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Changement climatique : comment territorialiser la responsabilité de la métropole de lyon dans le dépassement des limites planétaires ?

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En émettant massivement des gaz à effet de serre, l’humanité a progressivement dépassé les seuils qui permettent de garantir la stabilité du système climatique.

Un tel dépassement rend possible l’atteinte de points de bascule susceptibles d’entraîner une sortie potentiellement catastrophique du régime climatique de l’Holocène — cette période climatique qui a débuté il y a plus de 10 000 ans et durant laquelle sont nées les civilisations.

Peut-on mesurer la responsabilité d’un territoire dans ce dépassement ?
Et quelles leçons en tirer ?

Cet article présente les résultats d’un exercice mené en collaboration avec la Métropole de Lyon par des chercheurs du laboratoire Environnement Ville Société de l’École des Mines de Saint-Étienne.

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Date : 07/04/2025

L’enjeu : éviter le dépassement d’un point de bascule climatique

 

Parmi les différentes perturbations anthropiques du système Terre, le changement climatique est probablement le plus connu et le plus médiatisé.

Depuis le 19e siècle, l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre d’origine humaine (comme le dioxyde de carbone, le méthane ou encore le protoxyde d’azote) a provoqué une augmentation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre — qui dépasse aujourd’hui les 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle.

Proposé par des scientifiques à la fin des années 2000, le cadre des limites planétaires essaie de déterminer à partir de quel niveau de perturbation ces changements pourraient être irréversibles et faire sortir le climat de la Terre du régime dans lequel il est entré depuis les débuts de l’Holocène, il y a environ 12 000 ans. Autrement dit, il s’agit de chercher à définir à quel moment le climat de la Terre franchirait un point de bascule.

Un point de bascule correspond à l’état d’un système donné où le changement d’un paramètre, même modeste, peut entraîner des bouleversements rapides et radicaux. Il s’agit en quelque sorte d’un seuil qui, une fois franchi, provoque des changements qui s’autoentretiennent, faisant passer le système d’un état d’équilibre à un autre, sans possibilité de retour en arrière.

Un exemple emblématique de point de bascule climatique est lié à l’évolution de la calotte glaciaire Antarctique Ouest. Sous l’effet de l’augmentation de la température de l’océan, de l’eau salée s’infiltre sous cette calotte glaciaire, accélérant ainsi sa fonte. Différentes modélisations montrent qu’à partir d’un certain réchauffement de l’océan, il existe un point de bascule au-delà duquel des pans de cette calotte sont condamnés à fondre, ce qui aurait un impact majeur sur les courants marins et la dynamique climatique associée. Le franchissement d’un tel point de bascule provoquerait également une montée du niveau des océans pouvant atteindre trois mètres.

Les scientifiques ont aujourd’hui identifié au moins 16 points de bascule majeurs liés au changement climatique, dont la probabilité d’advenir est représentée dans la figure 1, en fonction du niveau d’augmentation de la température moyenne mondiale.

 

Augmentation de la température moyenne mondiale (°C) par rapport à l'ère pré-industrielle. Les phénomènes représentés en gras sont susceptibles d’avoir une influence sur le climat mondial : Calotte glaciaire du Groeland, Calotte glaciaire de l'Antarctique Ouest, Mer du Labrador convection gyre subpolaire, bassin sous-glaciaire Antarctique Est, Forêt tropicale Amazonienne, Permafrost boréal, Circulation méridienne de retournement Atlantique, Dépérissement forêts boréales, glace de mer d'hiver en arctique, Calotte glaciaire Antarctique Est. Les autres représentent des impacts régionaux : Récifs de coraux de basses latitudes, permafrost boréal, glace de la mer de barent, glaciers alpins, mousson du sahel et ouest afrique, expansion forêts boréales
Figure 1 : Estimation de différents points de bascule liés à l’augmentation de la température moyenne mondiale (traduit de [Armstrong McKay et coll., 2022]). Les phénomènes représentés en gras sont susceptibles d’avoir une influence sur le climat mondial. Les autres représentent des impacts régionaux.

 

Pour garantir que ces points de bascule ne sont pas transgressés, les spécialistes des limites planétaires proposent deux « frontières » à ne pas dépasser :

  • Une concentration atmosphérique de CO2 dans l’atmosphère inférieure à 350 ppm. Cette concentration est aujourd’hui largement dépassée puisqu’elle est estimée, par la NASA, à 426 ppm.
     
  • Un renforcement du forçage radiatif inférieur à +1 W/m² par rapport à l’ère préindustrielle (ce qui traduit l’impact de l’ensemble des gaz à effet de serre et des autres facteurs de renforcement du changement climatique, au-delà du seul CO2). Ce forçage radiatif était estimé à + 2,91 W/m² en 2023 — soit, là encore, bien au-delà du seuil de sécurité préconisé.
     

Plus récemment, les spécialistes des limites justes et sûres du système Terre ont proposé une troisième manière de positionner cette frontière, qui correspond à une augmentation de la température moyenne mondiale de + 1,5 °C. Ce seuil équivaut à un risque modéré de franchir 5 points de bascule (figure 1) et coïncide avec l’objectif que se sont fixé les États dans le cadre de l’Accord de Paris. C’est cette frontière que nous utiliserons par la suite pour déterminer la responsabilité de la Métropole.

Toutefois, il convient de noter que, pour mieux prendre en compte les enjeux de justice sociale, des chercheurs proposent de fixer la frontière « juste et sûre » à 1,0 °C d’augmentation de température, afin d’éviter d’exposer des populations à des dommages significatifs.

Au-delà de cette limite, des dizaines de millions de personnes subissent des conditions de température et d’humidité, dites « de bulbe humide » [1], qui ne permettent plus au corps humain de réguler sa température. Une exposition trop longue à ces conditions peut entraîner la mort. Or cette limite « juste » est aujourd’hui déjà dépassée, avec une augmentation de température moyenne estimée à 1,2 °C pour la période 2014-2023.

 

[1] La « température de bulbe humide » correspond à une température de l’air saturé d’humidité. Lorsque l’air est saturé d’humidité au-delà de 37 °C, le corps humain ne peut plus maintenir une température de 37 °C. Rester trop longtemps à une telle température peut entraîner la mort. Lorsque la hausse de température moyenne mondiale dépasse 1 °C, des dizaines de millions de personnes risquent d’être exposées à ces « vagues de chaleur mortelles » (voir Rockström et coll., 2023 — Fig.2).

 

Mesurer la responsabilité d’un territoire : des choix techniques… mais aussi éthiques

 

Pour essayer de prévenir le dépassement de ces points de bascule, il est nécessaire de limiter les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES). Pour connaître la responsabilité d’un territoire en matière de dérèglement climatique, la première étape consiste donc à mesurer les émissions dont il est responsable. Celles-ci sont généralement mesurées en termes de CO2 équivalent (CO2eq).

Il existe principalement deux manières d’estimer les émissions d’un territoire donné :

  • En quantifiant les émissions « directes », c’est-à-dire celles qui ont lieu sur le territoire et qui sont liées en particulier à l’agriculture, aux transports, à la gestion des déchets, au fonctionnement des bâtiments résidentiels et tertiaires ou encore à l’industrie. On estime que la métropole de Lyon a ainsi émis, sur son territoire, en 2023, 4 961 ktCO2eq, soit 3,5 tCO2eq/hab.
     
  • En quantifiant les émissions dont est responsable, indirectement, un territoire à travers les consommations finales de ses habitants : on obtient alors ce qu’on appelle l’« empreinte » carbone. Le principe consiste à ajouter aux émissions locales celles nécessaires pour la production des biens importés, avant de soustraire celles associées aux biens exportés. L’empreinte carbone annuelle d’un français était estimée, en 2021, à 9,8 tCO2eq/hab. En 2021, l’empreinte carbone moyenne d’un habitant de la métropole de Lyon a quant à elle été estimée à 8,4 tCO2eq/hab, à partir de données issues de l’enquête consommateurs de la Métropole de Lyon.
     

Dans un second temps, il s’agit de comparer cette contribution à une cible d’émission qui correspond à la valeur maximale permise pour respecter les limites définies dans le paragraphe précédent. Pour ce faire, là encore, deux méthodes peuvent être choisies : la définition d’un « budget » maximal d’émissions annuel, ou la définition d’une trajectoire de réduction d’émissions à partir du niveau actuel (méthodes illustrées dans la figure 2).

Cette dernière option dépend de nombreux choix politiques, difficilement arbitrables pour réaliser cette étude. Nous avons donc privilégié la méthode de détermination d’un budget maximal d’émissions annuelles permettant de donner un aperçu de l’ambition requise pour ne pas dépasser les limites.

 

La trajectoire des emissions GES déclinent progressivement avant de rejoindre le budget d'émissions annuelles créant une année de neutralité
Figure 2 : Illustration des 2 méthodes possibles de détermination d’une cible

 

Cette cible est estimée à partir d’un budget d’émissions qu’il convient de ne pas dépasser pour respecter la frontière planétaire. Ce budget est généralement défini par des articles scientifiques, pour une période donnée (50 à 100 ans, par exemple) et sur la base de modélisations climatiques. Il correspond aux émissions pouvant encore être émises pour respecter la frontière planétaire.

Comme cela a été dit plus haut, les frontières « justes et sûres » basées sur le cadre des limites planétaires sont aujourd’hui déjà dépassées. Il n’y a donc a priori plus de « budget d’émissions » possible pour les respecter. Nous avons donc privilégié ici la valeur de la frontière « sûre » (et non « juste et sûre ») pour estimer ce budget, qui équivaut à une augmentation de +1,5 °C de la température moyenne mondiale.

Comme évoqué plus haut, ce choix correspond également à l’un des objectifs politiques définis lors de la COP 21, à Paris. L’analyse produite pourra ainsi fournir des informations opérationnelles à la Métropole de Lyon en confrontant ses émissions actuelles aux réductions nécessaires pour respecter les engagements de la France transcrits dans la Stratégie nationale bas-carbone.

Enfin, pour passer de ces « budgets d’émissions », définis au niveau mondial, à des cibles d’émissions territoriales, plusieurs principes de répartition peuvent être mobilisés [2]. Les principes qui ont été envisagés pour cette étude sont les suivants :

  • L’égalité par personne : le budget restant disponible est divisé selon un droit à émettre pour un territoire, ici proportionnel à sa population. Selon ce principe, chaque habitant de la Terre dispose du même budget.
     
  • La responsabilité historique représente une extension du principe précédent, mais en prenant en compte les émissions historiques de chaque territoire : on applique ici le principe égalitaire à partir du moment où l’on considère l’existence d’un consensus sur la question climatique (en général 1990). Les pays qui ont le plus émis depuis cette date ont donc des budgets futurs plus faibles que ceux qui ont moins émis.
     
  • Les droits acquis (grandfathering en anglais) : le droit à émettre d’un système donné (territoire, secteur économique, etc.) est proportionnel à ses émissions passées, comme s’il s’agissait d’un « acquis » à préserver (ce principe est plus souvent utilisé pour estimer des budgets à l’échelle de secteurs d’activité).
     
  • La contribution économique : les budgets d’émissions sont proportionnels à la production de richesse du territoire, généralement exprimée par le Produit intérieur brut (PIB).
     
  • La capacité à payer : la contribution du pays à l’effort d’atténuation est proportionnelle à sa capacité à payer ou à agir contre les pressions/pollutions. C’est en quelque sorte l’inverse du principe précédent.
     
  • Le droit au développement : la répartition est ici différenciée en faveur des économies « pauvres », afin de leur permettre d’accroître leurs niveaux d’accès aux services essentiels et de confort matériel.
     

Il va sans dire que ces choix sont éminemment politiques, puisqu’ils renvoient à des principes éthiques et philosophiques très différents. Il est ainsi important de comparer les résultats de plusieurs répartitions pour mettre en perspective l’importance de ces différents choix [3].

Dans le cadre de cette étude, nous n’avons pas retenu les principes des droits acquis et de la contribution économique, car ils ne sont pas en accord avec le droit international. Et nous n’avons pas pu appliquer les principes de droit au développement et de capacité à payer, par manque de données. Deux principes de répartition ont donc été utilisés : l’égalité et la responsabilité historique.

 

[2] 9 ont été définis pouvant s’appliquer aux territoires dans Bai et coll., 2024 (Table 1), sachant que certains travaux déterminent leurs propres répartitions sans considérer les autres territoires (volontarisme — Häyhä et coll. 2016).
[3] Bai et coll., 2024 conseille ainsi de comparer plusieurs principes et de choisir comme cible pour le territoire le plus contraignant pour s’assurer que la somme des budgets répartis entre les territoires soit bien inférieure à la limite.

 

Application à la métropole de Lyon : un budget carbone très limité… voire dépassé

 

Pour estimer la part que chaque habitant de la métropole de Lyon « peut » émettre pour respecter cette frontière sûre, il faut d’abord identifier, dans la littérature, le « budget d’émissions » qui peut encore être émis dans l’atmosphère avant d’atteindre un réchauffement climatique de +1,5 °C. Dans son dernier rapport publié en 2021, le GIEC estime que l’humanité pouvait encore, en 2020, émettre 500 GtCO2 afin d’avoir 50 % de chances de maintenir l’augmentation de température moyenne mondiale en dessous de +1,5 °C en 2100.

On peut ainsi estimer la part de ce « budget » qui pourrait être affecté à la métropole de Lyon. Nous avons fait l’hypothèse que ce budget serait consommé, de façon équitable, entre l’année actuelle (2024) et 2050 (figure 2) — la Métropole s’engageant à contribuer fortement à l’atteinte de la neutralité en termes d’émissions directes de GES en France à cet horizon. Pour définir les cibles annuelles d’émissions, deux méthodes de calcul ont été testées, correspondant aux deux principes de répartition retenus :

  • Pour appliquer le principe de l’égalité, le budget mondial a été mis à jour pour commencer à partir de l’année 2024. Pour ce faire, les émissions mondiales observées entre 2020 et 2023 ont été soustraites au budget de 500 GtCO2 estimé en 2020 par le GIEC, amenant à un budget disponible pour le monde de 294 GtCO2eq à partir de 2024. Ensuite, ce budget a été affecté à la métropole de Lyon de façon proportionnelle à sa population (en prenant en compte les projections d’évolution de la population), puis divisé par le nombre d’années qui nous sépare de 2050. On obtient alors une cible de 1,2 tCO2 eq par an et par habitant.
     
  • En appliquant le principe de responsabilité, le budget mondial a également été mis à jour pour partir de l’année 2024. Le principe de responsabilité vise à prendre en compte les émissions historiques dans la définition du budget d’émissions futures par personne afin de prendre en compte les émissions historiques depuis 1990 — l’année de publication du premier rapport du GIEC, établissant un consensus scientifique et politique sur le changement climatique et son origine anthropique.
     
  • La part de ce budget disponible à partir de 1990 pour la métropole de Lyon a ensuite été estimée en intégrant là encore les évolutions de population. Enfin ont été soustraites les émissions de la métropole entre 1990 et 2023 (figure 3). Partant de là, deux budgets différents ont été estimés : un basé sur les émissions directes et l’autre sur l’empreinte carbone (qui intègre les émissions indirectes associées à la consommation du territoire).
     
  • Chaque budget final est enfin divisé par le nombre d’années pendant lesquelles ce dernier sera consommé entre 2024 et 2050. La cible peut ainsi être estimée à 1,7 tCO2 eq/an.hab pour la responsabilité historique associée aux émissions directes (sachant que le territoire a émis moins que la moyenne mondiale sur la période étudiée).
     
  • En revanche, avec une réflexion en empreinte carbone, on obtient une cible négative : -3,6 tCO2 /an.hab. Sur la période, le territoire a eu, en effet, une empreinte largement supérieure à l’empreinte carbone moyenne mondiale. Si tous les territoires avaient eu, sur cette période, le même niveau d’empreinte que la métropole de Lyon, le « budget d’émissions » mondial aurait déjà été largement dépassé.

 

Figure 3 : Évolution des émissions de la métropole de Lyon entre 1990 et 2023. Les données d’émissions directes sur 1990-2023 proviennent des données de l’ORCAE. Les données d’émissions directes de 1991 à 1999 ; 2001 à 2004, 2006, 2008 et 2009, indisponibles sur les bases de l’ORCAE, ont été estimée en appliquant aux données manquantes le ratio observé sur les données disponibles avec les données d’émissions pour la France (disponible pour chaque année entre 1990 et 2023 sur INSEE, 2024). Données d’empreinte estimées à partir du calcul réalisé pour la Métropole de Lyon en 2021 (8,4 tCO2eq/hab — calculs basés sur CCI, 2023) et des données d’empreinte de la France (source : INSEE, 2024).

 

Le résultat du calcul de cibles pour la métropole de Lyon est donné figure 4. Ces résultats mettent en évidence des conclusions très différentes en matière d’empreinte ou d’émissions directes.

Si l’on considère la responsabilité historique, les émissions directes cumulées des habitants de la métropole de Lyon sont aujourd’hui encore inférieures au budget total d’émissions permettant d’éviter une augmentation de température mondiale de plus de 1,5 °C. Mais si ce budget n’a pas encore été totalement consommé, les émissions actuelles de 3,5 tCO2 eq par an et par personne sont toutefois plus de deux fois supérieures à la cible de 1,7 tCO2 eq par an et par personne.

Par contre, l’empreinte moyenne des habitants de la métropole de Lyon est largement supérieure à la moyenne mondiale sur la période 1990 – 2024 (et les résultats seraient du même ordre de grandeur si l’analyse était faite au niveau de la France). Cela signifie que la métropole a déjà consommé davantage que son budget disponible depuis 1990. Ses empreintes passées sont en moyenne supérieures au budget d’émissions qui serait nécessaire pour éviter une augmentation de température mondiale de plus de 1,5 °C.

Il faudrait donc, en théorie, « stocker » 3,6 tCO2eq par habitant chaque année entre 2024 et 2050 pour « rembourser » la dette contractée — un chiffre à comparer à l’empreinte carbone actuelle de 8,1 tCO2 eq par an et par personne, et qui montre au contraire que cette « dette carbone » continue de lourdement s’aggraver.

Par ailleurs, il faut préciser qu’un tel stockage de carbone est aujourd’hui impossible à l’échelle de la métropole de Lyon. Par souci de solidarité, ces résultats pourraient en revanche être pris en compte dans la perspective des mécanismes de reversement vers les pays des Suds discutés dans le cadre des négociations internationales (COP) [4].

Ces résultats montrent par ailleurs la forte ambition nécessaire pour atteindre l’objectif politique de respecter l’Accord de Paris grâce à l’atteinte d’une neutralité carbone en 2050. En effet, même en prenant l’hypothèse la plus favorable, les émissions directes de la métropole (3,5 tCO2eq/an.hab en 2023) sont 3 fois plus élevées que sa cible, calculée avec le principe d’égalité (1,2 tCO2eq/an.hab).

Le respect de ce budget ne pourra donc se faire qu’en passant au plus vite sous cette barre des 1,2 tCO2eq/hab. Cette nécessité de diviser au plus vite par 3 les émissions directes représente un effort considérable, en particulier lorsqu’elle est mise en perspective avec la division par moins de 2 des émissions directes de la métropole obtenue entre 1990 (6,8 tCO2eq/an.hab) et 2023 (3,5 tCO2eq/an.hab).

 

[7] L’article Hickel et Fanning, 2023 publié dans Nature définit ainsi dans sa figure 4 des montants à reverser de la part des territoires dont l’empreinte a dépassé le budget disponible (pays des Nords) auprès de ceux qui ne pourront pas consommer l’entièreté du budget qui leur était disponible pour rester sur une trajectoire de réchauffement de +1,5 °C (pays des Suds).

 

Emissions directes : Situtation en 2023 : 3.5tCO2eq/hab. Empreinte : Situtation en 2023 : 8.1 tCO2eq/hab
Figure 4 : Représentation des émissions estimées pour la métropole de Lyon en 2023 confrontées aux cibles selon les principes de répartition en responsabilité et égalité

 

Accélérer la transition… et préparer l’adaptation
Au final, que retenir de cet exercice ?

 

En premier lieu, la littérature académique montre que, pour ce qui concerne les concentrations de CO2 et les modifications du bilan radiatif de l’atmosphère, il est d’ores et déjà trop tard pour rester sous les seuils de réchauffement suggérés par le référentiel des frontières « justes et sûres » du système Terre. Ce dépassement générera des impacts conséquents sur les sociétés humaines, y compris la métropole de Lyon (voir encadré 1). Cependant, il existe encore une petite chance de limiter le réchauffement à +1,5 °C, qui correspond à la fois à la frontière « sûre » du référentiel des frontières du système Terre, mais aussi à l’objectif de l’Accord de Paris.

À ce propos, l’exercice réalisé montre que les efforts à produire pour amener les émissions de gaz à effet de serre à respecter cet engagement sont considérables. Ils devraient idéalement s’accompagner d’une participation des pays du Nord à des mécanismes de soutien pour pertes et dommages subis par les Pays des Suds.

Dans tous les cas, cela signifie que les progrès encourageants réalisés au cours des dernières années par la Métropole de Lyon ne sont pas encore suffisants pour que la Métropole prenne sa juste part à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris : il va falloir accélérer la transition et, dans le même temps, accroître les efforts d’adaptation du territoire (encadré 1).

C’est ce que prévoit de faire la Métropole en élaborant actuellement son nouveau plan climat, qui acte cette nécessité d’accélérer à la fois la baisse des émissions et l’adaptation au réchauffement climatique. En espérant que le dépassement des frontières planétaires ne se traduira pas par le franchissement de plusieurs points de bascule, qui pourraient alors rendre l’adaptation beaucoup plus difficile et aléatoire pour le territoire lyonnais… et probablement impossible pour d’autres territoires, davantage exposés à ces changements.

 

Quelles sont les implications du dépassement des limites planétaires du climat pour la métropole de Lyon ?

 

La métropole se situe dans un climat semi-continental et elle est fortement urbanisée. L’augmentation moyenne des températures s’y fait donc ressentir de façon particulièrement forte. Ainsi, entre la période 1950-1980 et la période 2003-2023, la température moyenne sur le territoire de la métropole a déjà augmenté de 2 °C.

 

La température passe de 10 degrés entre 1950 et 1960 à 14 degrés en 2020
Figure 5 : Température annuelle moyenne mesurée à la station MétéoFrance de Lyon-Bron

 

Ce réchauffement est encore plus important pendant les périodes estivales, soumettant alors la métropole et ses habitants à des épisodes de fortes chaleurs (canicules, vagues de chaleur) bien plus fortes que par le passé, phénomène qui va encore s’amplifier dans les années à venir.

La métropole pourrait ainsi connaître 34 nuits tropicales pendant lesquelles la température ne descend pas en dessous de 20 °C (valeur médiane des projections de la TRACC) par été en 2050, soit 3 fois plus qu’aujourd’hui. Les valeurs maximales des projections relatives à cet indicateur dépassent 90 nuits à cet horizon.

Une hausse de la fréquence des épisodes de sécheresse et de fortes pluies est également à anticiper, renforçant le risque d’inondation, avec toutes les conséquences matérielles et humaines que de tels événements peuvent entraîner (dégradation d’infrastructures, risques de coupure des réseaux de transports, risques industriels associés aux inondations, mise en danger de personnes isolées, etc.). Les inondations de Givors de 2024 en sont une claire illustration.

Enfin, d’un point de vue social, les zones les plus denses et urbanisées, ainsi que les zones inondables, correspondent souvent aux endroits où résident les ménages les plus fragiles économiquement. Les événements extrêmes cités ci-dessus (canicules et inondations) frappent ainsi plus souvent ces populations. Ces enjeux d’adaptation appellent donc la mise en place de politiques publiques abordant simultanément les enjeux sociaux et climatiques.