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Philippe Chamaret, de l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer : « Le principe des Instituts écocitoyens : garder l’oreille ouverte sur les questions de pollution dans un territoire »

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Directeur de l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer

Interview de Philippe Chamaret

Chimiste de formation, Philippe Chamaret a travaillé pendant plusieurs années sur la modélisation du changement climatique.

Il a par la suite intégré l’association des Éco Maires en se spécialisant sur la question des risques industriels, avant de participer à la création de l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer, dont il est directeur depuis 2010.

Depuis déjà 15 ans, cet Institut contribue ainsi au développement des connaissances sur les polluants et leurs effets, à chaque échelle du vivant.

Au cœur du fonctionnement de ce collectif d’un nouveau genre se dessine une démarche ambitieuse d’implication des habitants et de partage d’informations avec le territoire, comme nous l’explique Philippe Chamaret.

Pouvez-vous nous rappeler comment est né l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer ? De qui émanait la demande pour un tel organisme ?

L’activité va générer des revenus, dont la moitié sera dédiée à la recherche

À l’origine, la demande émane de citoyens impliqués dans la lutte contre l’implantation d’un incinérateur. À l’époque, il y avait un passif qui faisait peur aux riverains, avec des incinérateurs comme celui d’Albertville qui avait provoqué des pollutions aux dioxines.

Les citoyens ont voulu porter le combat sur le plan de l’expertise, en se disant qu’il ne suffisait pas de crier, il fallait également utiliser les bons mots. Ils voulaient un centre de recherche ou d’information, une structure capable de réunir les connaissances sur les incinérateurs et, plus largement, sur toutes les pollutions liées aux industries. La demande est partie de là.

Les élus ont identifié cette demande et ont mis les moyens pour y répondre. Ils se sont dit que, si Marseille imposait un incinérateur à Fos-sur-Mer, avec 400 000 tonnes de déchets traités, cela rapporterait 400 000 euros par an. Le maire a alors proposé d’en dédier la moitié à la recherche scientifique sur les connaissances sur les émanations. Cela a permis de structurer un principe politique : l’activité va générer des revenus, dont la moitié sera dédiée à la recherche.

L’Institut est donc né de la conjugaison d’une demande citoyenne et d’une volonté des élus locaux de se doter d’une véritable politique scientifique, sur un territoire qui a une histoire particulière et sur lequel il y a des friches, des problématiques urbaines, des pollutions… mais aussi un territoire qui a un avenir qui se dessine à partir d’aujourd’hui, avec cette nécessaire mutation industrielle. Il était donc pertinent pour ce territoire-là d’inviter la recherche à produire cette connaissance, qui est aujourd’hui lacunaire sur de nombreuses pollutions.

Quel statut avez-vous choisi pour l’Institut écocitoyen ? Comment avez-vous organisé le dialogue entre ces différents acteurs : citoyens, élus, industriels et chercheurs ?

En général, quand on n’est pas d’accord, c’est qu’il y a une connaissance qui manque

C’est une question fondamentale. Au départ, on a beaucoup réfléchi au statut de l’Institut. On s’est entendus sur le statut associatif parce que c’est le plus simple, le plus transparent, et aussi celui qui permet de rassembler des collèges très différents — avec à la fois des individus, mais aussi des collectifs et des personnes morales comme des entreprises.

Donc, il s’agit d’une association, dont la gouvernance est partagée de façon collégiale, avec un collège d’associations de défense de l’environnement et des collectivités ; un collège des exploitants industriels, avec un syndicat qui représente les industriels du golfe de Fos, mais aussi un collège avec des scientifiques et des médecins. 

Au sein du conseil d’administration, on a donc la représentation d’intérêts divergents et souvent opposés. Mais c’est ce dialogue-là qui nous intéresse. L’idée de cet Institut écocitoyen n’était pas de mettre la poussière sous le tapis, en disant « Tout va bien aller, maintenant ».

On a décidé au contraire de continuer la lutte, ou plutôt de pouvoir bénéficier de la controverse, parce qu’elle suscite des pistes d’études pour combler les lacunes de connaissances. En général, quand on n’est pas d’accord, c’est qu’il y a une connaissance qui manque. C’est ce qu’e l’on identifie et qui nous permet de savoir sur quoi nous allons devoir travailler.

Comment interviennent les citoyens dans ce processus ? Ils ne sont pas directement représentés dans l’association, si je comprends bien.

Ce sont souvent les citoyens qui sont la source de nos études

Avec les citoyens, il y a un rapport tout à fait spécial. Les citoyens en tant qu’individus sont présents au sein de l’Institut à travers l’observatoire citoyen de l’environnement — qu’on appelle aussi VOCE : Volontaires pour l’Observation citoyenne de l’Environnement. Ce sont des individus lambda qui accompagnent nos activités, en tant qu’usagers de l’environnement, et en tant que personnes qui connaissent leur territoire. Ils sont un peu plus de 120 bénévoles, formés à l’observation autour de cinq protocoles, selon l’usage qu’ils ont de l’environnement.

Par exemple, s’ils ont un bateau, on leur propose d’aller mesurer les paramètres hydrologiques en mer. S’ils font de la randonnée, on leur propose d’observer la biodiversité lichénique pour témoigner de la qualité de l’air, etc. Ils nous font donc remonter des données. Mais ce qu’on a constaté avec l’expérience, c’est qu’ils nous font surtout remonter leurs questionnements.

Ce sont souvent les citoyens qui sont la source de nos études, lorsqu’ils nous interrogent. « Pourquoi est-ce que ça fume ? Pourquoi est-ce que l’eau change de couleur en fonction du temps ? » Ce sont des questions qui sont souvent très simplement formulées. Mais pour les transformer en questionnement scientifique, il faut travailler avec eux.

C’est cette dynamique-là qui nous motive : la transformation de leurs questions, de leurs craintes et parfois même de leur colère, en une problématique scientifique. Et c’est à ce moment-là que l’on fait intervenir des chercheurs.

 

Justement, comment est-ce que vous mobilisez les chercheurs ? Vous disposez de compétences à l’intérieur de l’équipe ? Ou bien vous faites intervenir des universitaires, voire des bureaux d’étude ?

Nous avons des relations multiples avec le monde scientifique

Cela dépend vraiment du sujet.

On a d’abord des scientifiques qui sont membres de l’Institut, qui s’inscrivent au sein de l’association en tant que chercheurs et qui contribuent à ce titre à la puissance d’analyse de l’association, au sein du conseil scientifique.

Il y a également des scientifiques au sein de laboratoires ou de bureaux d’études qui peuvent être missionnés par l’Institut à travers un partenariat ou un contrat. Par exemple, on a un contrat avec le laboratoire départemental de la Drôme : ce n’est pas une structure de recherche, c’est un laboratoire avec lequel on développe des protocoles d’analyse de micropolluants.

Nous avons donc des relations multiples avec le monde scientifique, en fonction de nos besoins.  

Par exemple, lorsqu’une question émerge des citoyens, comment faites-vous pour y répondre ?

Le citoyen s’adresse à l’équipe comme à une sorte de guichet en santé environnementale

On dispose d’abord d’une équipe constituée d’une dizaine de personnes compétentes en chimie de l’environnement, en toxicologie et en épidémiologie. Cette équipe, c’est un peu le chef d’orchestre, le coordinateur de tous les partenaires qui tournent autour de l’Institut.

Un citoyen va par exemple nous téléphoner ou nous envoyer un e-mail, pour interpeller l’équipe de l’Institut, qui va interagir avec lui et établir un premier contact, et mieux comprendre la problématique. Ensuite, cette équipe va constituer un consortium d’experts, ou de recherche, pour y répondre.

Soit l’équipe lui répond directement, parce que la réponse à sa question existe déjà ; soit cette réponse n’existe pas, et à ce moment-là c’est l’Institut et le consortium de laboratoires qui vont tenter d’y répondre par une nouvelle étude.

C’est ce qui nourrit le programme d’études de l’Institut : le citoyen s’adresse à l’équipe comme à une sorte de guichet en santé environnementale. Ensuite, c’est ce guichet qui va organiser le partenariat pour pouvoir répondre à la question posée par le citoyen, l’association ou la collectivité. 

Quelles sont les principales plus-values d’une telle démarche, d’après l’expérience que vous en avez à Fos-sur-Mer ?

La confiance issue de ces quinze ans de relation avec les exploitants industriels paie aujourd’hui

On se rend compte que le dialogue évolue énormément depuis une dizaine d’années. Les gens se parlent sur un autre ton, et en profondeur. C’est aussi un phénomène culturel, on vit dans une région qui a l’habitude d’inventer des dispositifs qui rassemblent les acteurs, un peu sur le principe du Grenelle. Grâce à cela, nous avons une pluralité d’acteurs qui s’expriment, et les gens ont appris à se parler, quels que soient leurs intérêts.

Quand on met la connaissance scientifique au cœur de ce mode d’échanges, cela permet d’aller beaucoup plus loin et d’apaiser le débat, tout en maintenant son intensité. Cela permet de mettre des mots scientifiques et une métrologie sur des exigences ou des questionnements. Cela permet aussi de parler de méthode : comment sont mesurés les polluants, quelles sont les limites des procédures employées, pourquoi ne mesure-t-on que 10 polluants dans l’air en continu ?

Les citoyens peuvent avoir des réponses de la part de l’Institut leur disant que cette étude répond à telle question, mais pas à telle autre. C’est ce qui fait évoluer le dialogue : en allant plus loin dans la compréhension des sujets.

Il y a une autre plus-value, également, sur le plan technique. On a parlé des citoyens et des collectivités, mais il y a d’autres acteurs qui sont extrêmement importants, ce sont les exploitants industriels, parce que ce sont aussi des décideurs : ils ont les capacités d’investir, de modifier leurs modes de production ou d’installer des filtres, par exemple. La vocation de l’Institut, c’est aussi de travailler avec les exploitants pour contribuer à modifier les conditions de production, afin de réduire les émissions environnementales.

Ce que l’on observe, c’est que les entreprises s’ouvrent de plus en plus. La confiance issue de ces quinze ans de relation avec les exploitants industriels paie aujourd’hui. On arrive à obtenir des données environnementales qu’on ne parvenait pas à avoir avant, ce qui nous permet d’avoir une vision plus précise et d’avancer plus rapidement dans nos interprétations.

Dans le même temps, de nouveaux polluants émergent sans cesse, avec des impacts souvent moins faciles à identifier. On peut penser aux PFAS par exemple, ou à d’autres micropolluants. Est-ce que cela ne rend pas le travail d’observation et d’interpellation de la société plus compliqué ?

Des chercheurs se sont demandé pourquoi on mesurait les PFAS différemment en Belgique, aux Pays-Bas et en France

Cela correspond vraiment à la vocation de l’Institut : on travaille sur des polluants qui ne sont pas connus. Tout ce qui nous a amenés à étudier une substance particulière était toujours dû au hasard, c’est-à-dire au fait que, à un moment donné, quelqu’un se pose une question, ou un journaliste va faire des prélèvements quelque part, etc.

N’importe quel évènement peut engendrer un questionnement sur un polluant invisible. C’est là qu’il faut avoir les oreilles ouvertes, sinon on ne fera rien, on ne verra pas cette question. L’un des principes des Instituts écocitoyens est de garder l’oreille ouverte sur les questions de pollution qui se posent sur un territoire.

Les PFAS, par exemple, on travaillait dessus depuis à peine six mois, au moment du confinement. On s’y est d’abord intéressés pour une question de métrologie : des chercheurs se sont demandé pourquoi on mesurait les PFAS différemment en Belgique, aux Pays-Bas et en France. Leur interrogation était vraiment sur la méthode de mesure. Ils sont venus nous voir et nous avons lancé une étude sur les méthodes de mesure des PFAS.

C’est à ce moment que Vert de rage est intervenu [en révélant une importante pollution aux PFAS dans le sud de la métropole lyonnaise, NDA]. Nous étions déjà engagés sur cette question et nous avions par ailleurs une relation avec la Métropole de Lyon, suite à une étude de bio-imprégnation humaine réalisée en 2018. Les conditions étaient donc réunies pour intervenir auprès de la Métropole de Lyon, avec cette fois-ci une étude de bio-imprégnation aux PFAS.

 

Justement, quels sont les acteurs qui viennent vous solliciter sur un territoire autre que celui de Fos-sur-Mer, aujourd’hui ? Des collectivités locales, des citoyens, des associations ?

Nous avons un partenariat technique et scientifique avec Amaris pour entendre les doléances et les questions des collectivités

En règle générale, ce sont des collectivités locales ou des collectifs de citoyens.

Les citoyens, ce sont l’essentiel de nos contacts : toutes les semaines, on est contactés par des gens qui vivent par exemple près d’une centrale à bitume, ou près de n’importe quelle installation qui crée des nuisances et des inquiétudes. En général, on leur répond sur le plan méthodologique, on les conseille sur ce qu’il faudrait faire, mais on n’a évidemment pas la capacité d’intervenir partout et tout le temps en dehors de notre territoire.

Les collectivités nous contactent également, et c’est pour cette raison que nous avons établi un partenariat avec l’association Amaris, qui réunit des collectivités concernées par des risques industriels, avec des Métropoles comme Lyon, Marseille ou Dunkerque, mais aussi de plus petites villes. Nous avons un partenariat technique et scientifique avec Amaris pour entendre les doléances et les questions des collectivités. On s’organise petit à petit sur le territoire pour répondre le plus efficacement possible à leurs besoins.

Il existe aujourd’hui des Instituts écocitoyens sur plusieurs territoires différents. Des structures proches existent également sur d’autres territoires. Est-ce que vous envisagez de créer un réseau, ou d’apporter une expertise pour créer de tels organismes là où les collectivités seraient demandeuses ?

L’intérêt des Instituts repose sur la capacité d’écoute

Pour l’instant, c’est au coup par coup, parce que les Instituts écocitoyens se créent dans des conditions un peu spéciales, propres aux contextes locaux. Ce n’est pas quelque chose qui se décide à partir de Fos-sur-Mer. Il y a un besoin qui émerge quelque part, et à ce moment-là, on peut l’accompagner. Mais l’idée, c’est de créer des structures qui resteront territoriales, c’est-à-dire gérées par des acteurs locaux, attachés à un territoire et à ses caractéristiques environnementales.

C’est important, parce que l’intérêt des Instituts repose sur la capacité d’écoute, il faut donc avoir quelque chose de concret à offrir : une équipe présente sur le territoire, et un consortium d’acteurs qui gèrent la structure. Ce principe de territorialité est très important.

Un autre grand enjeu pour nous, c’est de nous structurer au niveau national. Aujourd’hui, il y a trois Instituts écocitoyens : dans l’Aude, à Fos et dans la vallée de l’Arve. Un quatrième va être créé à Lyon, et un autre est en gestation à Montreuil. On commence donc à avoir un réseau d’Instituts écocitoyens, auquel s’ajoutent les structures assez semblables, comme l’Observatoire local de santé à Dunkerque, ou l’Institut citoyen près de Nantes.

L’idée serait peut-être de faire un réseau, en commençant par s’entendre sur des champs d’action et des principes communs de fonctionnement.

S’il y avait par exemple une charte entre ces organismes, quels en seraient les principes d’action les plus importants, selon vous ?

La participation citoyenne à tous les niveaux de fonctionnement d’un Institut, c’est un principe très fort

Un des premiers principes d’action serait peut-être d’ordre scientifique : il s’agit d’affirmer que les Instituts écocitoyens devraient étudier tous les polluants au sein d’une seule et même équipe. L’idée est de traverser les silos. En effet, les experts sont obligés de se spécialiser sur tel ou tel polluant, mais l’objet d’un Institut écocitoyen est d’adresser plusieurs silos en même temps.

Le second principe, c’est de toujours associer l’environnement et la santé. Un Institut écocitoyen s’occupe de santé environnementale.

Le troisième principe, c’est bien entendu l’importance de la participation citoyenne. Un Institut écocitoyen devrait se doter d’un organe dédié à l’action citoyenne et à son expression. En tout cas, la participation citoyenne à tous les niveaux de fonctionnement d’un Institut, c’est un principe très fort.

De tels Instituts ont évidemment un coût. Comment les financer ? Est-ce qu’il y a un modèle économique qui se dégage aujourd’hui ?

Une activité polluante qui dégage des profits doit aussi contribuer à financer la réduction de cette pollution

Le modèle économique n’est pas clairement défini. Ce qui est certain, c’est que les collectivités seront toujours contributrices. Si une collectivité s’engage sur la création d’un Institut, je pense qu’il faut qu’elle contribue au moins pour partie à son fonctionnement.

Une autre partie des financements provient des projets en tant que tels. À Fos-sur-Mer, l’Institut écocitoyen se finance beaucoup sur des appels à projets de l’Ademe, de la Fondation de France ou de l’Agence nationale de la recherche, par exemple. Cela nous permet d’avancer sur certaines questions, tout en étant financés.

Une troisième piste, qui ne nous concerne pas encore, mais qui s’impose aujourd’hui, serait de faire participer les acteurs industriels, sur le principe du pollueur-payeur. C’est un sujet à part entière. Il faut se demander comment on inscrit les acteurs industriels de façon volontaire — parce qu’il ne s’agit pas forcément de faire les choses de manière coercitive dans un premier temps — en regardant quels sont les intérêts qu’ils pourraient retirer de l’existence d’un Institut écocitoyen.

C’est une question assez passionnante, qui tourne autour de l’idée qu’une activité polluante qui dégage des profits doit aussi contribuer à financer la réduction de cette pollution. La piste serait donc de demander aux industriels une telle contribution, sachant que dans le même temps les financements publics se tarissent de plus en plus.