Vous êtes ici :

Magali Reghezza-Zitt, géographe : « Seule la réussite de l’atténuation du changement climatique rend l’adaptation possible »

Interview de Magali Reghezza-Zitt

spécialiste des questions environnementales et urbaines et ancienne membre du Haut Conseil pour le Climat

Hausse des températures, montée des eaux, multiplication des événements météorologiques extrêmes : l’adaptation aux impacts du changement climatique devient un défi majeur pour nos sociétés. 

Cette adaptation constitue donc un élément essentiel de la réponse globale au changement climatique, en complément de l’atténuation, qui vise à limiter l’ampleur du réchauffement.

Comment cette question du changement climatique se pose-t-elle pour une métropole comme Lyon aujourd’hui ?

Comment préserver l’habitabilité de nos villes, malgré de fortes chaleurs ?

Plus largement, comment faire évoluer les politiques territoriales autour de ces enjeux ?

Quels rôles reconnaître aux citoyens-habitants, élus locaux, et professionnels du public et du privé dans l’élaboration d’une nouvelle vision de l’action publique ?

Pour y répondre, nous avons interrogé Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en géographie, spécialiste des questions environnementales et urbaines et ancienne membre du Haut Conseil pour le Climat.

Réalisée par :

Date : 16/06/2025

Quels sont les enjeux d’adaptation pour notre pays, au regard de la hausse des températures et de la multiplication des catastrophes naturelles ?

L’atténuation d’aujourd’hui seule peut nous assurer un futur vivable pour tous

Je voudrais d’abord insister sur quelques points clés nécessaires à la bonne compréhension du sujet.

Tant que la neutralité carbone n’est pas atteinte au niveau mondial, le réchauffement climatique se poursuit. Mais ce réchauffement s’arrête quasiment au moment où on arrive à cette neutralité carbone, et la température mondiale se stabilisera au niveau qu’elle aura atteint à ce moment-là. Concrètement, cela signifie qu’on ne reviendra pas en arrière. Ni nos enfants ni nos petits enfants ne connaîtront le climat que nos parents ou nos arrière-grands-parents ont connu.

Il faut donc marteler que seule la réussite de l’atténuation, via la réduction des émissions humaines de gaz à effet de serre, rend l’adaptation possible, car le niveau de réchauffement reste une limite dure à l’adaptation. Chaque dixième de degré compte, car les impacts sur la biodiversité et sur les événements climatiques extrêmes sont irréversibles et exponentiels.

Dernier point : il n’y a pas d’inertie climatique. Ce sont les émissions actuelles qui déterminent notre climat de demain. C’est donc l’atténuation d’aujourd’hui qui seule peut nous assurer un futur vivable pour tous.

La question de l’adaptation au changement climatique prend une place croissante dans les médias. Comment interprétez-vous cette évolution ?

La mise à l’agenda politique de l’adaptation correspond donc à une prise de conscience

Cette évolution est le fruit d’un long processus, impulsé notamment par les rapports scientifiques sur la gravité de la situation climatique, qui se succèdent depuis au moins le début des années 1990. Ce processus s’est accéléré avec le rapport Dantec — Roux de 2019. La représentation nationale s’est saisie de ces sujets, en réponse aux préoccupations croissantes des élus locaux.

En effet, depuis 20 ans, ces derniers font face aux manifestations de plus en plus fortes et visibles du changement climatique avec des événements climatiques extrêmes auxquels ils n’étaient pas habitués ou dont l’intensité était inédite : sécheresse, incendies, inondations, pluies torrentielles…

La période post-COVID a pu être un accélérateur, du fait des tensions et incompréhensions sur la façon dont l’État avait géré la crise. Je retiens notamment le sentiment de solitude des acteurs locaux, face à une situation qui les dépassait et à une action gouvernementale pas toujours lisible ou suffisamment coordonnée, qui a mis les élus et les personnels sous pression. La nécessité de prévenir les crises et leur cortège de drames humains, de paupérisation et d’effondrement économique, est devenue prioritaire.

L’émergence de l’adaptation dans le débat public repose sur le travail de conviction entre scientifiques et élus, et sur le sentiment que l’action étatique n’est pas en capacité de protéger à elle seule les territoires. Cette évolution est renforcée par l’effort de lobbying des acteurs de l’assurance qui interpellent l’État sur le fait que certains risques vont devenir inassurables. Enfin, les impacts de plus en plus visibles sur l’agriculture, avec des crises qui se succèdent, montrent l’impréparation du pays.

Enfin, la publication du 6e rapport d’évaluation du GIEC, en 2022, a été un choc. Ce rapport démontre avec certitude les causes humaines du réchauffement, son ampleur et ses impacts observés et projetés sur les sociétés humaines. La science est désormais en mesure de prouver que le niveau de réchauffement et l’érosion de la biodiversité constituent des limites dures à l’adaptation des humains.

Les sociétés se sont toujours adaptées — au prix de nombreux morts —, mais elles n’ont jamais connu, dans l’histoire de l’Humanité, une perturbation aussi rapide et aussi intense. Les experts du GIEC alertent par conséquent sur le fait qu’au-delà d’un certain seuil, c’est l’habitabilité de la planète, ou du moins, de certains territoires, qui est en cause.

Tout cela a convaincu le ministre Christophe Béchu de faire de l’adaptation un sujet central, en fixant comme cible une adaptation à un réchauffement de 4 °C pour la France à horizon 2100, ce qui correspond à un réchauffement de la planète d’environ 3 °C. C’est un scénario réaliste, puisque c’est le réchauffement attendu si le monde poursuit la trajectoire actuelle d’émission.

La mise à l’agenda politique de l’adaptation correspond donc à une prise de conscience accélérée de certains élus locaux, à l’action de certains parlementaires qui s’appuient sur la parole des scientifiques et, à la volonté politique d’un ministre, qui sait que les partisans de l’inaction vont utiliser l’adaptation comme prétexte pour ne pas réduire les émissions de gaz à effet de serre, arguant qu’on s’adaptera puisqu’on s’est toujours adapté.

 

Lors d’une conférence organisée par France Stratégie et l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) en janvier 2023, Christophe Béchu a appelé à s’adapter à une trajectoire à + 4 degrés. En quoi cette décision a-t-elle marqué un tournant ?

Atténuation et adaptation ne s’opposent pas et l’une ne va pas sans l’autre

Il s’agit à la fois d’un tournant et d’une prise de risque, car cette proposition pourrait alimenter soit le discours fataliste — disant qu’il est trop tard pour atténuer/diminuer nos émissions, il faut désormais nos adapter au climat qui change invariablement — soit le discours « rassuriste » — disant qu’on saura bien s’adapter aux évolutions climatiques, comme par le passé, grâce au progrès technique et à notre capacité d’adaptation in situ.

Dire « Notre pays doit s’adapter à +4 °C », c’est devoir éviter un double écueil :

  • Renoncer à l’atténuation ;
  • Ou se résigner et renvoyer l’effort d’adaptation au niveau local.

Atténuation et adaptation ne s’opposent pas et l’une ne va pas sans l’autre. Les actions d’atténuation bénéficient à l’adaptation et vice-versa — elles peuvent amplifier le potentiel d’atténuation. Et les deux apportent des bénéfices économiques et sociaux non négligeables, qu’on a tendance à oublier : meilleure santé, meilleure qualité de vie, pouvoir d’achat augmenté, création d’emplois, etc.

Pourquoi craigniez-vous que la stratégie d’adaptation renvoie l’action climatique nationale et gouvernementale à l’échelon local ?

L’action d’adaptation est forcément locale, sectorielle et spécialisée

Conférer un pouvoir d’action aux échelons locaux ne doit pas être un transfert à sens uniques des coûts et des responsabilités, avec un désengagement de l’État. On a plus que jamais besoin d’une stratégie nationale, voire européenne, car les choix opérés auront des conséquences sur les territoires environnants. On a donc besoin d’un État stratège, qui oriente l’action, qui distribue les moyens de façon juste, qui arbitre, compense, accompagne, sanctionne parfois, afin de permettre une action locale à la hauteur des enjeux. Et cette action doit marcher sur deux jambes complémentaires : adapter le territoire, tout en réduisant les émissions.

L’action d’adaptation est forcément locale, sectorielle et spécialisée, mais la coordination, le financement, la répartition des moyens, la mobilisation et le pilotage des ressources et capacités sont nécessairement nationaux. Tous les territoires ne sont pas égaux en termes d’exposition, de fragilités, de ressources. L’adaptation ne doit donc pas juste renvoyer les territoires et acteurs locaux à la charge de s’adapter sans les outiller ni les accompagner.

C’est pareil pour l’atténuation. Il y a par exemple des territoires très émetteurs, mais qui produisent les biens et ressources distribués et consommés ailleurs, et d’autres, très peu émetteurs, mais qui vivent grâce au carbone émis ailleurs. Il faut faire tenir ensemble tous ces territoires face aux changements climatiques qui vont bouleverser nos vies.

On parle beaucoup de complexité. Il faut imaginer l’action climatique comme un engrenage avec de multiples pièces. Seules, elles ne font pas grand-chose. C’est lorsqu’elles s’emboîtent et travaillent ensemble que le mécanisme fonctionne. Et pour cela, on a besoin d’un horloger qui pense le mécanisme, qui ajuste et qui met si nécessaire de l’huile dans les rouages.

J’alerte sur le fait que le déficit de moyens et le cadre d’action actuel, le PNACC 3, ne doivent pas
amener à imaginer que la vision locale suffit à régler le problème et que les territoires fonctionnent en isolat. Mettre en œuvre l’adaptation, c’est d’abord créer un cercle vertueux en articulant l’action des échelons locaux, en construisant localement les conditions qui vont rendre possible l’action individuelle. S’il ne le fait pas, on condamne les élus locaux à gérer des crises permanentes ou successives.

C’est une erreur d’imaginer qu’il faut attendre que les autres fassent d’abord pour faire soi-même. Le problème du réchauffement climatique est un problème systémique qui fait que nous dépendons tous les uns des autres. Nous sommes solidaires pour le meilleur et pour le pire. « Réussir et s’en sortir ensemble, ou tomber ensemble. »

 

Nombre de jours de vagues de chaleur et cumul annuel de jours de précipitation — Scénario +4 °C, enveloppes basses (à gauche), médianes (au centre) et enveloppes hautes (à droite)© MTECT, 2024

Ces débats sur l’adaptation au changement climatique sont-ils le signe d’une véritable prise de conscience des enjeux écologiques et des limites planétaires ?

Nous avons pris l’habitude que nos désirs de consommation soient satisfaits, y compris pour des « besoins » inutiles

Notre difficulté à penser les limites planétaires est fondamentalement ancrée dans nos imaginaires collectifs, car notre rapport à l’environnement est hérité de la modernité occidentale. René Descartes rappelait que les Humains aspirent à devenir comme « maîtres et possesseurs de la Nature », grâce aux progrès des sciences et des techniques, qui a effectivement permis de repousser de façon continue les contraintes et limites, qui pesaient sur les sociétés.

Les décideurs publics et privés ont beaucoup de mal à accepter l’idée qu’il y ait les limites infranchissables à notre développement. Les lois de la physique ne sont pas négociables. Peu importe la nationalité de la molécule de CO₂ ou la raison pour laquelle elle a été émise : quand elle vient s’accumuler dans l’atmosphère, elle augmente le réchauffement. Tout l’enjeu de la politique publique, du local au national et à l’international, est d’accepter que, désormais, le cadre d’action dans lequel on se déploie — notre environnement — ne puisse être exploité sans conséquences ni soumis infiniment à nos désirs.

Dans les pays riches ou dans les catégories aisées, nous avons pris l’habitude que nos désirs de consommation soient satisfaits, y compris et surtout pour des « besoins » inutiles. Peu importent les effets sur le milieu ou les conditions sociales et humaines dans lesquelles les biens et les services sont produits. C’est moins ce que l’on consomme que le fait de consommer qui l’emporte. Consommer est un marqueur social, qui dit vos revenus et votre place dans la société. Le plus prime sur le mieux.

Il faut désormais composer avec les limites planétaires et nous ajuster au cadre des ressources réellement disponibles, parce qu’il n’est pas négociable, et parce que des aménagements marginaux de cette manière de consommer, et donc de produire, ne seront pas suffisants. Mettre le sujet de l’adaptation dans le débat public, c’est dire que oui, il est possible, dans une certaine mesure, de répondre au changement climatique actuel et futur en déployant l’ensemble des solutions techniques, juridiques, économiques, sociales et institutionnelles pour protéger le vivant et les populations. Mais cela ne suffira pas.

Cela signifie-t-il que l’adaptation est à notre portée ?

L’adaptation est une opportunité pour transformer la société et réduire nos vulnérabilités

Il faut avoir conscience que plus le climat se réchauffe, plus l’adaptation pour tous sera impossible, car l’ensemble des paramètres qui permettent de satisfaire nos besoins vitaux va se dégrader de plus en plus.

Le choix du PNACC 3 (France à + 4°) est difficile politiquement, même s’il s’appuie sur des démonstrations scientifiques, mais il s’impose à nous. Il s’agit d’une ligne de crête exigeante et difficile à suivre dans la période actuelle.

Ce qui se joue, ce sont les vies humaines et la régression de tout ce qui caractérise le progrès humain : l’aggravation des inégalités, la baisse de tous les indicateurs de développement humain comme l’éducation, la santé ou le travail. Il est indispensable que les responsables politiques, qui ont cette charge et cette légitimité, assument leur rôle, s’emparent de ces enjeux et nous disent où et comment ils veulent nous y conduire. Il faut que nos dirigeants ouvrent la voie avec une vision, un discours, une stratégie. Ça vaut pour l’État, bien sûr, mais aussi pour les élus locaux.

L’adaptation est une opportunité pour transformer la société et réduire nos vulnérabilités, dont la cause profonde se trouve dans les inégalités. C’est le rôle de la puissance publique de les réduire, par la redistribution ou la croissance économique et son ruissellement, à chacun sa vision. Nous avons encore les moyens d’agir pour résorber les causes premières de l’inadaptation, à condition de ne pas rester dans une logique réactive et curative, alors que les crises seront notre quotidien à horizon 2050. Plus on tarde, plus on se condamne à réagir par de mauvaises réponses.

 

11 CHANTIERS POUR L’ADAPTATION DE LA FRANCE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE 1. PILOTER ET ANIMER LES POLITIQUES D’ADAPTATION AUX NIVEAUX NATIONAL, RÉGIONAL ET LOCAL 2. PROTÉGER DURABLEMENT LA RESSOURCE EN EAU 3. ANTICIPER ET PRÉVENIR LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LA SANTÉ 4. RENFORCER LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ CIVILE POUR SUIVRE UNE EXTENSION DES RISQUES 5. PÉRENNISER LE NIVEAU DE PRÉVENTION DES RISQUES NATURELS MALGRÉ UN CLIMAT QUI CHANGE 7. TENIR COMPTE DU CLIMAT FUTUR LORS DE LA CONSTRUCTION ET LA RÉNOVATION DES BÂTIMENTS 8. GARANTIR LA RÉSILIENCE DES RÉSEAUX ET INFRASTRUCTURES D’IMPORTANCE VITALE : TRANSPORT, EAU, ÉNERGIE 9. ACCOMPAGNER LA RECOMPOSITION DES TERRITOIRES LITTORAUX FACE À LA MONTÉE DU NIVEAU DE LA MER 6. REPENSER LES VILLES POUR LUTTER CONTRE L’EFFET D’ILOT DE CHALEUR URBAIN 10. AGIR POUR DES FORÊTS RÉSILIENTES ET UN MAINTIEN DES SERVICES QU’ELLES RENDENT 11. ACCOMPAGNER LA DIVERSIFICATION ET LA TRANSITION DES ÉCONOMIES DE MONTAGNE

Comment traduire cela concrètement dans nos villes ?

S’adapter, c’est réorienter nos modes de vie

Dans une métropole comme Lyon, concernée par les canicules, cela implique des programmes de végétalisation pour lutter contre ces îlots de chaleur. Cela passe aussi par un changement de matériaux, ou une réflexion sur la couleur pour avoir des surfaces blanches qui réfléchissent les rayons du soleil. L’adaptation passe aussi par un meilleur accès au soin et une politique de santé publique digne de ce nom, car une santé physique ou mentale dégradée vous rend plus vulnérable.

La création d’îlots de fraîcheur, sur nos places, nos quais et nos quartiers, permet d’améliorer le confort, mais aussi d’agir en faveur de la cohésion sociale. Des espaces publics de qualité, si possible piétons ou favorisant les mobilités décarbonées comme le vélo, où la pollution de l’air et le bruit sont réduits, sont une bonne façon de maintenir la sociabilité, la qualité de vie en journée, dans des rues, sur des espaces de passage.

Idem avec l’installation de bornes fontaines, qui permettent aux publics fragiles d’accéder à l’eau en période critique. Il va falloir aussi adapter les écoles, les bâtiments qui reçoivent du public, les transports en commun, pour que la vie puisse continuer en périodes de forte chaleur. Il faudra aussi agir sur le bâti et l’urbanisme pour que les nuits soient vivables et que le phénomène d’îlot de chaleur urbain se réduise.

Nous avons besoin d’espaces adaptés aux impacts pérennes du changement climatique, mais qui servent aussi de ressources en cas de crise. Le développement du froid urbain est essentiel, en gardant à l’esprit qu’il y aura moins d’eau et beaucoup de demandes énergétiques décarbonées à l’avenir. Nous devrons intégrer l’adaptation dans des projets qui débordent l’adaptation et y contribuent, tout en réduisant les facteurs de vulnérabilités.

Nous devrons décliner ce réflexe « adaptation à la chaleur » dans l’ensemble des politiques publiques, a minima pour sensibiliser et in fine renforcer les capacités d’adaptation des habitants et acteurs du territoire. C’est exactement ce qu’ont exprimé les citoyens de la Convention métropolitaine pour le climat.

S’adapter, c’est réorienter nos modes de vie vers moins de consommation, moins de pollution et moins de gaspillage. L’agriculture urbaine est un bon exemple : ce n’est évidemment pas LA solution pour devenir autosuffisant, mais cela contribue à créer un écosystème local de solidarités, utile en temps de crise.

L’État a présenté au printemps son PNACC 3 et décline au niveau régional sa politique de territorialisation de la planification écologique, à travers les COP régionales. De son côté, la Métropole finalise ce mois-ci son processus de révision de son Plan Climat Air Énergie territorial (PCAET). Ces actions donnent à voir les leviers d’intervention dont dispose la puissance publique pour impulser, planifier et mettre en œuvre une politique nationale d’adaptation. Quel rôle imaginez-vous pour les acteurs privés et le tissu économique ?

Nos entreprises souffrent d’un déficit d’investissement

J’ai la conviction que c’est là que la partie se gagnera ou se perdra. L’action du secteur économique, les producteurs de biens et services, est déterminante, dans un contexte global tendu par les crises macroéconomiques et géopolitiques.

Cette mobilisation générale autour du climat est rendue plus compliquée depuis que le tissu économique des TPE/PME est en difficulté, alors que la chaîne de valeur favorise les grandes entreprises. La guerre en Ukraine et la crise Covid ont eu des effets directs sur le prix des matières premières, énergétiques et agricoles, et en particulier sur les ressources nécessaires à la transition comme les terres rares, pour lesquelles nous ne sommes ni souverains ni autosuffisants. Ces tensions fragilisent ces entreprises.

Nous allons également devoir reconvertir ou réorienter des métiers et des compétences dans l’industrie et l’agriculture, et former aux métiers de demain. On aura besoin d’agriculteurs, de jardiniers, d’énergéticiens, de métiers du bâtiment pour rénover et isoles, etc.

La France agit à travers son programme France 2030 et sa stratégie nationale de Recherche & Développement, mais il manque encore une stratégie européenne, avec par exemple une évolution de la Politique agricole commune (PAC), qui ne finance pas suffisamment la transition agroalimentaire, pourtant un des rares secteurs où nous pouvons garantir notre souveraineté et stocker du carbone. Nous attendons également une stratégie de réindustrialisation bas-carbone pour transformer l’appareil productif.

Nos entreprises souffrent d’un déficit d’investissement, elles demeurent vulnérables face au changement climatique et aux délocalisations. La décarbonation devient un levier « positif » de protectionnisme. Un bon exemple est le fait que nous n’avons pas assez investi sur les véhicules électriques, ou les énergies renouvelables, à l’inverse de la Chine par exemple, ou des États-Unis qui sont plus autonomes que les Européens dans leur accès aux ressources, pour des raisons géographiques, diplomatiques et même militaires.

 

Quels liens voyez-vous entre action climatique et souveraineté ?

Il faut sortir d’une vision purement technique de l’adaptation

Ils sont nombreux, d’abord au niveau des solutions climat positives pour notre souveraineté : réduire notre facture énergétique et notre dépendance envers les producteurs d’énergie fossile, réduire notre dépendance au commerce international et flux intercontinentaux, relocaliser notre industrie, diminuer notre dette, etc. Nous commençons à pâtir de ce manque de marge de manœuvre pour apporter nos propres réponses robustes aux crises écologiques.

L’Europe est très dépendante des autres continents dans son accès aux matériaux critiques et n’a pas de vraie politique en matière de ressources. Certains secteurs stratégiques sont au bord de l’effondrement. Pendant la pandémie, nous avons réalisé que les masques et les médicaments étaient très majoritairement produits ailleurs. Les pénuries de médicaments ne sont pas résolues.

Au moment de réindustrialiser et de reterritorialiser notre appareil productif, nous aurons besoin d’énormément de compétences, de savoir-faire dont nous manquons aujourd’hui alors que les ressources humaines sont là et que les Français aspirent à avoir un emploi, qui permette de vivre dignement et qui a du sens. C’est aussi ce que peut offrir la transition.

Il ne faut pas uniquement adapter les entreprises au changement climatique, mais aussi tendre vers la souveraineté sur les ressources, les connaissances, les compétences et les brevets, former la main-d’œuvre, accompagner la reconversion de certains emplois.

Au niveau des collectivités, il faudra faire converger développement économique, emploi et formation pour soutenir la stratégie climatique locale. Cela renvoie directement aux compétences des Régions sur la formation continue et les infrastructures, et à celles des Métropoles et intercommunalités sur l’aménagement et le développement économique.

Nous devrons intégrer les diagnostics de ressources et vulnérabilités dans les schémas stratégiques régionaux et intercommunaux, afin de prendre en compte les contraintes et les besoins dans chaque territoire.

Il faut donc sortir d’une vision purement technique de l’adaptation pour aller vers un nouveau modèle, en lien avec une approche globale, qui n’exclut pas la technique, mais la subordonne aux besoins des sociétés et des individus au lieu d’en faire une fin en soi. La technique ne remplace pas l’action climatique et les transformations de fond qu’elle exige : elle appuie ces transformations, et peut en atténuer certains coûts ou en maximiser les bénéfices.

Vous évoquiez tout à l’heure la Convention pour le climat, qui s’est tenue de septembre à janvier derniers, sous l’égide de la Métropole de Lyon. Selon vous, comment articuler les prises de décisions stratégiques à la vie démocratique ? Les dispositifs de participation citoyenne peuvent-ils être un levier ?

Notre pays est riche de sa vie associative, qui porte des projets denses

La démocratie participative ne doit pas se substituer à la démocratie représentative, déjà affaiblie et qui perdrait sa force et sa légitimité s’il elle était dissoute dans une multitude de démarches consultatives et participatives. La participation et la consultation sont nécessaires, mais ont des limites. Par exemple, il y a une exclusion des publics qui n’ont pas le temps ou les capitaux culturels pour s’impliquer, ne maîtrisant pas la langue, les concepts, et n’osent pas prendre la parole.

L’aménagement d’une métropole implique, par définition, plus que les simples habitants. Il y a ceux qui y travaillent, ceux qui y passent, ceux qui viennent faire du tourisme, etc. Il faut concilier de nombreux usages et la concertation peut se révéler contre-productive si une approche microlocale l’emporte sur les autres.

Ensuite, il ne faut pas faire des microconsultations sur des sujets déconnectés des grands enjeux, dans un contexte de transformation globale de la ville. Une multitude de concertations sur une multitude de petits projets ne fait ni un projet urbain ni de société, ni une stratégie collective. Il faut partager et diffuser une vision métropolitaine pour assumer un rôle de « collectivité stratège », rendu légitime par le suffrage et les compétences dont elle dispose.

Enfin, notre pays est riche de sa vie associative, qui porte des projets denses, dans lesquels se cultivent la démocratie locale, la cohésion, l’entraide, la solidarité, l’agilité, l’échange, l’interconnaissance, les liens entre la nature, la ville et ses habitants. Nous pouvons y faire naître de nouvelles formes de participation qui favorisent la sensibilisation, la formation et l’implication des citoyens dans des actions protéiformes, comme la réserve citoyenne, et dans lesquelles l’adaptation trouve sa place. L’adaptation doit irriguer l’ensemble des espaces existants et les transformer en opportunités, mais elle ne peut pas uniquement se réaliser dans ces espaces.

 

Pour finir, quelles seraient vos recommandations pour adapter la Métropole de Lyon ?

Les compétences métiers convergent pour offrir des solutions aux besoins de la population

Ce serait d’abord un message de mobilisation ! En 2025, la société a les moyens d’agir. C’est l’action d’aujourd’hui qui fera la différence. Nous préparons notre futur : celui de nos enfants, mais aussi le nôtre. En 2050, si nous continuons ainsi, la France se sera réchauffée de près de 2,7 °C. Et 2050, c’est demain.

Il est possible d’agir collectivement pour voir des bénéfices immédiats. À l’inverse, plus les crises climatiques et écologiques se succèdent, plus l’éventail d’actions se restreint, plus les efforts seront coûteux et plus les bénéfices s’avéreront difficiles à répartir.

Ce serait aussi un message de confiance sur la capacité d’action de votre collectivité. La Métropole parle beaucoup plus d’adaptation qu’avant et c’est très positif. On a vu depuis 30 ans au Grand Lyon une succession des concepts (écologie urbaine, développement durable, transition, résilience, adaptation) qui ont d’ores et déjà porté leurs fruits, peu importe le nom. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la montée en compétence des équipes, des services qui tournent autour des mêmes enjeux.

Les concepts d’écologie urbaine et de développement durable alimentent la stratégie d’adaptation. Ce nouveau référentiel sert une nouvelle fois à mettre les acteurs autour de la table, à définir des méthodes de travail, pour capitaliser sur des connaissances et savoir-faire. Elles sont riches et nombreuses à Lyon, et ces savoir-faire techniques sont un capital qui a fructifié au fil du temps. La continuité des services et des politiques métropolitaines est un atout majeur de cette collectivité.

À chaque fois qu’il y a eu une volonté ou une vision politique, vos élus ont pu trouver l’expertise nécessaire en interne pour mettre en œuvre les politiques publiques de transition. Au regard des urgences, c’est une ressource indispensable. Les compétences métiers convergent pour offrir des solutions aux besoins de la population. Votre administration a une forte culture de l’aménagement et de l’urbanisme, avec évidemment des faiblesses, mais qui n’en a pas ? Mais la Métropole me semble globalement bien armée pour s’adapter à la nouvelle donne climatique, à condition que les élus aient le courage de s’emparer du sujet à bras-le-corps et de proposer un projet à la hauteur des enjeux.