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Jean-Baptiste Yvon, EFI Automotive : « Le soutien apporté par le politique a tout son sens pour aider les entreprises à investir avec confiance »

Interview de Jean Baptiste Yvon

vice-président d’Advanced Programs d’EFI Automotive

Jean-Baptiste Yvon est vice-président d’Advanced Programs d’EFI Automotive, équipementier automobile basé à Beynost en région lyonnaise. Il est également depuis quinze ans vice-président du pôle de compétitivité « European Cluster for Mobility Solutions » (CARA), en charge du pôle automobile.

Dans cet entretien, Jean-Baptiste Yvon donne à voir les défis, les difficultés, mais aussi les opportunités rencontrées par la filière automobile en France et en Europe à l’heure de la mutation vers le véhicule électrique.

Leaders du véhicule thermique, les acteurs européens se retrouvent en position de challengers face à des industriels chinois conquérants.

Si l’intervention publique apparaît indispensable pour réguler la pression concurrentielle exercée par la Chine et éviter que se reproduise le destin funeste de l’industrie photovoltaïque, bien d’autres défis sont à relever pour les constructeurs et équipementiers européens.

Il s’agira de suivre un train lancé à grande vitesse, en parvenant à concilier réduction du prix des véhicules et amortissement des investissements consentis ces dernières années, innovation sur les briques technologiques clés du véhicule électrique et cohésion entre donneurs d’ordres et chaîne de fournisseurs…

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Date : 01/09/2024

Alors que la Chine mise depuis de longues années sur le développement du véhicule électrique, les constructeurs européens semblent avoir longtemps retardé la bascule. Quelle est votre lecture sur ce point ?

On ne change pas un outil de production en un claquement de doigts

Il est important de bien comprendre le contexte. On part d’une situation où les constructeurs européens étaient leaders sur le véhicule thermique, avec une nette avance technologique face à la Chine, qui, elle, n’a jamais vraiment réussi à mettre au point des moteurs essence ou diesel.

Il était donc naturel pour la Chine d’orienter son développement automobile directement vers l’électrique, d’autant plus qu’elle maîtrisait beaucoup de choses sur la chaîne de valeur : les matières premières critiques, les batteries, les moteurs électriques, un vaste marché intérieur permettant de construire des économies d’échelle… Elle a investi sur ses atouts, ce que l’on aurait fait de même.

L’Europe en revanche doit assumer son héritage industriel sur les motorisations thermiques. De nombreux sites industriels et de nombreux emplois en dépendent. On ne change pas un outil de production en un claquement de doigts. Les outils et les compétences ne sont pas les mêmes. Il faut engager des investissements très lourds qui demandent du temps.

Nous partons de plus loin, avec moins d’atouts au départ. La mutation à opérer est considérable ! Cela explique donc les craintes, les réticences qui peuvent s’exprimer. D’autant qu’un certain nombre d’acteurs regardent plutôt du côté de l’hydrogène, domaine dans lequel nous avons a priori beaucoup d’atouts.

 

Peut-on dire que les constructeurs européens sont désormais pleinement lancés vers l’électrique ?

les volumes de vente de voitures électriques restent insuffisants pour rentabiliser ces investissements

Les constructeurs sont en effet lancés à peine vitesse. Ils ont investi massivement en l’espace de quelques années dans la production de batteries et de véhicules électriques, avec en ligne de mire la fin des ventes de véhicules thermiques à l’horizon 2035 en Europe.

Malheureusement, les volumes de vente de voitures électriques restent aujourd’hui insuffisants pour atteindre le chiffre d’affaires permettant de rentabiliser ces investissements. Il faut avoir conscience que c’est une vraie déconvenue qui entraîne une période de doute pour les industriels. Ils ont pris le risque de l’investissement, mais pour l’instant ils ne trouvent pas le chiffre d’affaires attendu.

Paradoxalement, plusieurs constructeurs européens ont fait des bénéfices records ces dernières années…

Cela peut être perçu comme quelque chose de contradictoire avec ce que je viens de dire. Mais il faut comprendre que c’est une stratégie délibérée des constructeurs d’augmenter leurs marges et leurs profits pour être en mesure de financer la transition vers l’électrique.

Autrement dit, c’est un mal nécessaire pour pouvoir réinvestir. Concernant les équipementiers, les marges sont plus basses du fait d’investissements R&D sur l’électrique importants et paradoxalement d’un champ concurrentiel très fort. Ils se réorganisent actuellement pour s’adapter d’une façon remarquable.

Les petits véhicules électriques ne font-ils pas également défaut pour avoir les volumes de vente espérés ?

L'électrique coûte moins cher à l’usage et en termes d’entretien

Ces véhicules sont en train d’arriver. Aujourd’hui, il y a clairement une course pour réduire le coût des véhicules. Et pour beaucoup de constructeurs, cela passe par une stratégie de réduction de la taille et du poids des batteries, ce qui implique de pouvoir recharger plus souvent et donc facilement. Mais encore une fois, l’équation est complexe pour les industriels, car l’amortissement de leurs investissements massifs limite les possibilités de baisse du prix de vente des véhicules.

De plus, il y a d’autres facteurs qui expliquent ces volumes de vente insuffisants. D’une part, le fait que l’électrique coûte moins cher à l’usage et en termes d’entretien que les véhicules thermiques est encore largement méconnu du grand public. D’autre part, il y a encore des craintes ou des réticences sur l’autonomie des véhicules. Les ménages ont l’habitude de choisir leur véhicule principal de façon à répondre à leur besoin maximal : par exemple, partir en vacances en famille à l’autre bout de la France.

Les gens attendent le même niveau de service avec l’électrique. Or, cela implique une batterie plus importante et donc un véhicule plus cher. Les ventes patinent donc aussi parce que les gens peinent à se projeter avec un véhicule avec moins d’autonomie… Même si celle-ci est suffisante pour les besoins du quotidien.

Par ailleurs, il ne faut pas éliminer trop vite les véhicules hybrides qui vont aider à faire la transition, à la fois parce que la présence d’un moteur thermique permet de s’appuyer sur les atouts historiques de l’industrie européenne et parce que l’hybride tend à rassurer l’utilisateur concernant l’autonomie du véhicule sur les longues distances. 

 

L’industrie automobile européenne est-elle en danger ?

Les marques chinoises vont arriver en Europe à hauteur de 20 %

Oui, c’est une réalité, mais je reste confiant sur ce sujet. Les marques chinoises vont arriver en Europe à hauteur de 20 %, mais ne pourront pas remplacer toutes les marques européennes, celles-ci ont de réels atouts pour se repositionner, connaissent ce marché et sauront trouver leur place et marquer leurs différenciations. 

Faut-il repousser l’interdiction des ventes de véhicules thermiques en 2035 ?

Il y a un débat entre ceux qui estiment qu’il ne faut surtout pas revenir en arrière et foncer, et ceux qui plaident au contraire pour assouplir les échéances. Cette seconde position ne doit pas être interprétée comme un refus des industriels de répondre à l’enjeu climatique. Elle reflète avant tout leurs craintes sur le devenir de l’automobile en Europe.

Une transition plus douce aurait permis aux industriels de mieux s’organiser et de rebondir, mais je considère que ces décisions ne changeront pas. Un point récent, tout aussi important, est le report des taxes sur les véhicules thermiques qui étaient prévus l’année prochaine. Cela permettra une transition moins brutale.

L’Europe devrait-elle soutenir et protéger davantage les acteurs européens comme le font les États-Unis avec l’Inflation Reduction Act et l’augmentation massive des droits de douane sur les véhicules électriques chinois ?

L’ambition industrielle de long terme de la Chine se traduit notamment par des subventions massives aux industriels pour casser les prix de manière artificielle

Je pense que oui. Les États-Unis n’ont pas hésité à taper fort pour freiner l’importation de véhicules électriques chinois. Il est important de comprendre que la pression concurrentielle croissante exercée par la Chine entrave la capacité de l’industrie européenne à réaliser les volumes dont elle a besoin pour amortir ses investissements et accélérer la transition vers l’électrique.

Il faut rappeler sur ce point que l’ambition industrielle de long terme de la Chine se traduit notamment par des subventions massives aux industriels pour casser les prix de manière artificielle. D’ailleurs, il suffit de voir que la plupart des constructeurs chinois sont en perte ! Protéger le marché européen, c’est se donner les moyens d’empêcher cette stratégie de pourrissement pour éliminer les concurrents, comme on a pu le voir par le passé sur le photovoltaïque.

C’est dans ce type de situation que le soutien apporté par le politique a tout son sens pour aider les entreprises à investir avec plus de confiance. Les entreprises n’ont la main que sur leurs activités et leurs résultats. Elles ne peuvent contrebalancer à elles seules les stratégies commerciales d’une puissance économique comme la Chine.

Cela étant dit, il n’est pas si simple d’augmenter les droits de douane en Europe, car la Chine menace de faire de même sur les exportations européennes. Cela place les politiques face à un dilemme : faut-il protéger l’automobile au détriment d’autres filières exportatrices ?

À moyen terme, et principalement en Europe, un autre moyen de réduire la facture pour les propriétaires de véhicules électriques est de rémunérer la fonction de stockage des batteries. En clair, lors des pics de consommation le matin et le soir, l’électricité stockée dans les batteries pourrait être restituée au réseau électrique pour éviter de produire l’électricité supplémentaire nécessaire à ces moments-là.

Selon des estimations, les 10 millions de véhicules électriques que l’on compterait en France en 2028 permettraient d’éviter la production de deux réacteurs nucléaires. Saisissons-nous de cette opportunité avec les projets « Véhicle To Grid », où le véhicule fait partie de l’écosystème de l’énergie.

 

Sur quels maillons de la filière les acteurs français et européens peuvent-ils espérer tirer leur épingle du jeu ?

Il est tout aussi essentiel d’investir dans le développement de nouvelles chimies des batteries

Qu’est-ce qu’une voiture électrique ? C’est un moteur électrique, des batteries, des câbles, l’électronique de puissance et les logiciels embarqués. C’est beaucoup moins complexe qu’un véhicule thermique. Sur la fabrication des batteries, nous disposons désormais de gigafactories.

Mais il est tout aussi essentiel d’investir dans le développement de nouvelles chimies des batteries pour réduire la dépendance aux matières critiques et améliorer les performances. Beaucoup d’espoirs sont fondés notamment sur les batteries dites « solides ». La maîtrise de l’électronique de puissance constitue un autre atout en France, avec par exemple des fabricants de puces comme STMicroelectronics

Un autre challenge concerne le moteur électrique. Même si c’est une vieille « techno », il y a encore beaucoup de choses à faire ici aussi pour améliorer les performances et surtout réduire la place des matières critiques.

L’enjeu en particulier est de mettre au point des moteurs électriques sans aimants permanents, car il s’agit d’un composant de source chinoise et comprenant des terres rares. Même si l’on n’a pas pour l’instant de fleuron du moteur électrique en France, on peut évoquer ici le partenariat entre Renault et Valeo pour développer ce type de moteur.

Enfin, un autre sujet sur lequel l’ensemble des Européens se positionnent, c’est le software et les usages afin de concevoir une offre globale où l’on n’achètera plus les véhicules, mais on y accédera via du leasing ou de la location. Nous avons clairement des atouts à faire valoir pour relever ces challenges et reprendre la main !

Dans ce contexte de mutations fortes, comment se positionne votre entreprise EFI Automotive ?

Nous avons anticipé l’électrique depuis 10 ans

EFI Automotive est un équipementier automobile de rang 1, les constructeurs automobiles sont nos donneurs d’ordre directs. Je précise qu’EFI Automotive est une entreprise familiale dirigée aujourd’hui par la 5e génération des fondateurs. Notre siège social et notre principal site de production sont basés à côté de Lyon, à Beynost, et regroupent environ 600 personnes.

Le groupe représente 1 500 personnes et comprend plusieurs filiales à l’étranger : 300 personnes en Turquie, 350 en Chine à Wuhan et 150 personnes aux États-Unis en Alabama. Nous travaillons avec l’ensemble des constructeurs en Europe, en Chine et aux États-Unis.

L’une des forces de l’entreprise est justement d’avoir un portefeuille de clients diversifiés. Un point dur cependant cette année, EFI Automotive a dû réaliser un plan social à Beynost, afin de rester compétitive face à une concurrence exacerbée, car l’automobile ne reviendra pas au niveau d’activité de 2019.

Notre proposition de valeur réside dans le développement et la production de capteurs électroniques embarqués, d’actionneurs intelligents avec du software, ainsi que des systèmes mécatroniques comme par exemple des systèmes de recharge automatique de véhicule électrique.

Nous sommes donc sur des solutions complètes qui nous permettent plus facilement de rebondir que des acteurs qui ne sont positionnés que sur des pièces mécaniques. Nous avons anticipé l’électrique depuis 10 ans et avons investi lourdement dans deux familles de produits : l’électronique de puissance et les actionneurs intelligents pour les boîtes de vitesse électriques. Pour ce faire, nous avons également mis en place des alliances avec des entreprises clés.

 

Comment envisagez-vous l’activité d’EFI Automotive sur le marché du véhicule électrique d’ici 2030 ?

Les constructeurs allemands travaillent étroitement avec leur écosystème national

Nous tablons sur une croissance soutenue de l’activité sur les familles de produits que je viens d’évoquer. Cependant, nous devons faire face depuis quelque temps à une pression sur les coûts de plus en plus forte de la part des constructeurs. La situation devient délicate, car vous pouvez avoir la bonne technologie et des prix compétitifs, et malgré cela ne pas être retenu à un appel d’offres.

On voit apparaître chez certains constructeurs une sorte de dogme, avec la consigne donnée aux acheteurs de sourcer auprès de fournisseurs chinois. Ce n’est pas la tendance générale, mais cela pose question et cela marque la différence avec les constructeurs allemands, qui travaillent étroitement avec leur écosystème national.

Comme je peux le constater à travers mes discussions avec de nombreux collègues équipementiers au sein du pôle CARA, c’est un sujet de préoccupation actuel, mais je reste malgré tout confiant sur la forte capacité de déploiement à moyen terme des entreprises européennes sur ces sujets.

Au sein du pôle de compétitivité CARA, comment est abordé le développement du véhicule électrique ?

Nous nous appuyons sur l’expertise des centres de recherche d’envergure

Je rappelle que CARA s’organise autour de quatre pôles : automobile, camions-bus, ferroviaire, vélo. Le pôle automobile rassemble tous les acteurs de la filière automobile, constructeurs, équipementiers, etc., qui représentent une bonne part des 400 membres de CARA.

Le pôle est en capacité d’initier des collaborations sur le sujet de l’électrique à travers ces différentes filières. D’ailleurs, nous avons décidé de miser davantage sur les relations interfilières pour faire dialoguer automobile, camion, ferroviaire et vélo, car il y a de vraies synergies à trouver. Par exemple, dans les trains il y a énormément d’électronique de puissance, donc comment on peut utiliser dans l’automobile ce savoir-faire développé au départ dans le ferroviaire ? Voilà le type d’action que l’on aborde dans ces échanges.

Nous nous appuyons également sur l’expertise des centres de recherche d’envergure comme IFPEN, qui maîtrise la conception des moteurs électriques et le CEA sur la conception des batteries. Nous animons le développement de projets d’innovation collaboratifs entre entreprises, notamment dans le cadre de l’appel à projets Coram de l’État. Enfin, nous avons organisé les 21 et 22 novembre 2024 les « Mobility Techday », où l’on a invité des donneurs d’ordre de grands groupes pour leur présenter les innovations de la région et accélérer leur déploiement. Une vraie réussite !