Un sentiment d’insécurité sociale et de mal être parcourt la France. Lyon n’est pas épargné. En tant que femme politique, comment appréciez-vous ce sentiment ?
Je me méfie de la notion de « sentiment ». On l’a beaucoup utilisée et médiatisée pour qualifier les difficultés de tranquillité publique et je ne pense pas qu’il s’agissait d’une manière responsable de les traiter. L’insécurité sociale n’est pas un sentiment, elle est une réalité pour des millions de gens. En revanche, je vous accorde qu’elle crée une angoisse pour tous ceux qui se sentent de moins en moins à l’abri et, plus globalement qu’elle mine l’ensemble de notre population qui perçoit la panne de l’ascenseur social.
Pierre Rosanvallon parle d’une crise plus philosophique et politique qu’économique. Partagez-vous ce point de vue ?
Les difficultés économiques de nos concitoyens sont réelles et je mesure quotidiennement leur aggravation. En outre, aux côtés des personnes en situation de forte exclusion, le nombre croissant de travailleurs pauvres qui risquent de basculer dans la précarité est une réelle et profonde préoccupation. Le pouvoir d’achat qui s’érode touche prioritairement ces ménages et pour l’instant, les outils manquent à leur égard. Pour autant, je partage l’opinion de P. Rosanvallon. Une crise économique est surmontable par des choix politiques concrets. Mais un affaissement de la confiance, une interrogation profonde des valeurs, une incapacité à se projeter dans un monde en évolution angoissent, paralysent et peuvent conduire à des choix frileux, des replis identitaires, une démission collective possiblement dangereuse et durable.
A votre avis, qu’est-ce qui permettrait de redonner aux citoyens confiance en leur avenir ?
J’esquissais la réponse : indubitablement un retour du politique. Dans un tel contexte, la tentation est grande de se concentrer sur la gestion et l’immédiateté, d’éviter les positionnements trop tranchés et de s’abriter derrière l’excuse que l’opinion ne se préoccupe que de la satisfaction de ses besoins quotidiens. Je suis convaincue du contraire, il est nécessaire de redonner un sens à l’action politique, une vision globale et ouverte, des choix assumés.
En tant qu’adjointe au Maire, vous conduisez des politiques de santé et d’action sociale voulues, puisque ces deux champs ne relèvent pas de votre compétence. Qu’est-ce qui guide votre action ?
La Ville est le point d’arrivée des sollicitations. Les élus locaux sont considérés comme des interlocuteurs en mesure d’agir sur les situations. Comment balayer ces demandes en s’abritant derrière des répartitions de compétence ? L’action sociale est le domaine de l’humain ! Nous intervenons donc dans ces secteurs, avec des objectifs qui génèrent des choix. Parce que l’insécurité sociale est multifactorielle, nous travaillons avec l’ensemble des professionnels qui agissent dans le domaine de l’accueil et de l’accompagnement des personnes, et plus les filets de sécurité s’établissent tôt, plus ils ont de chance d’être efficaces.
L’insécurité sociale peut induire une souffrance psychique. Comment une ville peut-elle se saisir d’un tel phénomène ?
Nous nous intéressons particulièrement à la souffrance psychique des jeunes. Nous avons mis en place des équipes qui développent des liens entre les travailleurs sociaux et les praticiens de la psychiatrie, pour l’accès au soin des usagers qui en sont exclus. Notre action porte également sur la prévention et la réduction des risques. Parallèlement, et sous la houlette de l’ORSPERE, nous nous interrogeons sur la souffrance psychique liée à l’exclusion.
Les maisons médicales de garde (MMG) mises en place par la Ville de Lyon sont-elles confrontées à l’évolution du sentiment d’insécurité sociale ?
Les MMG ont été mises en places -en partenariat- suite au constat d’un besoin de consultations après fermeture des cabinets, pour faire face à l’engorgement des urgences hospitalières et au désinvestissement de garde des médecins. Elles ne fonctionnent que le soir et le week-end. Ainsi, les médecins répondent-ils aux demandes de soins non programmés mais, n'étant pas les médecins traitants, n’ont pas vocation à entretenir une relation suivie avec les patients, ce qui se joue est autre.
Dans un tel contexte socio-économique, n’y a-t-il pas une limite à l’action locale ?
Oui, à l’évidence et elle génère une très grande frustration. Dans un pays qui revendique sa 4ème place parmi les grandes puissances mondiales mais où le chômage et la précarité augmentent, les acteurs de proximité sont ceux qui prennent de plein fouet la désespérance et les situations dramatiques. L’imbroglio institutionnel, pris au sens de la complexité administrative de l’action sociale, comme les choix politiques nationaux faits en matière économique ou encore les renoncements subreptices de l’Etat impactent directement le sentiment d’impuissance au niveau local. Il faut impérativement retrouver une impulsion politique globale favorable à notre société.