Cette évolution est le fruit d’un long processus, impulsé notamment par les rapports scientifiques sur la gravité de la situation climatique, qui se succèdent depuis au moins le début des années 1990. Ce processus s’est accéléré avec le rapport Dantec — Roux de 2019. La représentation nationale s’est saisie de ces sujets, en réponse aux préoccupations croissantes des élus locaux.
En effet, depuis 20 ans, ces derniers font face aux manifestations de plus en plus fortes et visibles du changement climatique avec des événements climatiques extrêmes auxquels ils n’étaient pas habitués ou dont l’intensité était inédite : sécheresse, incendies, inondations, pluies torrentielles…
La période post-COVID a pu être un accélérateur, du fait des tensions et incompréhensions sur la façon dont l’État avait géré la crise. Je retiens notamment le sentiment de solitude des acteurs locaux, face à une situation qui les dépassait et à une action gouvernementale pas toujours lisible ou suffisamment coordonnée, qui a mis les élus et les personnels sous pression. La nécessité de prévenir les crises et leur cortège de drames humains, de paupérisation et d’effondrement économique, est devenue prioritaire.
L’émergence de l’adaptation dans le débat public repose sur le travail de conviction entre scientifiques et élus, et sur le sentiment que l’action étatique n’est pas en capacité de protéger à elle seule les territoires. Cette évolution est renforcée par l’effort de lobbying des acteurs de l’assurance qui interpellent l’État sur le fait que certains risques vont devenir inassurables. Enfin, les impacts de plus en plus visibles sur l’agriculture, avec des crises qui se succèdent, montrent l’impréparation du pays.
Enfin, la publication du 6e rapport d’évaluation du GIEC, en 2022, a été un choc. Ce rapport démontre avec certitude les causes humaines du réchauffement, son ampleur et ses impacts observés et projetés sur les sociétés humaines. La science est désormais en mesure de prouver que le niveau de réchauffement et l’érosion de la biodiversité constituent des limites dures à l’adaptation des humains.
Les sociétés se sont toujours adaptées — au prix de nombreux morts —, mais elles n’ont jamais connu, dans l’histoire de l’Humanité, une perturbation aussi rapide et aussi intense. Les experts du GIEC alertent par conséquent sur le fait qu’au-delà d’un certain seuil, c’est l’habitabilité de la planète, ou du moins, de certains territoires, qui est en cause.
Tout cela a convaincu le ministre Christophe Béchu de faire de l’adaptation un sujet central, en fixant comme cible une adaptation à un réchauffement de 4 °C pour la France à horizon 2100, ce qui correspond à un réchauffement de la planète d’environ 3 °C. C’est un scénario réaliste, puisque c’est le réchauffement attendu si le monde poursuit la trajectoire actuelle d’émission.
La mise à l’agenda politique de l’adaptation correspond donc à une prise de conscience accélérée de certains élus locaux, à l’action de certains parlementaires qui s’appuient sur la parole des scientifiques et, à la volonté politique d’un ministre, qui sait que les partisans de l’inaction vont utiliser l’adaptation comme prétexte pour ne pas réduire les émissions de gaz à effet de serre, arguant qu’on s’adaptera puisqu’on s’est toujours adapté.