J’identifie trois grands piliers. D’abord, la réduction de la pauvreté des foyers, notamment les familles monoparentales plus nombreuses qu’auparavant. L’autonomisation des femmes, plus enclines à quitter des unions insatisfaisantes qu’autrefois, crée des situations de fragilité économique contre lesquelles il faut lutter pour le bien-être des enfants.
Ensuite, faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, en agissant sur le développement de centres d’accueil de petite enfance avec des horaires flexibles, sur l’accès à des logements proches du travail et sur les limites dans la généralisation d’horaires de travail atypiques. Mais, tous les territoires ne sont pas égaux face à ces exigences. Dans les zones rurales, périurbaines ou urbaines, les besoins et contraintes ne sont pas les mêmes.
Enfin, le maintien d’un système éducatif de qualité et accessible est réellement clé. Nous ne sommes pas vraiment concernés en France, grâce à la gratuité de l’enseignement public. En revanche, dans certains pays, les potentiels futurs parents ne souhaitent qu’un enfant au maximum, parce qu’élever un enfant coûte cher. Avec moins de naissances chez nous aussi, la tentation de faire des économies sur l’éducation pourrait changer la donne. Ce serait une erreur. Mieux vaut profiter de la baisse du nombre d’élèves pour améliorer le taux d’encadrement dans les classes et la qualité du système éducatif.
Plus que tout, il convient de construire une confiance sur le long terme avec l’État. Avoir un enfant représente un engagement sur le long terme, un investissement sur deux décennies au moins. Si les jeunes n’ont pas confiance dans l’aide durable du pays pour les familles, ils hésiteront encore davantage à l’idée d’avoir des enfants. Et pour que les politiques répondent véritablement aux défis du quotidien, nous devons associer les citoyens aux décisions.
En France, nous bénéficions d’un atout majeur, avec une politique familiale ancienne, puissante et inclusive. Elle aide toutes les familles, quelles qu’elles soient. Globalement, les Français ont aujourd’hui confiance dans cette politique — ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi notre indicateur de fécondité reste plus élevé qu’ailleurs en Europe.
Il est donc important que cette confiance ne se brise pas. Or, nous sommes confrontés à des évolutions récentes susceptibles de nous inquiéter : plafonnement du quotient familial en 2014 sans augmentation massive des places en crèches comme annoncé, affaiblissement du logement social, fragilisation du système éducatif public.
Inversement, des politiques directement natalistes, dont le seul objectif serait d’inciter les Français à faire plus d’enfants pour le pays, ne fonctionneraient pas. On ne va pas sauver le pays en augmentant le nombre de naissances, et les habitants ne vont pas faire plus d’enfants pour la Patrie. Comme je l’ai dit, il faut avant tout valoriser les actions en faveur des enfants et des familles. Prenons l’exemple des pays d’Europe du Nord où la collectivité effectue des efforts en direction des familles, avec des aménagements de temps partiels non pénalisants pour ceux-celles qui le choisissent, des jardins publics très sécurisés pour les enfants, des villes propres et accueillantes. Tout ce qui permet aux couples d’envisager de faire plus d’enfants sans payer le prix fort.
En résumé, les enjeux démographiques doivent être appréhendés dans leur ensemble. Je préfère des politiques qui améliorent le bien-être des habitants. Il ne faut pas isoler la question de la natalité des autres défis sociaux. L’accompagnement des personnes âgées, l’inclusion des personnes en situation de handicap, l’intégration des immigrés, tout est lié. De même, la question des aidants familiaux dépasse largement le cadre de la politique familiale. N’attendons pas que ceux qui s’occupent d’enfants ou d’autres proches, âgés ou en situation de handicap, soient complètement épuisés pour les aider.
Il reste que nous sommes encore à la croisée des chemins en termes de fécondité. La baisse de la natalité est importante, mais pas encore alarmante. Cette incertitude ne doit pas nous conduire à l’inaction, mais à investir dans des politiques qui améliorent la qualité de vie de la population, avec un meilleur service public de la petite enfance et de l’éducation, une ville plus inclusive, des aménagements pour tous et le soutien des familles et des aidants. Même si l’effet sur la natalité n’est pas direct, c’est toujours cela de pris. Des effets positifs indirects à long terme sont probables, même s’ils sont difficiles à évaluer.