Comment concilier activité économique et protection de l’eau ?

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La pollution de l'eau pourrait coûter très cher à la société.
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Pour dresser le bilan économique d’une pollution, il faut être capable d’en identifier tous les impacts et, pour chacun d’entre eux, en estimer le coût. Le principe peut paraître assez simple, mais la réalité est évidemment plus complexe, en particulier pour les pollutions diffuses, dont les impacts sont mal connus.
C’est le constat que l’Agence française pour la Biodiversité et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) ont fait en 2020, lorsqu’ils ont tenté d’évaluer le coût de la pollution de l’eau par les micropolluants en France.
Pour y parvenir, les auteurs ont dû prendre en considération trois catégories de dépenses : les coûts de surveillance, nécessaires pour évaluer la présence des polluants ; les coûts des actions positives, c’est-à-dire ce qui est mis en œuvre pour éviter ou réduire l’impact des pollutions ; et enfin les coûts des impacts résiduels, c’est-à-dire le coût généré par les dégâts causés, comme la perte d’activité pour certains secteurs économiques impactés, les dépenses consécutives aux maladies provoquées, etc.
Les coûts de surveillance sont généralement assez faciles à identifier et estimer. Les coûts des actions positives sont en revanche plus délicats à chiffrer, puisqu’il s’agit d’additionner toutes les dépenses privées et publiques nécessaires à la réduction de l’usage des substances problématiques, puis de leur trouver des substituts, ou encore développer de nouvelles solutions de traitement.
Pour illustrer ces difficultés, on peut prendre l’exemple d’une étude récente, confiée au cabinet indépendant (RE)SET, qui estime que le surcoût généré par le traitement des micropolluants dans les stations de traitement des eaux usées pourrait être quatre à cinq fois plus important que ceux initialement prévus par la Commission européenne. Preuve que, même pour un coût a priori facile à évaluer, les choses peuvent s’avérer plus compliquées que prévu.
Le plus difficile reste bien entendu l’évaluation du coût des dégâts causés à la société. Pour y parvenir, nous devrions identifier tous les effets négatifs des micropolluants sur la santé et l’environnement, ce qui est aujourd’hui impossible, du fait des nombreuses incertitudes qui les caractérisent et à cause des moyens importants qu’il faudrait engager.
Il faudrait ensuite évaluer le coût global de ces dégradations pour la société, ce qui revient souvent à accorder un prix à des choses qui n’en ont pas a priori, par exemple lorsqu’il s’agit de vies humaines ou de biodiversité.
Le rapport de l’Agence française pour la Biodiversité et l’Ineris avance avec beaucoup de prudence le chiffre d’un milliard d’euros depuis le début des années 2000, pour les deux premières catégories de coût — en se limitant aux seuls effets qui ont pu être identifiés et estimés. En revanche, les auteurs ne proposent pas d’évaluation pour la troisième, qui pourrait vraisemblablement représenter la partie immergée de l’iceberg.
Même si la totalité du coût de la pollution ne peut être évaluée, il est toutefois possible d’en reporter au moins une partie sur les responsables. C’est ce que suggère le principe pollueur-payeur, qui est utilisé sous différentes formes dans le domaine de la gestion de l’eau, notamment afin de mettre à contribution les pollueurs.
S’il est souvent redouté et critiqué par les pollueurs, ce principe est sans doute aujourd’hui encore trop peu utilisé par les acteurs publics, alors qu’il relève d’une justice élémentaire : viser les responsables des pollutions, plutôt que faire porter leurs coûts sur les autres.
La Métropole de Lyon a par exemple mis en œuvre une majoration « toxique » dans la facture d’eau des industries de son territoire. Ces évolutions du règlement d’assainissement ont été accompagnées par un important travail de sensibilisation des industriels concernés, notamment pour leur montrer que la règle était la même pour tous les acteurs, et que les comportements vertueux seraient récompensés. Cette pédagogie a sans doute permis de faciliter l’acceptation de la majoration.
Par ailleurs, la sous-évaluation systématique des coûts incite à privilégier les actions de prévention, celles qui permettent d’éviter la pollution plutôt que de devoir la traiter a posteriori. Bien souvent, ce choix écologique est aussi le meilleur sur le plan économique, en particulier lorsque l’on considère tous les coûts pour la société et l’ampleur des « communs négatifs » à gérer.
C’est ce que les New-Yorkais ont compris dans les années 1980, lorsqu’ils ont été confrontés à la pollution de leur eau potable, consécutive à l’urbanisation et à l’intensification de l’agriculture dans les collines avoisinantes des Catskills.
Après avoir évalué les coûts de dépollution de l’eau, les responsables de l’administration ont rapidement réalisé qu’il serait beaucoup moins cher et plus efficace d’accompagner les agriculteurs à changer de pratique. Le succès de ce programme a été spectaculaire, avec une baisse de 80 % des polluants agricoles, mais aussi des économies considérables réalisées sur le traitement des eaux.
Un autre exemple souvent cité est celui de la ville de Munich qui, au début des années 1990, a vu la qualité de son eau potable se dégrader peu à peu, avec l’apparition de nitrates et de pesticides. Là encore, la réponse de la Ville est passée par une très forte incitation des agriculteurs à se convertir à l’agriculture biologique, en leur proposant des aides à la conversion, des formations, mais aussi (et surtout) en assurant des débouchés à leur production.
Ces exemples ont fait école et de très nombreuses collectivités s’en sont inspirées, dont la Métropole de Lyon (voir plus loin). Ces pratiques démontrent que, bien souvent, une vision globale des enjeux liés à la pollution de l’eau permet de trouver des solutions gagnant-gagnant, autant sur les plans écologiques qu’économiques.
L’information et l’accompagnement des professionnels sont souvent des éléments clés des politiques de prévention des pollutions. C’est encore plus vrai pour les micropolluants, parfois utilisés par les professionnels sans même que ces derniers ne le sachent, ou sans qu’ils ne soient conscients des dangers qu’ils constituent.
Après les révélations faites en 2022 par les journalistes de l’émission « Vert de rage » sur la pollution aux PFAS dans le sud de l’agglomération, la Métropole de Lyon n’a pas hésité à porter l’affaire devant la justice pour faire reconnaître la responsabilité des industriels — et possiblement leur faire supporter le coût des pollutions générées. Dans le même temps, la Collectivité a renforcé sa politique d’accompagnement des acteurs économiques, afin de réduire à la source les rejets de produits toxiques, dans l’intérêt de chacun.
La Métropole mène par exemple des campagnes d’information auprès des filières concernées par l’usage de produits toxiques contenant des micropolluants. En partenariat avec la Chambre de Métiers et de l’Artisanat et l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, des guides de bonnes pratiques sont distribués notamment aux professionnels de la coiffure ou du décapage de bâtiments, pour les informer sur les produits de substitution ou les techniques alternatives permettant de limiter le rejet des micropolluants dans l’eau.
Plus encore, des opérations plus personnalisées sont menées auprès des industriels, en partenariat avec l’Agence de l’eau. L’unité prévention du service rejets non domestiques de la DCE propose ainsi aux entreprises du territoire de bénéficier d’un soutien technique et financier, avec la réalisation d’un diagnostic de site, des préconisations d’action, et un accompagnement pour les demandes de subvention, afin de mettre si besoin les installations en conformité. Pour le contrat en cours, qui porte sur 2025-27, ce sont ainsi près de 5,6 millions d’euros d’actions qui sont identifiées, avec 4,1 millions d’euros de subventions.
Là aussi, le cap ne dévie pas : aider les entreprises à réduire leurs pollutions à la source s’avérera plus efficace et moins coûteux pour le territoire que devoir traiter ensuite ces pollutions en aval, ou réparer les dégâts qu’elles causeront inéluctablement plus tard.
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