Je peux répondre pour le cas de changements de pratiques en matière de consommation d’énergie, sur lesquels je travaille beaucoup, que ce soit il y a quelques années lors du déploiement des compteurs LINKY et GAZPAR ou dans mes travaux récents pour l’ADEME.
Lors de nos recherches, nous avons vu qu’il y avait un triptyque récurrent pour changer les pratiques : le processus cognitif et culturel, le processus social et le volet matériel.
Le premier pilier regroupe donc deux éléments : le cognitif comprend notamment toutes les informations et connaissances dont un individu dispose sur ses propres consommations d’énergie. Ces connaissances sont bien-sûr importantes, mais pas suffisantes. Pour engendrer un changement de long terme, il est nécessaire que les personnes aient une culture de ce qui consomme de l’énergie et de ce qui n’en consomme pas. Il faut qu’elles aient conscience des pratiques qui permettent de diminuer sa consommation énergétique ainsi qu’une capacité à auto-analyser sa propre consommation. Par exemple utiliser un wattmètre en parallèle de l’information transmise par le compteur LINKY (qui est une indication de la consommation globale du logement), pour déterminer quels appareils consomment le plus dans le logement. L’enjeu ici, c’est de prendre une habitude de réflexivité énergétique, et cela ne peut pas simplement passer par une information sur la consommation, d’où l’association de cognitif et de culturel.
Le second aspect fondamental pour un changement durable, c’est le volet social dudit changement. On ne peut pas changer durablement ses consommations d’énergie seul dans son coin. Les individus ont besoin d’une relation qui sera support au changement. Elle peut prendre des formes diverses : coaching par un expert au domicile, conseiller d’un espace info-énergie, accompagnement en petits groupes, organisé par un professionnel ou par les habitants eux-mêmes. Le dispositif Famille A Energie Positive (FAEP), devenu DECLIC, est un excellent exemple de ces dynamiques sociales, et du fait que les groupes soutiennent et valorisent les changements de pratiques.
Le troisième volet du triptyque est le matériel (et sa qualité) indispensable à la réduction de la consommation énergétique. La pérennité du changement de pratiques demande de modifier le système d’objets énergivores possédés par les individus, et donc de faire évoluer le matériel détenu. Cela peut être des évolutions assez basiques, comme de mettre en place une multiprise avec bouton ON/OFF qui permet à son possesseur de couper l’ensemble des appareils branchés dessus en un seul geste, plutôt que de les débrancher un à un. Le renouvellement du matériel peut aussi être le changement d’un vieux réfrigérateur pour un modèle plus récent et plus performant énergétiquement. Sans garder l’ancien comme appoint bien sûr ! C’est d’ailleurs là que la réflexivité énergétique dont je parlais prend tout son sens : il faut avoir conscience qu’il ne suffit pas d’avoir un réfrigérateur performant pour moins consommer, il faut se débarrasser de l’ancien et changer ses habitudes de consommation.
Les potentiels dispositifs créés pour aider à changer les pratiques ont intérêt à s’appuyer sur ces piliers, qui doivent s’articuler pour massifier le changement et l’ancrer dans la société. Les compteurs LINKY ou GAZPAR ne peuvent par exemple pas suffire à engendrer des pratiques de réduction de la consommation énergétique. Leur avantage, c’est qu’ils sont déployés à grande échelle, mais cela représente aussi un inconvénient : l’État ou les collectivités ne peuvent pas s’adapter et former et sensibiliser les individus à la culture de la réduction énergétique, qui doit venir en parallèle de ce déploiement. Il est important que les institutions publiques fassent le lien entre la mise en place des compteurs et des acteurs locaux plus à même de porter des discours de sensibilisation adaptés à chaque territoire spécifique. Ce peut être les bailleurs, les associations, etc., l’important étant de les mobiliser en parallèle.