Blandine Melay, service Énergie Climat du Grand Lyon : « Le climat a déjà changé chez nous. On pointe de l’anxiété chez les habitants »
Interview de Blandine Melay
Responsable du service Énergie Climat à la Métropole de Lyon
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Nous nous sommes donc retrouvées dans « le square » juste en bas de chez elle, où elle allait enfant. Nous prenons place sur un banc à l’ombre, en face des jeux. Des sons du lieu nous accompagnent : le passage du tram, les chiens qui aboient, les cris des enfants, la voisine qui demande des nouvelles…
Sur ce banc, Anissa me parle des émotions que la chaleur amplifie, de la confiance en soi fragilisée, ou encore des pratiques et concessions à faire lorsque l’on vit à plusieurs dans ce contexte.
Anissa redoute la saison estivale par peur de « surchauffer » me dit-elle. « Au milieu du printemps je me dis : “Bon sang, ça va être bientôt l’été“. Il faut que je me prépare psychologiquement : si j’ai les vêtements qu’il faut, si à l’appartement on a tout ce qu’il faut etc. ». Les fortes chaleurs accentuent son anxiété et pour me l’expliquer, elle détaille la situation d’un entretien d’embauche : « Si on tombe sur une journée à 39°C, je vais être moins à l’aise, je vais essayer de ne pas laisser paraître que j’ai chaud. Je vais plus me concentrer sur la chaleur. (…) Je me sens moins confiante quand je n’ai pas le contrôle, quand j’ai des éléments perturbateurs comme la chaleur à gérer. J’ai tellement mal vécu les étés que parfois j’appréhende plus que la réalité. Ça me bouffe une partie de l’esprit. (…) À partir de 35°C c’est beaucoup pour moi. Je suis une personne qui, quand je ne suis pas confortable physiquement, ça va me mettre un stop. Pour le Bac c’était quelque chose. (…) Je n’ai pas lu le texte du Bac de français en entier parce que j’avais tellement chaud ! La chaleur, moi ça m’anéantit genre. Je sais que c’est des mots assez forts mais c’est ça, je ne suis plus du tout productive ».
En cas de « surchauffe », elle redoute aussi certains espaces. Comme les transports en commun et leur promiscuité, alors qu’il ne fait pas bon transpirer en société : « Même quand y’a la clim, y’a tellement de gens que tu étouffes quand même » (...). Les transports, j'ai mal vécu l’été dernier, et j'appréhendais beaucoup (...) parce que je me disais : "Bah c'est bon si c'est pour transpirer comme un bœuf et arriver à mon rendez-vous telle une piscine, c'est peut-être pas la peine“. Disons que cette appréhension a occupé mon été ».
Alors, Anissa anticipe. Les yeux rivés sur les prévisions météorologiques, elle programme ses interactions sociales en fonction : « J'ai toujours cette habitude-là, de regarder le temps, la météo sur mon téléphone avant de décider ... ». En me montrant son portable : « Tu vois si on me dit : “On se voit quand ?“, je vais regarder et choisir le jour le moins chaud de la semaine. Je vais dire “Bon ben mardi“ ». Pour se déplacer dans les transports en commun, Anissa s’est équipée. Elle garde près d’elle son petit ventilateur USB, « Le meilleur achat, le plus utile que j’ai fait cette année. Il m’a fait 20 euros et ça vaut chaque euro », ou encore de sa bouteille congelée dans le tote bag « et dans les transports tu le colles contre toi ».
Anissa me parle ensuite du regard des autres pendant cette saison où les corps se dévoilent. « Non je n'osais pas du tout. J'avais beaucoup moins confiance en moi l’année dernière (…). Et oui je m'habillais en pantalon. Ou alors quand c'étaient des jupes, elles étaient vraiment très longues. Donc je subissais mes étés plus qu'autre chose ».
Depuis l’été dernier, Anissa a pris confiance en elle : « Là bon ben déjà en s'habillant avec sa saison ça va mieux (rire) ». Elle gagne ainsi en confort, et peut donc se déplacer plus loin. Elle part ailleurs, au lac de Paladru lorsqu’il y a une voiture de disponible, ou chez des amis qui ont une piscine. Un peu plus proche, il y a le parc du château ou encore Parilly pour « s’oxygéner ». Et parce que, « Les activités ça aide bien à pallier à la chaleur ».
En fin de journée, Anissa rentre chez ses parents. Avec ses frères et sœurs, ils sont sept dans un appartement situé dans le centre-ville de Saint-Priest. Chez eux, la gestion de la température, c’est un travail d’équipe : « Comme on est nombreux ça peut vite devenir invivable et désagréable ». Un protocole de « courants d’air » est mis en place dès les premières journées de surchauffe : « Quand on sait qu’il va faire chaud le matin et bien on ferme les volets du côté où il y a le soleil et on ouvre de l’autre côté et inversement. Comme ça on se préserve un maximum de la chaleur. Vu que c’est des petits appartements et ben ça chauffe très très vite ».
En dessinant la carte mentale , Anissa place six points dans l'appartement correspondant aux emplacements des ventilateurs : « Comme c'est petit chez nous (NDLR : 70 m²) et qu'on est beaucoup quand même, on ressent vite le changement de température. Parfois il fait presque plus chaud dedans que dehors... Donc oui mon père a rajouté le petit ventilateur du salon, le petit ventilateur de la chambre, celui-là… En fait on a doublé en prévoyance ». La journée, comme l’appartement est vide, les ventilateurs sont éteints et « Ça consomme beaucoup et j’ai peur que ça chauffe. On les allume quand on fait à manger et surtout la nuit. C’est surtout quand on est assis et qu’on ne bouge pas ».
Je rebondis : « Et le bruit ne te dérange pas la nuit ? ».
À cet instant, le grondement du tram se fait entendre, suivi par les aboiements des chiens du voisinage. Anissa rigole, et me dit d’un ton amusé « Le bruit me dérange ? ». Elle s’explique : « Vu que l’on est plusieurs dans un petit appartement et bien il faut savoir s’accommoder, on a tous pris l’habitude. Le ventilo, c’est le moindre mal ». (…) « Ça me dérange pas, parce que j’ai pris l’habitude. On est sept donc forcément on a toujours du bruit. Toujours quelqu’un de réveillé à un moment ». Comparé aux bruits de la rue et des membres de sa famille, le bruit du ventilateur n’est qu’un ronronnement, un doux bourdonnement qu’on oublie presque.
La climatisation mobile, ils ont testé mais cela ne semble pas adapté : « Mon père avait acheté une clim sur roulettes. Un grand machin qui ressemble à un frigo. Tu vois ? C’était pas pratique parce que l’on sortait le tuyau par la fenêtre et donc ça fait rentrer la chaleur et ça consommait beaucoup aussi et tu peux l’avoir que dans une seule pièce. Donc pas rentable et pas pratique pour nous. (…) L’année dernière on l’a allumé et finalement c’était pas pratique ça rafraîchit qu’une pièce et on est tous collés dans la même, tu vois là où ça va ! (rire) ».
« Pour l’instant ça nous va mieux de faire circuler l’air, c’est mieux que synthétiser la fraîcheur ». Pour l’instant : ces mots réveillent le stress d’Anissa, qui se projette alors sur « Ce futur déjà présent, où la chaleur est plus persistante et puis… ça va aller en empirant ».
Je l’interpelle : « Et ça t’inquiète ? ».
Elle me répond : « Tout le package "destruction de la planète" ça m'angoisse. Ça m'angoisse et puis ça pose des questions éthiques » (…) « J’appréhende mais j’essaye de ne pas non plus m’accabler. Il faut essayer de faire au quotidien que nos pratiques n’empirent pas les choses ». Anissa me cite l’exemple des ventilateurs : « Ne serait-ce que la consommation d'électricité tu vois, ça fait un peu cercle vicieux parce que finalement on a chaud donc on consomme pour mieux vivre la chose » (…) « On se préoccupe de notre confort au détriment de beaucoup de choses. Sur le long terme, c'est pas viable et c'est pas confortable ».
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