Juin 2022, les eurodéputés réunis à Strasbourg votent en faveur la fin de la vente des véhicules neufs thermiques (essence, diesel et hybrides) en 2035. Une décision historique qui envoie un signal clair à la filière automobile et aux consommateurs : l’avenir est au véhicule électrique.
Indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la décarbonation des transports est une tâche ardue au vu de leur dépendance à l’égard des combustibles fossiles. Si les leviers ne manquent pas pour agir à la fois sur l’offre (modes de transport bas-carbone) et la demande (fréquence et distance des déplacements) de transport, le passage du moteur thermique au moteur électrique est celui qui concentre le plus d’attention de la part des décideurs. En permettant la substitution de carburants fossiles par l’électricité, le couple « moteur électrique + batterie » offre un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre majeur.
Pour le comprendre, cet article rappelle tout d’abord le poids des transports, et en particulier des voitures particulières, dans les émissions de gaz de serre. Il souligne ensuite l’impasse des moteurs thermiques dans un contexte de « SUV-ification » du parc automobile, ce qui met en lumière les atouts des véhicules électriques (VE) pour abaisser les émissions liées aux déplacements automobiles. Il est important également de mentionner d’autres atouts au plan des consommations d’énergie, de la souveraineté énergétique, de la pollution de l’air ou encore des coûts d’entretien des véhicules.
Les voitures particulières concentrent les enjeux de décarbonation des transports
Rappelons tout d’abord qu’en France, les transports sont le secteur le plus consommateur d’énergie — il draine 1/3 de la consommation d’énergie finale nationale en 2023 —, le plus dépendant des énergies fossiles — qui représentent 90 % de la consommation d’énergie des transports — et le plus émetteur de gaz à effet de serre — il pèse environ 1/3 des émissions nationales totales (ministère de la Transition écologique, 2024a et 2024b).
Mais quels modes de transport sont les plus émetteurs ? Il s’agit sans conteste des déplacements en voitures particulières (ministère de la Transition écologique, 2024b), qui représentent plus de la moitié des émissions des transports, soit in fine 18 % des émissions annuelles de la France ! Qui plus est, les émissions des voitures particulières, et plus largement des transports, n’ont pas reculé depuis 1990, à la différence de tous les autres secteurs (industrie, résidentiel, tertiaire, agriculture, etc.).
Une première conclusion s’impose : la décarbonation des transports concerne d’abord et avant tout les voitures particulières, et appelle une action volontariste au vu des tendances de la dernière décennie.
La baisse des émissions unitaires des véhicules thermiques se heurte au boom des SUV
Si l’option de l’électrification s’impose à l’agenda politique, c’est d’abord parce que les progrès incrémentaux sur les motorisations thermiques ont atteint leurs limites (Geffray et Hermine, 2023 ; Babet et Trevien, 2023 ; Alochet et coll., 2025). Les données historiques sur les émissions unitaires des véhicules neufs montrent une tendance à la baisse jusqu’au milieu des années 2010, avant de stagner par la suite en raison du recul des motorisations diesel au profit des motorisations essence suite au « Dieselgate » et, surtout, de l’essor des véhicules de type SUV (Sport Utility Vehicule).
Phénomène mondial, la « SUV-ification » du marché automobile renvoie au choix des constructeurs automobiles d’appliquer les codes esthétiques des véhicules tout-terrain dans tous les segments automobiles afin de réaliser de meilleures marges par véhicule (Larivière, 2023, 2025). Les SUV sont en effet plus hauts, plus larges, plus lourds et plus puissants que les voitures standards. Plus chers à l’achat, ils se révèlent aussi plus consommateurs de carburant et donc plus émetteurs de CO₂ (WWF, 2020).
En favorisant l’embonpoint des véhicules, l’arrivée des SUV vient contrebalancer les améliorations apportées aux motorisations thermiques. Une publication du ministère de la Transition écologique indique en effet que les voitures exclusivement thermiques de moins d’une tonne émettent 139 gCO₂e/km en moyenne en 2021, contre 252 gCO₂e/km pour celles de plus de deux tonnes (Babet et Trevien, 2023).
Tandis que la part de marché des SUV atteint près de 40 % en France (Ademe, Car Labelling) et davantage à l’échelle mondiale, les conséquences sur les émissions ne se sont pas fait attendre. Un rapport du WWF indique que, sur la période 2008-2018, l’essor des SUV a constitué la 2e source de croissance des émissions françaises de GES derrière le transport aérien (WWF, 2020).
La Stratégie nationale bas-carbone adoptée en 2020 ne s’y trompe pas. Constatant un net dépassement du budget carbone alloué au secteur des transports pour la période 2015-2018, la SNBC estime que « La stagnation des émissions dans le secteur des transports s’explique notamment par la faible amélioration des performances des véhicules neufs » (ministère de la Transition écologique, 2020).
Dans ce contexte, si elle ne remet pas en question la tendance en faveur des SUV, l’électrification des motorisations apparaît comme une voie de bifurcation pour mettre le marché automobile sur les rails de la décarbonation.
Focus : L’augmentation tendancielle du poids et du prix des véhicules résulte aussi… des réglementations européennes Les stratégies marketing des constructeurs en faveur du « toujours plus » résultent aussi de l’évolution de la réglementation européenne sur la sécurité et les émissions de CO₂ des véhicules comme le souligne un récent rapport de La Fabrique de l’Industrie (Alochet et coll., 2025). Si les exigences en matière de sécurité passive (renforcement de la carrosserie, pare-chocs avant, épaisseur du parebrise, etc.) sont un facteur majeur de l’augmentation du poids des véhicules, les dispositifs technologiques de sécurité active (systèmes embarqués d’aide à la conduite) ont quant à eux une incidence importante sur le coût des véhicules. Or, l’intégration de ces équipements réglementaires représente proportionnellement une part plus importante des coûts de production des petits véhicules, ce qui incite les constructeurs à abandonner ces véhicules ou à leur ajouter des équipements réservés jusque-là aux modèles haut de gamme afin de justifier de l’inflation des prix auprès du consommateur. Les auteurs de l’étude déplorent ainsi une approche en silo qui ne permet pas d’anticiper les conséquences des exigences sécuritaires en matière d’impact environnemental et de coût des véhicules. De plus, l’inflation du poids des véhicules est également encouragée par la réglementation sur les émissions relative aux émissions de CO₂ des véhicules neufs mises en place en 2009. Dans son principe, celle-ci impose à chaque constructeur que les véhicules vendus sur le marché européen ne dépassent pas, en moyenne, un certain niveau d’émissions par kilomètre, ce dernier devant suivre une trajectoire à la baisse au fil du temps. Toutefois, sous la pression des constructeurs allemands de véhicules premium, ce plafond d’émission a été ajusté en fonction du poids moyen des voitures vendues par chaque marque (Pardi, 2022). En pratique, un constructeur commercialisant des véhicules plus lourds que la moyenne bénéficie d’un plafond d’émissions plus élevé que l’objectif cible européen, et inversement pour les constructeurs commercialisant des véhicules moins lourds (voir visuel ci-dessous). Dit autrement, la Commission européenne a mis en place une réglementation qui non seulement ne décourageait pas la dérive vers des voitures plus lourdes et plus puissantes, mais pénalisait de surcroît les constructeurs automobiles qui ne la suivaient pas. Il aura fallu attendre le 1er janvier 2025 pour que les règles du jeu soient inversées : désormais, plus le poids moyen des véhicules vendus par un constructeur est élevé et plus l’effort de réduction des émissions de CO₂ est important. |
En France, une voiture électrique émet 2 à 3 fois moins de carbone sur l’ensemble de son cycle de vie que son équivalent thermique…
Dans un avis récent sur les véhicules électriques et leurs usages (Ademe, 2022), l’Ademe se penche sur l’impact carbone des véhicules sur l’ensemble de leur cycle de vie, c’est-à-dire en prenant en compte la phase d’utilisation ainsi que la fabrication en amont.
Qu’il soit thermique ou électrique, n’importe quel véhicule a un impact carbone avant même d’avoir parcouru le moindre kilomètre en raison de sa fabrication. Or, parce qu’ils nécessitent d’extraire et de transformer une plus grande quantité et diversité de métaux comparativement à leurs équivalents thermiques, les véhicules électriques partent avec une « dette carbone » plus élevée, d’un facteur 2 à 3 selon l’Ademe. En revanche, affranchis des carburants fossiles, les VE permettent de « réduire considérablement les émissions de carbone à l’usage, d’un facteur 10 pour une recharge à partir d’électricité à faible contenu carbone comme c’est le cas en France ».
C’est ce faible impact à l’usage qui fait toute la différence avec les véhicules thermiques, comme le montre le graphique ci-dessous issu de la publication de l’Ademe. Il permet de comparer les impacts carbone de différents types de véhicules sur 200 000 km en intégrant les impacts liés à la fabrication. Sur l’axe vertical à gauche, on voit que la fabrication des VE est plus émettrice de carbone. Mais cet impact carbone initial plus élevé est ensuite largement compensé à l’usage. À droite du graphique, les émissions cumulées au fil des kilomètres sont largement inférieures pour les VE.
Ainsi, « Sur l’ensemble de sa durée de vie, une voiture électrique roulant en France a un impact carbone 2 à 3 fois inférieur à celui d’un modèle similaire thermique », selon l’Ademe. Des conclusions largement convergentes avec d’autres évaluations compilées par Aurélien Bigo dans un article récent (Bigo, 2023a). Du reste, le GIEC ne dit pas autre chose dans son dernier rapport (IPCC, 2023) : « Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas-carbone offrent le plus grand potentiel de décarbonisation pour le transport terrestre, en analyse de cycle de vie. »
… mais ce bénéfice climatique dépend fortement de la taille du véhicule et de sa batterie
L’avis de l’Ademe appelle à la vigilance : tous les VE ne se valent pas du point de vue du climat. Comme l’indique le graphique de l’Ademe présenté plus haut, une citadine électrique (en jaune) fait mieux que le véhicule thermique (en bleu) au bout de quelques kilomètres parcourus seulement, tandis qu’il faut attendre 100 000 km pour un SUV électrique. D’une manière générale, la citadine électrique offre un potentiel de réduction des émissions nettement plus élevé : au bout de 200 000 km, elle affiche un bilan carbone environ 3,6 fois inférieur à celui du véhicule thermique, contre 1,6 pour le SUV électrique.
Cet écart n’est pas lié à l’usage mais à la fabrication des véhicules. De fait, un véhicule plus grand et plus lourd nécessite une batterie de taille supérieure pour un même niveau d’autonomie, ce qui entraîne mécaniquement un impact carbone plus élevé de la fabrication. Pour le dire autrement, « L’impact carbone d’un véhicule électrique augmente quasiment proportionnellement à son poids, lui-même fortement impacté par la capacité de stockage de sa batterie ». Cela signifie que la minimisation du bilan carbone du VE se joue avant tout à l’étape de fabrication, ce qui conduit l’Ademe à formuler cette recommandation :
« Il convient de choisir un modèle aussi léger aussi léger et efficace que possible, dont la consommation réduite permet une bonne exploitation de la capacité de batterie installée (typiquement < 60 kWh, ce qui peut permettre jusqu’à 450 km d’autonomie homologuée sur une berline compacte) ».
Focus : Pourquoi les véhicules hybrides ne sont pas la solution L’avis de l’Ademe prend soin également de se prononcer sur les véhicules hybrides rechargeables — c’est-à-dire dotés d’une double motorisation thermique et électrique, et donc d’un réservoir à carburant et d’une batterie électrique — dont les ventes ont fortement progressé ces dernières années. Leur « pertinence est toutefois conditionnée par le fait que tous les trajets inférieurs à l’autonomie électrique du véhicule soient effectivement réalisés en mode électrique pur », ce qui est rarement le cas dans la pratique (Larivière, 2025). L’Ademe observe également que « Le marché des hybrides rechargeables s’est majoritairement orienté vers des modèles considérablement plus lourds et encombrants que la moyenne des ventes, les rendant fortement émetteurs de CO₂ en mode hybride (quand leur batterie est déchargée), et incompatibles avec le principe d’une optimisation de consommation énergétique. » |
Efficacité énergétique : un autre atout méconnu du véhicule électrique
Un aspect moins présent, et pourtant décisif dans les débats sur les avantages et limites des véhicules électriques, concerne les différences de rendement énergétique entre motorisation thermique et motorisation électrique. De quoi s’agit-il ? De la part de l’énergie contenue dans le réservoir ou la batterie qui est effectivement convertie en énergie mécanique par le moteur.
Selon Thomas Gibon, chercheur au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), un moteur thermique présente un rendement énergétique de seulement 30 à 40 % environ. Cela veut donc dire que la plus grande partie de l’énergie consommée est perdue lors de la combustion sous la forme de dissipation de chaleur. En revanche, la chaîne de propulsion électrique offre un rendement global situé entre 80 et 90 %, soit un rendement 2 à 4 fois supérieur à celui des moteurs thermiques.
Grâce au rendement énergétique de leur moteurs, les véhicules électriques affichent ainsi une consommation énergétique par kilomètre parcouru nettement moindre que les véhicules thermiques, comme le montre le graphique ci-dessous. De même, les pompes à chaleur sont beaucoup plus efficaces que les meilleures chaudières à gaz actuelles, atteignant des rendements allant jusqu’à 400 %, contre 90 % pour les chaudières à gaz (Pahud et coll., 2023).
Ces gains d’efficacité énergétique permis par l’électrification des usages jouent un rôle déterminant dans l’atteinte des objectifs de scénarios de transition énergétique, tels que le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence Internationale de l’Énergie (International Energy Agency, 2023a). Dans ce scénario, l’électrification du parc automobile permet de réduire de 2/3 la consommation d’énergie des déplacements en voiture et de 99 % leurs émissions de carbone, tout en assurant une augmentation de 57 % des volumes de déplacements !
Souveraineté, pouvoir d’achat, santé… Les véhicules électriques recèlent encore d’autres atouts
Alors que la voiture thermique a créé une dépendance étroite de la France à l’égard des pays producteurs de pétrole (qui explique une large partie du déficit commercial de la France), le véhicule électrique peut être alimenté via une production électrique made in France et bas-carbone, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque).
Le parc de véhicules électriques peut d’ailleurs fournir un levier précieux pour accompagner le développement des énergies renouvelables intermittentes : des capacités de stockage (Philibert, 2024 ; Ademe, 2022). Toutefois, parce qu’elle nécessite de grandes quantités de métaux, la fabrication des batteries pourrait entraîner une autre forme de dépendance à l’égard d’un certain nombre de matériaux extraits et raffinés ailleurs dans le monde : lithium, cobalt, manganèse, nickel, graphite, cuivre, etc. (Eyl-Mazzega et coll., 2023) - dépendance proportionnelle encore une fois à la taille des batteries et véhicules.
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, le VE s’avère économique pour l’utilisateur. Dans son avis, l’Ademe souligne en effet que : « Sur toute sa durée de vie et malgré un coût d’investissement encore supérieur, le coût complet d’un véhicule électrique rechargé à domicile est équivalent, voire inférieur à celui d’un véhicule thermique dès aujourd’hui ».
Comme l’indique le graphique ci-dessous, cet avantage est dû à des coûts d’entretien et à un coût du « plein » inférieurs à ceux des véhicules thermiques. Le budget mensuel d’achat d’énergie d’un conducteur typique (80 % de recharge à domicile et 20 % de recharges sur des bornes publiques) représente en moyenne un tiers de celui d’un conducteur de véhicule thermique (Philibert, 2024).
Le coût complet sur 15 ans d’un véhicule électrique compact avec une batterie de 40 kWh est ainsi de 8 000 € plus faible que son homologue essence. Mais, une fois encore, ce constat n’est plus vrai au-delà d’une certaine taille de véhicule : par exemple, pour un véhicule avec une batterie de taille supérieure (Électrique 80 kWh), le surcoût d’investissement rend le coût complet défavorable.
Dernier argument avancé par l’Ademe, le véhicule électrique présente également des bénéfices pour la santé et la qualité de vie en ville puisqu’il n’émet, par définition, aucun polluant d’échappement et a l’avantage d’être silencieux à basse vitesse.
Vers une combinaison électrification/sobriété ?
Que retenir de ce bref tout d’horizon ? Tout d’abord qu’agir sur les émissions des voitures particulières, celles utilisées par les ménages et les entreprises au quotidien, est indispensable pour atteindre la neutralité carbone.
Ensuite, dès lors que l’usage de la voiture ne va pas disparaître du jour au lendemain dans un monde façonné par l’accessibilité routière, la sortie des énergies fossiles suppose une rupture technologique pour passer à un vecteur énergétique bas-carbone. Et c’est bien cela qu’offre le véhicule électrique, avec à la clé un levier d’abattement des émissions de gaz à effet de serre considérable. Il est important également de garder en tête les autres co-bénéfices du véhicule électrique pour l’efficacité et la souveraineté énergétiques, pour la santé et même pour le pouvoir d’achat.
Toutefois, le tableau n’est pas idyllique pour autant. Électrifier un parc automobile en voie de SUV-ification soulève le risque que les bénéfices escomptés ne soient pas au rendez-vous. Plus les véhicules électriques sont de grande taille, plus leur bilan carbone se dégrade, plus ils consomment de matières premières et d’énergie, et moins ils sont accessibles financièrement aux ménages…
De plus, la voiture électrique est loin de supprimer tous les inconvénients de la voiture en général (Bigo, 2023b ; Larivière, 2025 ; Alochet et coll., 2025). Demeurent la pollution sonore liée aux frottements du véhicule avec l’air et la chaussée au-delà d’une certaine vitesse, ainsi que les émissions de particules induites par l’usure des freins, des pneus et de la chaussée (émissions qui augmentent avec la taille des véhicules…), l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols liées aux infrastructures routières (et l’émiettement des milieux naturels qui en découle), les milliers de blessés et décès provoqués par les accidents de la route chaque année (d’autant plus dévastateurs selon le poids du véhicule), les congestions routières, etc. L’électrification est donc appelée à se conjuguer sans délai avec le principe de sobriété.