Je peux dire que c’est le fruit d’une jonction entre le cabinet du Grand Lyon, où il y avait un conseiller à l'écologie, et la responsable de la politique environnement du Département, qui ont fait tous deux valoir que le projet vers lequel s’orientaient les élus du Syndicat mixte de Miribel-Jonage pourrait peser électoralement si les décideurs des deux principales collectivités concernées laissaient aller l’évolution du site vers une orientation économique et touristique, sans prendre en compte les enjeux fondamentaux en matière d'eau, d'inondation et de biodiversité.
Plutôt que d'en faire un site touristique, il y avait davantage intérêt à le valoriser comme espace naturel et comme parc périurbain naturel de proximité pour toute une population lyonnaise en manque d'espace de nature.
Voilà le contexte dans lequel a été engagée la nouvelle stratégie de gestion de l’espace naturel fluvial Miribel Jonage. Ses usages, en termes d’espace de loisirs qui préexistaient sans organisation, méritaient d'être repensés et valorisés.
Elle a été concomitante - et c’est un élément déterminant - avec la révision du Schéma directeur de l’agglomération lyonnaise, où s’exprimaient des positionnements divergents sur les enjeux et les choix pour ce site : pour les élus du Symalim, porteurs du projet de développement économique, il s’agissait d’affirmer cette vocation dans ce document, et pour le Grand Lyon, en accord avec le Département, il s’agissait de préserver le patrimoine naturel du site et son fonctionnement autour de l’eau et d’aboutir à un classement préservant ses enjeux écologiques : le classement du site en « zone inaltérable » a constitué une mesure inédite, créée pour ce site.
Le classement du site au schéma directeur en zone inaltérable a été piloté par le cabinet du Grand Lyon, sous le mandat de Michel Noir, dans le cadre de sa compétence en matière d’urbanisme. Et le travail de gestion et de mise en valeur du Parc a relevé de la mission du Département au titre de sa compétence Espaces Naturels Sensibles. Il faut souligner que la situation était extrêmement tendue politiquement entre les présidents du Grand Lyon et du Département d’une part, et les élus du Symalim d’autre part, qui avaient le sentiment d’une dépossession de leur pouvoir de décision.
Il revenait donc au Département l’élaboration d’une politique de gestion axée sur les enjeux écologiques du site. Et pour cette mission qui m’incombait - à l'époque j'étais encore juste chargée de mission ne disposant ni d’équipe, ni de budget - le chantier m’est apparu assez compliqué et il m’a fallu user d’une stratégie de travail alliant diplomatie et recours à des expertises « gratuites ». J'ai alors composé une équipe pluridisciplinaire d'experts, des universitaires, avec notamment un géographe spécialiste des fleuves et du Rhône Jean-Paul Bravard, un référent universitaire majeur dans sa discipline, un hydro-biologiste de l'université de Lyon, un écologue, un sociologue, un urbaniste, etc. et j'ai profité d'une coopération dans laquelle le Département était partie prenante avec le Québec, où j'avais observé une politique de gestion des espaces naturels à la périphérie des villes qui se préoccupait beaucoup du public et de sa place dans la gestion de ces espaces naturels. J'ai proposé au Département, avec cette délégation d'experts, d'emmener des élus du Syndicat de gestion du Parc à Montréal, où j'avais noué des contacts à Environnement Canada pour leur montrer comment une politique en faveur du patrimoine naturel n'excluait pas la fréquentation du public, grâce à des modalités de gestion adaptées.
C'est vraiment ce voyage avec la rencontre de gestionnaires de parcs naturels périurbains qui a permis de convaincre. On faisait ainsi porter par d'autres un message qui n'aurait pas été entendu, puisque dans ce contexte de tension, la démarche était plutôt perçue comme celle de représentants de l'écologie et donc des opposants, politiquement. Même les élus du Département y allaient à pas très prudents, tout en attendant de pouvoir en retirer les fruits en cas de réussite. En cas d’échec, le sort réservé aux techniciens n’était pas certain...
Au cours de ce séjour qui a duré une semaine, tous les soirs, l'équipe d’experts pluridisciplinaires se réunissait pour un petit débriefing et commençait à poser les termes de la Charte de gestion de Miribel-Jonage. Les bases du projet du plan de gestion du parc étaient posées en tenant compte des enjeux de préservation de l'eau avec le lac réservoir d'eau potable de Lyon en cas d'accident sur les périmètres de captage, du rôle de protection contre les inondations par le champ d'expansion des crues que joue ce vaste espace à l'amont de Lyon. Ce travail a fourni le cadre du plan directeur de l’île de Miribel Jonage, décliné dans différentes politiques : régulation des modes d'extraction des granulats dans le Rhône dont le régime hydraulique commençait à être fortement déséquilibré ; restauration de milieux naturels ; organisation de l'accueil du public, qui était déjà en usage mais sans gestion.
Mis en ligne par l'INA