Jean-Baptiste Yvon, EFI Automotive : « Le soutien apporté par le politique a tout son sens pour aider les entreprises à investir avec confiance »
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Interview de Jean Baptiste Yvon
vice-président d’Advanced Programs d’EFI Automotive
Interview de Jean-Philippe Hermine
Ancien directeur environnement du groupe Renault, Jean-Philippe Hermine est directeur général de l’Institut Mobilités en Transition (IMT), think tank affilié à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) dédié à la transition du secteur de la mobilité et des transports.
Plateforme de dialogue et lieu de production d’analyses et de recommandations, l’IMT a pour ambition d’objectiver les enjeux environnementaux, sociaux, industriels ou politiques de la transition vers une mobilité bas-carbone.
Il accorde une attention particulière aux leviers comportementaux (report modal, limitation des kilomètres parcourus) et technologiques (électrification, carburants alternatifs), en intégrant des logiques de sobriété et d’efficience des modèles.
Si les bénéfices climatiques et sanitaires de la voiture électrique ne sont plus à démontrer, la réussite de la mutation de la filière automobile dépend encore de sa capacité à conjuguer électricité et sobriété, afin de répondre aux enjeux d’accessibilité sociale, de préservation des ressources et de pérennité industrielle.
Contributeur de plusieurs études récentes sur les enjeux de transformation de la filière automobile, Jean-Philippe Hermine décrypte les controverses dont la transition vers la voiture électrique a fait l’objet ces derniers mois.
L’Union européenne a acté la fin de la vente de voitures thermiques neuves à l’horizon 2035 en Europe. La voiture électrique fait cependant l’objet de controverses dans l’opinion publique et dans le débat politique. Comment percevez-vous ce contexte ?
Nous sommes dans une situation un peu confuse. Tous les constructeurs ont investi massivement dans la transition vers l’électrique. Ils préparent leurs gammes depuis des années. La dynamique industrielle est clairement lancée. Or, depuis quelque temps, et cela s’est accéléré durant la campagne des élections européennes, nous sommes entrés dans une phase de critiques et d’attaques de l’électrification du parc automobile. On voit ainsi que la voiture électrique fait l’objet d’une polarisation politique, ce qui n’était pas le cas auparavant. Des personnes ou des organisations qui ne se préoccupaient pas du sujet se positionnent désormais contre : cela devient un marqueur politique.
Cette évolution est problématique, car elle tend à faire sortir la rationalité du débat. Le risque est alors d’entraîner une confusion chez le consommateur sur l’intérêt de basculer vers la voiture électrique et donc une incertitude pour les industriels, dans laquelle certains d’entre eux pourraient s’engouffrer pour remettre en cause la trajectoire de décarbonation à l’horizon 2035. La Commission européenne ne souhaite pas rouvrir le débat, mais les acteurs économiques les plus fragiles pourraient faire pression pour détendre les contraintes. Je rappelle qu’il est prévu dans les textes européens une clause de revoyure en 2026.
Mais soyons clairs, procrastiner est tout sauf la solution ! Nous sommes engagés dans une course industrielle et technologique dans laquelle les constructeurs asiatiques — Corée, Chine, Japon — occupent aujourd’hui une position de leaders, avec en particulier la Chine qui bénéficie d’un large marché où l’électrique représente déjà 45 % des ventes de voitures en 2024 selon l’AIE ! Les constructeurs américains de leur côté comblent rapidement leur retard, notamment grâce au plan de soutien financier lié à l’IRA de Joe Biden.
Dans ce contexte, un report de la réglementation européenne conduirait très probablement à retarder la transformation de l’outil industriel et finalement à creuser encore plus l’écart de compétitivité avec la Chine et les États-Unis. Le risque pour les Européens est de perdre à terme une part de leur PIB, des emplois industriels à forte valeur ajoutée et d’accroître leur dépendance en matière de savoir-faire technologique tout comme leur dépendance géostratégique à des technologies clefs de la transition.
En quoi l’électrification du parc automobile est-elle indispensable à l’atteinte de la neutralité carbone ?
Il faut le dire et le répéter, car on voit bien que beaucoup d’informations erronées circulent à propos de la voiture électrique : pour décarboner le secteur des transports au niveau requis par les engagements européens et les exigences climatiques, l’électrification du parc de véhicules représente un levier incontournable. Bien entendu, d’autres leviers sont également indispensables : poursuivre le développement des transports en commun (ferroviaire, cars express haute fréquence, lignes de co-voiturage), sécuriser les autres modes (vélos notamment), assurer l’articulation entre modes de transport et, bien sûr, maîtriser la demande de mobilité…
Pour autant, la quasi-totalité des scénarios disponibles et crédibles montre que l’ensemble de ces autres leviers ne pourraient contribuer à réduire au maximum que de 20 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) des secteurs de la mobilité et du transport de marchandises d’ici 2050 en Europe. Penser que l’on pourrait se passer de l’électrique parce que l’on pourrait tout simplement se passer de la voiture n’est pas crédible. Dans des territoires façonnés par l’automobile, la voiture va demeurer importante pour nombre de ménages. Mais cela ne veut pas dire non plus que l’on peut se contenter d’électrifier un parc automobile à l’identique.
Par ailleurs, il existe d’autres carburants alternatifs, tels que le biogaz, les agrocarburants ou encore l’hydrogène décarboné, mais à ce stade ils sont clairement moins performants à la fois sur le plan énergétique et sur le plan environnemental, et ils resteront des solutions de niche dans le champ des transports routiers, car affectés à d’autres modes (fluvial, maritime, aérien, etc.).
Il est donc important de rappeler que le consensus européen de 2022 sur l’interdiction à la vente des véhicules émetteurs à partir de 2035 s’est forgé sur l’idée que le transport routier de véhicules légers ou lourds dispose désormais d’une innovation — la batterie électrique — qui a fait ses preuves depuis dix ans et permet d’envisager une sortie des énergies fossiles. Entre un véhicule électrique et un véhicule thermique équivalent, le bilan carbone sur l’ensemble du cycle de vie et pour 150 000 km est divisé par deux en Europe et même par quatre en France compte tenu de notre mix électrique très décarboné, soit -75 %. La transition vers l’électrique offre donc un levier d’abattement des émissions considérable. De plus, ce bilan carbone va continuer de s’améliorer au fur et à mesure de la décarbonation du mix électrique et de l’industrie en Europe.
Quels sont les autres bénéfices du véhicule électrique ?
Il y a le bénéfice sanitaire puisque les véhicules électriques n’émettent ni dioxyde d’azote (NOx), ni particules moteur. Leurs particules de frein sont, elles aussi, très largement réduites. Ces avantages sur le plan de la qualité de l’air constituent une motivation majeure pour pousser vers l’électrique en Chine ou en Inde et restent décisifs en Europe où la pollution de l’air urbain cause encore plus de 200 000 morts prématurées par an.
Par ailleurs, bien que les voitures électriques affichent encore un prix plus élevé que leurs équivalents thermiques, elles offrent un gain économique pour l’utilisateur. Le coût d’usage au kilomètre d’un véhicule électrique est moins élevé pour des rouleurs moyens à grands, y compris en amortissant le coût d’acquisition, du fait d’un coût énergétique 3 à 4 fois plus faible et d’un coût d’entretien réduit.
La controverse environnementale autour du véhicule électrique concerne aussi le besoin de matières (critiques en particulier) qu’implique le renouvellement du parc automobile. La transition vers l’électrique est-elle soutenable ?
L’électrification repose en effet sur l’augmentation massive de l’usage d’un certain nombre de métaux jugés critiques au regard de leur disponibilité et de la concentration de leur extraction dans quelques pays. C’est le cas en particulier du lithium, du cuivre, du nickel ou du cobalt. Les craintes sur la disponibilité sont redoublées par le décalage entre l’augmentation de la demande en batterie et le temps nécessaire pour la mise en exploitation de capacités minières supplémentaires qui représente 10 ans en moyenne. Toutefois, le sujet de la disponibilité est à relativiser pour au moins deux raisons.
La diversification des chimies des batteries peut permettre de réduire le recours, voire de se passer de certains métaux critiques. Au départ, les batteries se sont concentrées sur le cobalt et le nickel, mais maintenant on voit d’autres combinaisons prendre de l’ampleur comme la technologie Lithium Fer Phosphate. Toutefois, l’Europe fait face à une difficulté, le fait que tous les projets de gigafactories actuellement lancés soient basés uniquement sur la technologie Lithium-Nickel-Cobalt. Les chimies moins critiques et moins coûteuses ne sont maîtrisées actuellement que par les producteurs asiatiques. Il est urgent de rattraper ce retard pour disposer d’une diversité technologique en Europe.
Le second levier est celui du recyclage. Les batteries sont en effet parfaitement recyclables selon les mêmes procédés que ceux mis en œuvre pour les batteries de téléphones ou d’ordinateurs. À la différence des énergies fossiles qui partent en fumée, les métaux mobilisés pour la transition électrique pourront être réutilisés en boucle dans la chaîne de production de nouvelles batteries. Cela veut dire qu’une fois que le stock nécessaire à un parc roulant électrique sera entièrement constitué, à l’horizon 2045-2050, le recyclage pourra couvrir la majeure partie des besoins de renouvellement du parc.
L’économie circulaire, notamment sur le cycle de vie batterie, est par conséquent un enjeu consubstantiel de l’électrification. Le nouveau règlement batterie européen validé en 2023 est exemplaire de ce point de vue, en ce sens qu’il vise à créer un choc de demande en fixant des taux d’incorporation minimaux de matériaux critiques issus du recyclage dans les nouvelles batteries à partir de 2030.
En attendant le recyclage, l’extraction des métaux nécessaires soulève la question des impacts environnementaux des activités minières…
C’est un sujet sensible, qui nous place sur une ligne de crête. Il faut d’abord se rappeler que ce sujet n’apparaît pas subitement avec la voiture électrique ! L’automobile ne consomme pas subitement des métaux parce qu’elle devient électrique. Cela fait des décennies que cette filière est l’une des principales consommatrices de métaux et jusqu’ici cela ne gênait pas grand monde.
Depuis 20 ans, on a multiplié par sept la consommation en métaux dans l’automobile thermique, parce que les véhicules sont plus imposants, plus nombreux, avec plus d’électronique, etc., avec parfois des questions éthiques majeures comme sur les conditions d’extraction des platinoïdes nécessaires aux systèmes d’échappement moderne. Parallèlement, cela fait des décennies que l’Europe a tendance à fermer ses mines pour privilégier l’importation des matières premières pour irriguer l’ensemble de ses industries.
Aujourd’hui, imaginer que l’on va continuer à exporter ailleurs dans le monde tous les impacts environnementaux de nos besoins de matières n’a pas de sens. Notre position est que l’on ne peut pas conduire une transition électrique sans en assumer davantage les implications environnementales. On ne peut pas demander aux entreprises minières d’être plus vertueuses si l’on n’est pas capable de définir et de mettre en pratique les standards d’une mine responsable.
Il faut donc assumer d’ouvrir des mines sur le sol européen et d’avoir les plus hautes exigences environnementales en termes de consommation d’eau, de pollutions, de remise en état des sites, etc. Dernier point, il est indispensable également d’assumer de payer le vrai prix d’une extraction moins impactante.
La sobriété n’est-elle pas un autre levier pour répondre à cet enjeu environnemental ?
Absolument, si l’on veut réduire l’impact de l’électrification, mais aussi notre dépendance géostratégique, la sobriété doit faire partie de l’équation. Qu’est-ce que l’on entend par sobriété ? Concrètement, il s’agit de réduire aussi bien la taille du parc, c’est-à-dire le nombre de véhicules en circulation, que la taille des véhicules et des batteries. Et cela questionne bien évidemment la tendance à l’embonpoint des véhicules que l’on observe ces dernières décennies.
C’est d’ailleurs un grand manque du cadre réglementaire européen. La stratégie européenne sur les matières critiques n’envisage à ce stade aucune mesure visant à maîtriser et réduire la demande européenne en métaux critiques pendant la période périlleuse de transition. Même constat concernant le règlement Corporate Average Fuel Economy (CAFE), qui définit les seuils d’émission de CO₂/km des véhicules neufs vendus par les constructeurs. Celui-ci ne tient aucunement compte des impacts de la fabrication du véhicule ou de la batterie puisqu’il ne porte que sur les émissions à l’usage.
Pourtant, des études du WWF ou de Transport & Environnement ont montré que l’on pouvait réduire de 30 % la demande en matériaux critiques en 2030 en Europe en actionnant tous les leviers de sobriété : maîtrise de la demande par des reports modaux, dé-SUVisation du parc, retour à une segmentation de la taille des véhicules que l’on connaissait il y a une dizaine d’années, limitation de la taille des batteries. Est-ce que l’on était plus malheureux sans les SUV ? Je n’en suis pas sûr !
Alors que le prix des voitures électriques est souvent dénoncé comme inaccessible à la majorité des ménages, dans quelle mesure la sobriété peut apporter une réponse à la question sociale ?
Il faut d’abord rappeler que, là encore, l’inflation du prix des voitures est antérieure à l’arrivée de l’électrique. Toutes motorisations confondues, les prix ont augmenté de +30 % depuis 4 ans, ce qui est plus élevé que l’inflation, pourtant élevée sur la période. Pourquoi ? Parce que dans un contexte de pénuries de certains composants, les constructeurs ont préféré vendre moins de véhicules, mais plus chers, car plus gros et plus équipés, au détriment des segments citadines et compactes.
Le problème de surcoût à l’achat de véhicules électriques est donc en grande partie lié à une offre de modèles électriques originellement trop déportée sur de gros véhicules. Ce contexte inflationniste a diffusé un sentiment d’exclusion sociale à l’égard de l’électrique et renforcé le fait que les voitures neuves ne sont achetées que par une petite partie des ménages et par les entreprises. Une large part des achats de véhicules chaque année concerne l’occasion. Cela veut dire que la majeure partie des automobilistes ne choisit pas les véhicules qui sont mis sur le marché et héritent des choix des ménages qui ont encore les moyens d’acheter neuf.
Dans ce contexte, il est évident que la sobriété peut et doit contribuer à rendre le véhicule électrique plus accessible. Dans la mesure où les matériaux représentent 30 % du coût de production d’un véhicule, une offre plus frugale et efficiente en ressources, utilisant des matériaux recyclés, avec des poids et tailles de batteries raisonnables est de fait moins coûteuse. Ces véhicules sont en train d’arriver, comme les Renault R5 et Twingo, la Citroën C3, ce qui montre que les constructeurs ont compris que la disponibilité de véhicules électriques abordables était indispensable sous peine de voir le volume des ventes en Europe marquer durablement le pas.
De même, il faut faciliter le développement des micro-véhicules électriques, ce que l’on appelle les véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture électrique, en les intégrant à la réglementation sur les émissions des véhicules neufs et en adaptant les règles de circulation sur la voie publique. Enfin, il est indispensable d’imposer des quotas de véhicules zéro émission à respecter lors du renouvellement des flottes professionnelles pour accélérer l’essor du marché des véhicules électriques d’occasion.
Les constructeurs vont-ils se convertir si facilement à la sobriété, qui semble prendre le contrepied de l’imaginaire automobile promu durant des décennies ?
C’est un vrai sujet. Pendant des décennies, les États ont laissé une pleine liberté aux constructeurs dans leur relation aux consommateurs. C’est aussi pour cette raison que certains capitaines d’industrie grincent des dents face à la transition vers l’électrique, parce qu’elle coïncide avec un entrisme plus fort des pouvoirs publics dans leur business, pour toutes les raisons évoquées : climatiques, géopolitiques, écologiques, sociales… La volonté de renforcer le malus écologique sur le poids ou l’empreinte carbone des véhicules est clairement une pierre dans le jardin des constructeurs, qui doivent accepter que le politique soit légitime à définir un nouvel agenda pour la filière.
Comment orienter les constructeurs vers la sobriété ?
Pour les raisons environnementales et sociales indiquées précédemment, le cadre réglementaire européen actuel a besoin d’être complété. Dans une note récente pour Terra Nova, nous faisons plusieurs propositions pour concevoir des outils contribuant à la fois à l’objectif de compétitivité européenne et à celui de performance environnementale. De ce point de vue, le bonus écologique mis en place en France ouvre une voie prometteuse puisqu’il cible l’aide à l’achat de véhicule électrique sur ceux fabriqués en Europe et la conditionne à un score environnemental calculé en fonction de l’empreinte carbone tout au long de la chaîne d’approvisionnement et de la production.
Ce calibrage du bonus écologique a d’ores et déjà un impact discriminant vis-à-vis des modèles produits en Chine. En 2023, environ 35 % des véhicules électriques vendus en France étaient fabriqués en Chine contre 16 % en mars 2024. Ce dispositif souffre néanmoins d’un besoin de généralisation à l’échelle européenne et de l’absence d’une méthodologie standard d’évaluation de l’impact environnemental de la production des véhicules.
Quels pourraient être les impacts environnementaux à prendre en compte ?
Nous proposons que la Commission européenne définisse un « score environnemental » couvrant non seulement l’empreinte carbone de la fabrication du véhicule et de sa batterie, mais également l’efficience énergétique du véhicule (poids et coefficient d’aérodynamisme), son efficience matière (taille de la batterie en kWh et contenu en métaux critiques vierges), son niveau de circularité en termes d’intégration de matières recyclées, ou encore des critères de réparabilité de la batterie.
Développer un tel outil de mesure permettrait également de mieux informer, et donc de mieux convaincre le consommateur des bénéfices environnementaux du véhicule qu’il achète.
Si l’on revient aux enjeux industriels, on peut imaginer un scénario où les acteurs chinois domineraient le marché des véhicules électriques en Europe comme ils l’ont fait sur le photovoltaïque. Qu’en pensez-vous ?
Ce risque est à nuancer selon moi. Les constructeurs chinois bénéficient certes de capacités industrielles largement subventionnées. On estime entre 50 et 60 % les aides publiques à l’investissement et à la production en Chine alors que l’UE autorise les états membres à les financer dans une fourchette comprise entre 15 % et 35 % au maximum et sur un périmètre d’investissements et de coûts plus restreint.
Au final, les usines chinoises arrivent à produire des véhicules environ 25 % moins chers que les Européens à prestations équivalentes. Cela étant, si on cumule les charges liées au transport et les frais de douane, l’écart de compétitivité tombe, selon nos calculs, à près de 7 % pour un petit véhicule (segments A ou B) et autour de 15 % pour un véhicule moyen à gros (segments C et D). Ce sont par conséquent avant tout ces derniers qui sont exportés par les marques chinoises vers le marché européen.
Cette stratégie n’est pas nouvelle. Par le passé, les constructeurs asiatiques, japonais et coréens, ont pénétré le marché européen en exportant des segments C et D. Mais, pour ces raisons de coûts de transports, de droits de douane, de ticket d’entrée pour l’adaptation aux règles européennes et de marges plus faibles, ils ont préféré localiser en Europe la production de leurs véhicules de segments A et B. On pense par exemple à la Toyota Yaris fabriquée à Onnaing en France.
Tout cela pour dire qu’il ne faut pas fantasmer la concurrence chinoise sur la voiture électrique. Les importations de segments C et D vont être freinées par les bonus-malus écologiques, tandis que les segments A et B sont moins menacés par leurs équivalents importés et seuls quelques constructeurs chinois viendront fabriquer en Europe des véhicules de ce type.
C’est donc une raison de plus pour les constructeurs européens d’investir le marché du petit véhicule électrique ?
Il faut savoir que, pour les constructeurs européens, si les segments C et D sont les plus profitables, les segments A et B sont ceux où ils sont les plus compétitifs, et en particulier sur l’électrique. Donc en effet, il y a une opportunité à mettre le paquet sur la production de ces véhicules en Europe. Et en particulier en France, car les petits véhicules occupent historiquement une place plus forte chez les constructeurs français.
Dans une étude récente conduite en partenariat avec la Fondation pour la Nature et l’Homme, nous montrons que l’électrique est un moyen de faire revenir la production de petits véhicules dans l’hexagone, après avoir été largement délocalisée en Europe de l’Est ces dernières décennies. Le prix de revient d’un véhicule électrique est majoritairement déterminé par les dépenses d’investissement, les dépenses d’exploitation et les matières premières, tandis que la main-d’œuvre représente une part nettement plus significative dans la fabrication d’un véhicule thermique.
Pour cette raison, les arguments avancés pour mettre en concurrence les sites français avec des sites étrangers au nom du poids des charges salariales deviennent nettement moins valides s’agissant de la production des véhicules électriques. Autre atout de la France, un mix électrique qui restera durablement moins carboné qu’ailleurs en Europe et a fortiori en Chine, d’où un avantage compétitif dans le cadre du dispositif de bonus-malus.
Notre étude montre également que relocaliser la production de 700 000 véhicules de segments A et B en France d’ici 2030 permettrait de compenser les pertes d’emplois liés au fait que la fabrication d’un véhicule électrique est moins intensive en emplois que son équivalent thermique. Si l’on relie tous ces éléments, on donnerait aussi aux Français d’autres raisons que celles liées à l’écologie pour adhérer à la transition vers la voiture électrique.
Renault est un bon exemple de ce virage assumé vers l’électrique made in France avec la création d’une filiale dédiée, Ampère, et d’un nouveau cluster industriel baptisé ElectriCity dans les Hauts-de-France. Ce sont neuf modèles électriques qui seront produits sur les sites de Douai, Maubeuge et Ruitz.
Quelles sont les conditions pour favoriser le développement de cette filière française de la citadine électrique ?
Un premier sujet extrêmement important est celui du prix de l’électricité décarbonée pour les industriels. Le développement du leasing social peut également sécuriser les constructeurs en leur donnant accès à un marché captif et solvable sur plusieurs années. L’accompagnement de la transformation industrielle doit aussi viser à consolider l’écosystème des batteries au-delà des gigafactories d’assemblage, c’est-à-dire la production des matériaux actifs de cathode et leurs précurseurs, le raffinage et le recyclage des matières critiques…
Nous plaidons par ailleurs pour une coordination européenne des stratégies nationales pour créer des synergies, éviter les redondances et surcapacités, exploiter au mieux l’outil productif existant et installer un écosystème industriel complet à l’échelle européenne.
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