Je pense que ces nouvelles approches pêchent par idéalisme. Certes le système alimentaire actuel n’est pas satisfaisant en matière d’impact sur la santé et l’environnement, de partage de la valeur entre acteurs économiques, etc. Mais ce qui est en cause n’est pas nécessairement le caractère industriel du système. Il faut reconnaître l’intérêt du modèle industriel au niveau de la transformation. Par rapport à un modèle artisanal, éclaté entre de multiples acteurs, le modèle industriel présente un impact environnemental bien moindre si on raisonne à l’unité produite. Plus largement, penser que l’on aura demain des territoires autonomes au plan alimentaire me paraît largement illusoire.
Un point important ici c’est la demande du consommateur. Le consommateur se tourne vers des produits toujours plus élaborés. La demande pour des produits impliquant de cuisiner n’a pas le vent en poupe et occupe une place secondaire. Je préfère aller au cinéma et sortir une pizza du congélateur, plutôt que faire la pizza moi-même à partir de produits locaux. Lorsque que les gens veulent cuisiner, c’est à des occasions précises qui leur font plaisir, et alors ils vont aller sur le marché du coin chercher les produits dont ils ont besoin. On ne voit aucun retournement de tendance à ce niveau-là. Donc comment voulez-vous accroître significativement l’autonomie alimentaire des territoires simplement grâce aux circuits courts de produits peu ou pas transformés que l’on connaît aujourd’hui ? Par leur caractère artisanal, les circuits courts actuels ont une productivité beaucoup plus faible que dans le modèle industriel : les quantités produites par unité de travail n’ont absolument rien à voir. Cela a deux conséquences. Le prix unitaire des produits en circuits courts est beaucoup plus élevé. D’autre part, les circuits courts sont incapables de produire en grande masse, on reste sur des petits volumes. Une grande force du modèle industriel est qu’il est justement capable de produire en grande quantité des aliments très élaborés qui sont difficiles à réaliser à la ferme.
En bref, si les circuits de proximité tels qu’on les entend aujourd’hui parviennent à couvrir 15% des besoins locaux, ce sera bien le maximum. Il restera encore 85% de la demande qui sera satisfaite par des circuits, pas nécessairement longs, mais complexes au niveau du produit fini et du nombre d’intervenants entre le champ et l’assiette. Par contre, il me paraît essentiel de voir comment maximiser les externalités positives de ces 15% en circuits courts, en termes de redistribution de la valeur, de pédagogie et d’éducation alimentaires, de création d’activités et d’emplois, etc. Avec 15% d’approvisionnement local, vous pouvez avoir des bénéfices sociaux tout à fait significatifs, qui peuvent largement dépasser le poids du local dans l’assiette !