaînes de valeur locales. Grâce à une analyse fine par filière, nous essayons de repérer ce qui manque pour répondre aux enjeux de souveraineté, de décarbonation, ou de limitation des ressources. Cela nous conduit à mener une prospection ciblée.

Par exemple, dans le domaine des pompes à chaleur, plusieurs marques ont des sites d’assemblage à Lyon, mais les composants stratégiques viennent souvent d’ailleurs. Il ne s’agit pas de tout relocaliser, mais de rapprocher certains maillons critiques, comme un sous-traitant électronique.

Autre exemple : la maintenance des bus électriques pour notre réseau de transport public. Si les fournisseurs sont à l’étranger, en Suisse par exemple, cela pose des problèmes d’empreinte carbone et de réactivité. En attirant une entreprise comme SAG, qui gère désormais la maintenance sur place, on renforce concrètement notre tissu économique.

Enfin, le troisième axe concerne l’attractivité à impact. Nous avons mis au point un « impact score », avec des notes A, B, C, D, E sur le modèle du Nutri-Score, qui évalue les projets selon plusieurs dimensions : environnementale, sociale, productive, territoriale et coopérative. Ce score n’est pas un couperet, il nous aide à hiérarchiser nos efforts.

Un projet très impactant, même s’il ne crée pas des centaines d’emplois, peut être prioritaire. À l’inverse, un projet très gourmand en foncier, ou déconnecté des ressources locales, peut être accompagné de manière plus sélective, voire reconfiguré. L’objectif est que deux tiers de nos projets atteignent une note supérieure à C. Ce n’est pas simple, mais c’est un objectif assumé.

 

Ce que vous décrivez ressemble à un changement de posture profond : vous n’êtes plus seulement là pour faciliter les implantations, mais pour orienter les projets dans un sens utile au territoire. Est-ce que cela redéfinit le rôle de l’agence ?

Il s’agit de créer les conditions d’un dialogue constructif

C’est vrai qu’on est en train de franchir un cap. Historiquement, une agence comme la nôtre était là pour accueillir, faciliter les implantations et valoriser le territoire. Aujourd’hui, on essaie aussi de poser des priorités, ou plutôt des cadres de discussion, pour que les projets qui arrivent puissent s’ajuster aux contraintes du territoire, et parfois même évoluer dans leur modèle. Je ne dirais pas qu’on fait de la sélection au sens strict, mais on est plus clairs sur ce que l’on cherche, et plus exigeants sur ce que l’on accompagne activement.

Cette position nous place dans un rôle d’accompagnement particulier, en amont des décisions d’implantation, lorsque les projets économiques conservent encore leur plasticité. À cette étape, nous pouvons les aider à pivoter, à faire évoluer leurs cahiers des charges et élargir l’éventail des possibilités, en proposant des alternatives qui intègrent les spécificités territoriales.

L’expérience montre que les entreprises sont généralement réceptives à ces propositions lorsqu’elles sont formulées avec pragmatisme et prennent en compte leurs contraintes opérationnelles.

Cette responsabilité émergente nécessite une approche mesurée, qui vise à faire converger les intérêts économiques et territoriaux plutôt qu’à les opposer. Il s’agit de créer les conditions d’un dialogue constructif, qui permette aux projets d’évoluer vers des solutions mutuellement bénéfiques. Cette recherche d’équilibre entre impératifs économiques et enjeux territoriaux constitue le cœur de notre intervention, dans une démarche qui privilégie l’adaptation et l’innovation collaborative.

Vous avez évoqué cette capacité à faire « pivoter » certains projets entrants pour qu’ils s’ancrent mieux dans les réalités locales. Que recouvre cette notion dans vos pratiques, et jusqu’où peut aller cette transformation ?

Les implantations que l’on accompagne représentent 8 à 10 % de l’économie locale

Dans nos métiers, on distingue deux grandes fonctions. La première, c’est la prospection : aller chercher des entreprises pour qu’elles choisissent de s’implanter ici. La seconde, c’est l’accompagnement à l’implantation. C’est là que se joue une grande partie de notre valeur ajoutée.

Souvent, les projets que nous accompagnons sont conçus à l’échelle mondiale : une entreprise cherche un site, des débouchés, des ressources humaines ou foncières, parfois des financements. Mais ses objectifs ne sont pas nécessairement alignés avec les enjeux locaux. Notre rôle, c’est de faire en sorte que le projet s’adapte mieux au territoire — ce qui est aussi un avantage pour l’investisseur lui-même —, qu’il s’y ancre davantage et qu’il limite d’éventuels impacts négatifs.

Prenons le cas du foncier. Une entreprise arrive souvent avec un cahier des charges très précis : elle veut un terrain de tant de milliers de mètres carrés, parfois dans une localisation bien déterminée. Mais sur le territoire lyonnais, l’offre foncière est rare, morcelée, souvent contrainte par des enjeux écologiques ou sociaux. C’est un point de tension réel entre attractivité économique et sobriété foncière, et il faut savoir l’assumer.

Notre travail consiste alors à ouvrir d’autres possibilités : explorer des sites alternatifs, proposer des formes de réemploi de bâtiments industriels, ou des stratégies immobilières différentes, comme des baux évolutifs ou partagés. Parfois, on travaille aussi avec les entreprises pour revoir leur cahier des charges en fonction du foncier réellement disponible, plutôt que théorique.

Même logique sur l’emploi : on essaie de passer d’une logique de volume à une approche plus qualitative, en favorisant des recrutements plus inclusifs, qui s’appuient sur les ressources humaines réellement présentes sur le territoire. Dans ce genre de cas, on peut même mettre l’entreprise en relation avec la Maison métropolitaine d’Insertion pour l’Emploi (MMIE), afin de les aider à trouver des profils éloignés de l’emploi, mais correspondant réellement à leurs besoins.

Un exemple marquant, c’est celui d’une licorne française dans le domaine de la robotique qui cherchait des locaux, des clients, et surtout 150 développeurs à recruter en trois ans. Comme ces profils sont déjà très sollicités ici, nous leur avons proposé de diversifier leur stratégie de recrutement, en s’appuyant sur des viviers de talents issus des quartiers, ou formés dans des écoles de code comme Simplon. Ce n’est pas une solution miracle, mais cela permet d’élargir les perspectives, de réduire la pression locale, et de créer des opportunités pour des personnes éloignées de l’emploi.

Globalement, cet accompagnement que nous proposons dure entre six mois et un an, selon les projets. Ensuite, on passe le relais aux acteurs du territoire : la Métropole, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), les développeurs économiques, etc. On organise un rendez-vous d’ancrage pour assurer cette transition. C’est une logique de passage de témoin.

Nous restons dans notre périmètre : les implantations que l’on accompagne représentent 8 à 10 % de l’économie locale, selon une enquête Utopies menée il y a quelques années. Cela reste modeste, mais le déménagement est un moment stratégique, qui permet de faire évoluer des organisations, de réorienter leur trajectoire, parfois même de redéfinir leur raison d’être.

 

Vous insistez sur l’utilité des projets d’implantation pour le territoire, souvent entendue en termes économiques ou industriels. Mais cette utilité peut aussi renvoyer à des besoins plus sociaux ou quotidiens, du côté des habitants. Dans quelle mesure prenez-vous en compte ces dimensions ?

Nous cherchons aussi à valoriser les projets qui rendent des services d’intérêt sociétal

C’est une bonne question, et elle est au cœur de notre repositionnement. Même si notre métier est d’abord orienté vers les entreprises, nous avons inscrit dans nos statuts la volonté de contribuer au bien-vivre des habitants. Cela ne se traduit pas toujours dans nos indicateurs, mais c’est une boussole. Les emplois créés, la qualité de vie, l’accès aux services essentiels : tout cela fait partie de notre horizon.

Dans les secteurs industriels, les retombées sont souvent indirectes : une entreprise de biotechnologie vise un marché mondial, pas spécifiquement les habitants de Lyon. Mais dans d’autres domaines, comme les services à la personne ou la culture, l’ancrage local est beaucoup plus tangible. C’est pourquoi nous avons retravaillé notre approche sur l’économie sociale et solidaire.

Plutôt que de raisonner seulement en termes de statut, nous cherchons aussi à valoriser les projets qui rendent des services d’intérêt sociétal. On accompagne des structures qui apportent des réponses concrètes aux besoins du territoire.

Un exemple récent, c’est l’implantation du MAUSA H07, un grand musée de street art de 10 000 m² à Saint-Chamond. Ce n’est pas juste un équipement culturel : c’est une offre qui s’adresse aussi et d’abord aux habitants de ce territoire spécifique, souvent éloignés de ce type de propositions, qui crée de l’activité dans un territoire hors cœur métropolitain, et qui contribue in fine au bien-vivre.

Vous avez décrit une évolution significative de votre stratégie d’accompagnement, avec une attention renforcée à l’impact territorial des projets. Est-ce que cela vous a aussi conduit à repenser en profondeur votre manière de prospecter, c’est-à-dire ce que vous cherchez, où vous allez le chercher, et avec quels outils ?

Nous sommes allés voir, filière par filière, ce qu’il manquait, ce qu’il fallait consolider

Oui, nous avons aussi fait évoluer notre stratégie de prospection en profondeur. Avant, nous fonctionnions surtout par flux entrants : des projets nous étaient transmis par Business France, des prescripteurs ou des cabinets mandatés. C’était une approche assez volumique, adaptée à l’époque.

Aujourd’hui, nous avons donc décidé de reprendre en main notre stratégie, en redéfinissant clairement nos priorités. D’abord en expliquant à tous nos partenaires ce que nous cherchons : quel type d’entreprises, dans quels secteurs, avec quels profils. Ensuite, en relançant une prospection active. Comme dans le commerce, si on veut des clients de qualité, il vaut mieux aller les chercher plutôt que d’attendre uniquement ceux qui viennent d’eux-mêmes.

Cela nous a conduits à renforcer notre présence internationale. Nous avons réouvert un poste à New York pour l’Amérique du Nord, et un autre au Japon. L’idée, c’est d’être au plus près du terrain, de mieux comprendre les tendances, et de pouvoir porter notre stratégie de manière claire. Mais surtout, nous avons organisé une revue stratégique des filières avec les acteurs du territoire : collectivités, chambres consulaires, entreprises.

C’est ce travail collectif qui nous a permis de préciser nos besoins. Nous sommes allés voir, filière par filière, ce qu’il manquait, ce qu’il fallait consolider. C’est une démarche très empirique, qui part des besoins exprimés ici, pas d’analyses descendantes produites par des consultants experts.

Dans la santé, par exemple, toutes les métropoles mettent en avant leurs laboratoires et leur dynamisme. Mais nous, on sait dire précisément ce que l’on fait bien : dans l’infectiologie, certaines branches de la cancérologie, la dermatologie, les neurosciences… Cette cartographie fine donne de la cohérence à notre discours, et facilite la prospection ciblée.

Quand on a présenté ce travail à un consulat d’une grande ville européenne récemment, ils nous ont dit : « On n’avait jamais vu un territoire aussi clair sur ce qu’il cherche. » Et c’est ce qui crée une vraie identité économique, différenciante, qui dépasse les slogans génériques. C’est le travail collectif qu’il faut souligner ici !

 

Cette implication des acteurs locaux dans la définition de la stratégie semble centrale. Est-ce aussi, plus largement, une manière de repenser la gouvernance économique à l’échelle du territoire dans ses méthodes, ses espaces de décision, voire ses équilibres institutionnels ?

Oui, en tout cas, on essaie d’y contribuer à notre échelle. Les revues de filières que l’on a mises en place ouvrent des discussions très concrètes avec les entreprises et les acteurs économiques. Mais très vite, les échanges débordent le champ de l’attractivité stricto sensu : on parle de formation, d’infrastructures, de logement…

Ce sont des préoccupations tout à fait légitimes, exprimées avec précision, même si elles dépassent notre périmètre direct. Nous n’avons pas vocation à piloter ces sujets, mais nous pouvons les relayer, les partager avec les collectivités ou les réseaux compétents.

Ce que je trouve intéressant, c’est que ces échanges permettent d’aborder les enjeux écologiques sans forcément passer par un discours idéologique. En partant des besoins très opérationnels — tel sous-traitant manque, tel profil est difficile à recruter —, on ouvre des discussions sur l’adaptation du territoire, sur les conditions nécessaires pour être plus résilients, sur des projets d’innovation.

Je crois qu’il y a là un vrai levier à saisir pour transformer la manière dont on fabrique la stratégie économique à l’échelle territoriale. Ce n’est évidemment pas à OnlyLyon & Co de porter cela seul, ni même d’en définir le cadre. Mais cette manière de partir des besoins exprimés par les entreprises, de les faire dialoguer avec les enjeux territoriaux, pourrait tout à fait être reprise et élargie par les pôles de compétitivité, les chambres consulaires, les collectivités… Ce sont des espaces où l’on peut construire, ensemble, une vision plus située, plus partagée.

Dans notre propre gouvernance, on essaie de mettre cela en pratique. On s’appuie sur le « modèle lyonnais », assez profondément ancré et partagé dans la culture territoriale, avec une coopération entre acteurs publics et privés dans de nombreux espaces.

Nous l’avons réactivé récemment à travers des méthodes de gouvernance contributive, en clarifiant les rôles des différents collèges de parties prenantes (institutions économiques, territoires partenaires, entreprises partenaires, talents et monde académique, personnalités qualifiées). L’agence garantit la méthode, et le contenu, lui, vient du collectif.

En interne aussi, j’essaie d’appliquer les mêmes principes, dans le management des équipes. Cela passe par plus de transversalité, d’autonomie, mais aussi de responsabilité. En somme, ce que j’appelle gouvernance ne se cantonne pas à des questions de hiérarchie. Ce sont des espaces où se construit la décision, avec les méthodes qui permettent d’y parvenir. Si l’on veut embarquer tout le monde dans un projet de transformation, je crois qu’il faut accorder autant d’attention à la manière dont on produit une stratégie qu’à son contenu.

Vous avez fait de la robustesse une nouvelle finalité stratégique, ce qui rompt en partie avec les codes traditionnels de la promotion territoriale, souvent centrés sur la performance, la compétitivité, ou la mise en valeur des atouts. Comment une agence comme la vôtre, historiquement positionnée sur ces registres, parvient-elle à traduire cette orientation dans ses indicateurs et dans sa communication ?

C’est vrai que cette notion de robustesse nous oblige à regarder les choses autrement. On ne peut plus se contenter d’indicateurs simples, qui décrivent un volume ou une performance immédiate. Nous avons donc élargi notre manière d’évaluer ce que l’on fait. Historiquement, nous suivions surtout deux ou trois chiffres : le nombre de projets accompagnés, le nombre d’emplois annoncés. C’était lisible, mais assez limité.

Aujourd’hui, nous suivons une douzaine d’indicateurs, qui nous permettent de qualifier les projets autrement : leur nature, leur impact sur le territoire, leur contribution à des chaînes de valeur locales, leur capacité à créer des coopérations, ou encore leur localisation. Est-ce qu’ils s’implantent dans des zones déjà denses, ou au contraire, là où il y a un enjeu de rééquilibrage ?

Cette évolution répond à une difficulté concrète : comment mieux saisir la contribution réelle des projets à l’économie territoriale ? C’est un équilibre entre plusieurs dimensions, qui renforcent la capacité d’un territoire à faire face aux crises, à tenir dans la durée. Nous avons choisi d’observer séparément les facteurs qui y contribuent, pour mieux comprendre leurs interactions.

Par exemple, on regarde si le projet renforce des chaînes de valeur locales, s’il génère de la coopération avec d’autres acteurs, s’il améliore l’équilibre territorial en s’implantant hors des zones déjà saturées, ou encore s’il favorise des formes d’emploi plus inclusives. Ce sont des signaux concrets d’un ancrage plus durable, plus résilient. En les combinant, on arrive à mieux qualifier la contribution réelle des projets à l’économie territoriale, au-delà du simple volume d’emplois.

Et c’est aussi un langage qui parle à notre gouvernance, et à beaucoup d’entreprises. Quand on dit que notre stratégie vise à renforcer la capacité du territoire à tenir, malgré les incertitudes et les crises, cela résonne avec des préoccupations très opérationnelles : sécuriser les approvisionnements, stabiliser les effectifs, anticiper les aléas. Cette approche nous guide dans des choix très concrets, au quotidien.

 

Cela modifie en profondeur le récit que vous portez sur le territoire. Comment parvenez-vous à incarner cette stratégie dans vos outils de communication, et notamment à travers une marque comme ONLYLYON, historiquement construite sur des codes plus promotionnels ?

C’est un vrai chantier. Notre objectif, c’est de remettre du fond dans nos contenus. On ne veut pas simplement accumuler des messages promotionnels. Nous voulons porter un récit exigeant, ancré, qui reflète les enjeux du moment. Concrètement, nous travaillons avec notre réseau d’ambassadeurs de manière différente.

Récemment, on les a invités à une table ronde avec une glaciologue, Heïdi Sevestre, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), la Métropole de Lyon et Odysseus 3.1, une association engagée sur la mobilisation citoyenne dans la transition. Cela nous a permis de partager du contenu, pas un discours de communication, et ça crée des liens plus profonds.

À Francfort, nous avons organisé une rencontre sur le risque climatique et financier avec un enseignant d’emlyon spécialiste de ces sujets. Ce sont des moments où l’on parle de fond, où l’on construit une crédibilité.

Notre campagne actuelle, « Agir ici, changer demain », résume bien cette approche. En agissant à Lyon, là où l’on vit et travaille, on peut contribuer à avoir un impact sur les grands enjeux de notre temps. Ce n’est pas un slogan de plus : c’est vraiment une ligne directrice qui parle aux entreprises et à nos partenaires.

Et dans un moment où l’on observe un recul de certaines politiques de transition, en France comme en Europe, ce discours reste-t-il audible ?

Il y a effectivement des remises en cause, des blocages et des replis. Mais la prise de conscience écologique reste forte dans la population. Et du côté des entreprises, celles qui ont investi dans la transition ne font pas machine arrière. Au contraire, elles accélèrent.

Bien sûr, tout le monde n’avance pas au même rythme, et certains acteurs cherchent à temporiser, voire à freiner. Mais ce qu’on observe, c’est que les entreprises qui ont misé sur la décarbonation, l’économie circulaire ou l’innovation sobre y voient désormais un levier de compétitivité plutôt qu’un surcoût. Elles sentent que les marchés évoluent, que les attentes des clients, des salariés, des financeurs changent, et que rester dans un modèle dépendant d’énergies fossiles ou de ressources rares est de plus en plus risqué.

Pour ces entreprises, la transition est devenue un projet stratégique, et à notre échelle, on essaie de leur offrir un territoire capable d’accompagner ce mouvement, avec des partenaires, des talents et des ressources qui vont dans le même sens.

Bref, on reste fidèles à notre cap. Nous continuons à accompagner des projets innovants dans les secteurs de la mobilité décarbonée, de la santé, ou encore de l’énergie. Et quand on reçoit une demande d’implantation qui va à rebours de cette orientation — comme une usine d’engrais chimiques très énergivore par exemple — on passe simplement notre tour, mais c’est très rare… Nos critères d’impact ne sont pas là pour faire joli. Ils guident vraiment nos choix et nous aident à dialoguer de manière constructive avec ceux qui portent les projets : les investisseurs et entrepreneurs qui sont en première ligne face à tous ces enjeux complexes.

Dans ce contexte, je pense que le territoire lyonnais a une vraie carte à jouer. Les entreprises qui choisissent Lyon ne le font pas en fonction de la majorité en place, elles le font parce qu’elles perçoivent un territoire qui bouge, qui se transforme, et qui peut les aider à transformer leur propre modèle, en s’appuyant sur les entreprises et les leaders locaux. C’est cela, au fond, qui nous rend attractifs.