Acté en 2021 par la loi Climat et résilience, l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est d’abord passé relativement inaperçu, avant de soulever à partir de 2022 une levée de boucliers du côté des élus locaux. Plus récemment, le président de la Région AURA a même menacé de ne pas appliquer la loi.
Relayée par le Sénat, cette rébellion s’est traduite par un projet de loi censé orchestrer la mise en œuvre du ZAN en rendant ce dernier davantage compatible avec les exigences de développement local.
Considérée comme un recul par certains, cette loi conserve néanmoins des objectifs ambitieux, qu’il s’agit à présent de concrétiser. Ce qui ne sera pas une mince affaire.
Le principe de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) trouve son origine dans le contexte institutionnel européen, avec la publication en 2011 par la Commission Européenne de sa Feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources. Cette dernière fixe alors un objectif à l’horizon 2050 de «no net land take », qui sera d’abord traduit en français par cet impératif : « supprimertoute augmentation nette de la surface de terres occupée ».
Le ZAN à l’origine : un constat et un objectif a priori consensuels
C’est seulement en 2018, à l’occasion de l’élaboration du plan biodiversité, et alors que Nicolas Hulot était encore ministre en charge de la transition écologique, que la notion est reprise dans les textes français. Constatant que l’urbanisation est une menace pour la biodiversité, le plan propose dans son objectif 1.3 de « limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette ».
Cette première mention du ZAN se réfère explicitement à la séquence « éviter – réduire – compenser » (ERC), qui est censée guider les principes d’aménagement en matière de protection de la biodiversité, en édictant un principe simple : éviter à tout prix les atteintes à la biodiversité et, lorsque celles-ci sont inévitables, les réduire autant que possible avant de compenser les incidences résiduelles qui n’auraient pu être empêchées.
Une première traduction dans la loi en 2021 : préciser les objectifs et les définitions
Deux échéances majeures sont proposées dans la loi :
À horizon 2030, il s'agit de diviser par deux le rythme d'artificialisation par rapport à la période de référence 2011-2021. Cela équivaut à un quota de 125 000 hectares sur dix ans.
Puis, avant 2050, il conviendra d'arriver à une artificialisation nette qui soit nulle, c’est-à-dire que plus aucune surface ne sera artificialisée sans être entièrement compensée.
À ce propos, la loi précise les termes du débat : « L'artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l'artificialisation et de la renaturation des sols », sachant par ailleurs que :
« L'artificialisation est définie comme l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. La renaturation d'un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d'amélioration de la fonctionnalité d'un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. »
L’année 2022, ou le réveil des territoires : quand la rébellion des élus ruraux est relayée par le Sénat
Passé relativement inaperçu jusqu’au vote de la loi Climat et résilience et la publication progressive de ses décrets d’application, le ZAN va alors attirer l’attention des aménageurs et des élus locaux, jusqu’à provoquer un début de fronde à l’automne 2022. Un mécontentement dont le Sénat s’est fait l’écho en créant en septembre une « mission conjointe de contrôle ZAN », qui a débouché en décembre de la même année sur un projet de loi déposé par Jean-Baptiste Blanc et Valérie Létard. Dans un article paru dans Le Monde, Benoît Floc’h résume ainsi les principaux points de tension entre le gouvernement et les Sénateurs :
Un premier point d’achoppement concerne la distribution des réductions à opérer entre les différents territoires. Étant entendu que répartir uniformément l’effort entre communes n’aurait guère de sens, sauf à entériner les déséquilibres territoriaux existants, il restait à savoir qui devrait décider de cette répartition et sur quel fondement. Le gouvernement prévoyait de donner aux Régions un rôle de chef d’orchestre afin d’organiser cette négociation, mais les élus ruraux craignaient que ce choix amène à privilégier les métropoles au détriment des campagnes.
Le second facteur de discordeporte sur la « garantie rurale » réclamée par les petites communes. Le principe consiste à accorder une garantie de possibilité d’urbanisation à chaque territoire communal, pour permettre une possibilité d’urbanisation à chaque commune, quelle que soit sa position dans l’attribution des quotas. Les maires ruraux réclamaient un hectare pour chaque commune, là où le gouvernement imaginait plutôt attribuer cette garantie sous la forme d’un pourcentage de surface, ou en prenant en considération la densité.
Troisième point de désaccord :le « décret nomenclature ». Publié le 29 avril 2022, il était censé préciser la définition finale des surfaces artificialisées, esquissée dans la loi Climat et résilience. Les Sénateurs contestaient en particulier le fait que les jardins privés, les stades et autres parcs urbains soient considérés comme artificialisés, ce qui réduit d’autant le crédit de terrains restant à urbaniser – certains craignant également des effets induits potentiellement discutables comme la baisse des surfaces de jardins.
Nomenclature définissant l’artificialisation des sols dans l’annexe à l’Article R. 101-1 du Code de l’Urbanisme (Tableau publié au Journal Officiel du 30 avril 2022).
Enfin, un dernier sujet brûlant concernaitles « grands projets » comme les sites industriels, les équipements publics d’envergure, les infrastructures de transport ou encore les sites énergétiques. Les Sénateurs voulaient tout simplement supprimer ces projets du calcul.
La loi finalement votée en 2023 : un consensus (trop) mou ?
En position de faiblesse au Sénat, la majorité présidentielle s’est mobilisée au début de l’année 2023 afin d’élaborer sa propre proposition de loi, clairement alignée sur les positions du gouvernement. Attachés à ne pas froisser les élus locaux à quelques mois des élections sénatoriales, les députes de la majorité ont finalement montré leur volonté de conciliation en choisissant de travailler au début du mois de juillet 2023, dans une commission mixte paritaire, à partir du texte proposé par le Sénat. Adoptée à l’Assemblée nationale le 12 juillet 2023 par une large majorité, la proposition de loi « visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols » témoigne des concessions opérées au fil des échanges parlementaires.
Le Sénat est ainsi parvenu à imposer un organe de gouvernance régional dans lequel les collectivités locales seront largement représentées, en particulier les intercommunalités compétentes en matière de documents d’urbanisme, qui compteront le même nombre de représentants que la Région. Des conférences départementales pourront être établies en amont, afin de renforcer là encore la prise en compte des intérêts locaux dans le dispositif.
Le Sénat a également gagné son bras de fer avec le gouvernement en ce qui concerne la revendication d’une garantie communale d’un hectare, sans condition de densité.
Un consensus a finalement été trouvé concernant les grands projets d’infrastructures d’intérêt national. Ces derniers ne viendront pas grever les quotas alloués aux communes et aux intercommunalités. En revanche, ils seront bien pris en compte dans l’effort de réduction prévu à l’échelle nationale, et ne pourront excéder un total de 10 000 hectares à répartir d’ici à 2031 entre les régions – sur le total des 125 000 hectares urbanisables sur cette période.
Les giga-usines de batteries électriques font partie des infrastructures qui pourraient être considérées d’intérêt national (ici le projet de Douai, source : Envision, 2022)
Enfin, et ce n’est sans doute pas un détail, les sénateurs sont parvenus à imposer qu’unenouvelle nomenclature définissant les sols artificialisés soit proposée d’ici à 2031. Une manière de laisser la porte ouverte à un ajustement de la portée des objectifs si, d’ici-là, les définitions proposées étaient profondément revues.
Comme on pouvait s’y attendre, ces évolutions ont été critiquées et interprétées par certains observateurs comme un recul des ambitions du ZAN. Dans le même temps, il était difficile de ne pas entendre certaines critiques, en particulier celles qui faisaient planer la menace d’une augmentation des prix du foncier. D’ailleurs, force est de constater que, même avec des ambitions revues à la baisse, le contexte réglementaire va obliger les aménageurs à profondément modifier leur approche en les amenant à considérer le foncier comme une denrée rare qu’il convient de mieux utiliser. Reste à savoir comment s’y prendre…
Une sobriété foncière qu’il faut à présent opérationnaliser : densifier, optimiser, désimperméabiliser, renaturer…
La bonne nouvelle vient du fait que cette dynamique d’utilisation rationnelle des sols est déjà plus ou moins à l’œuvre depuis quelques années. Stéphane Lévêque, spécialiste du sujet au sein du Cerema, rappelle à ce propos qu’on observe non seulement une baisse du taux d’artificialisation, mais aussi une récente décorrélation entre les surfaces construites et urbanisées : preuve qu’il est possible de construire plus en utilisant moins de sols. Il s’agit à présent d’accélérer cette dynamique en trouvant les bons outils.
Comparaison de l’artificialisation et de la construction entre 2009 et 2017 (base 100 en 2009) (Source : Observatoire de l’artificialisation, cité par Lévêque, 2021)
La première action à mettre en œuvre consiste à densifier, c’est-à-dire à réaliser davantage de surfaces construites sur la même superficie de sols artificialisés : en construisant des bâtiments avec davantage d’étages, par exemple, ou encore en réorganisant les espaces intérieurs afin d’optimiser leur usage.
Un second levier consiste à utiliser les espaces artificialisés vacants, comme par exemple les friches industrielles – avec toutefois un enjeu de dépollution ou de remise en état qui peut nécessiter des interventions assez lourdes.
La troisième solution est de désartificialiser et renaturer des sols urbanisés, afin de leur redonner leurs fonctions écologiques. Là encore, il s’agit d’un processus qui peut s’avérer long et coûteux, en particulier si on prend en compte la diversité des fonctions d’un sol naturel, qui constitue un véritable écosystème en trois dimensions : à la fois régulateur des cycles de l’eau, régulateur du climat, support de stockage et de recyclage de la matière organique, milieu de vie, etc.
À la lecture d’une telle liste, on comprend d’emblée que, pour renaturer un sol, la désimperméabilisation sera à la fois essentielle et… très insuffisante. Pour compenser l’artificialisation de nouveaux sols, au sens actuel de la loi ZAN, il faudra aller bien au-delà. Et cela sera sans doute coûteux et difficile.
Une raison supplémentaire pour considérer de manière prioritaire les deux premiers leviers d’action : ceux de la sobriété foncière.
Pour atténuer les effets du changement climatique, les collectivités doivent envisager à long terme la transformation de leurs infrastructures et de leurs réseaux.
Rafraîchir nos villes, mieux gérer nos réseaux, laisser l’eau retrouver la voie de ses cycles naturels : autant d’objectifs que le projet de « Ville perméable » rend possible.