Quels liens entre le lieu de vie et les enjeux climatiques ?
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Pour atténuer les effets du changement climatique, les collectivités doivent envisager à long terme la transformation de leurs infrastructures et de leurs réseaux.
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Dans le détail :
L’empreinte carbone moyenne des ménages français est de 24,5 tonnes de CO2e/ménage/an. Ce chiffre cache de grandes disparités entre ménages, puisque l’empreinte carbone moyenne des 10 % les plus pauvres est à peine supérieure à 15 tonnes, contre plus de 40 pour les 10 % les plus riches, soit un rapport de 1 à 2,7. En prenant en compte la structure familiale (le nombre de personnes par ménage), ce ratio monte même à 3,9.
Autrement dit, les individus les 10 % les plus riches ont en moyenne une empreinte carbone près de 4 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres (Malliet, 2020 ; Pottier et coll., 2020). Attention toutefois : avec une méthode de calcul différente, fondée sur des déclarations de consommation des individus plutôt que des enquêtes de dépenses des ménages, une étude montre des écarts qui seraient plutôt de l’ordre de 1 à 2, sans qu’il soit possible en l’état de savoir si ces résultats sont plus réalistes (Boutang, 2024).
La progression de l’empreinte carbone est assez linéaire jusqu’au 8e décile, puis elle augmente plus sensiblement ensuite pour les deux derniers déciles (les 20 % les plus riches).
Les postes de consommation dont l’empreinte carbone augmente proportionnellement le plus en fonction des revenus sont les transports, les services et les biens de consommation (Malliet, 2020).
Enfin, on notera que les écarts entre ménages et individus sont très importants au sein d’un même décile de revenus : certains ménages riches ont une empreinte carbone modérée, et certains ménages pauvres ont une empreinte carbone démesurée (supérieure à 50 t. CO2/hab/an), reflétant des modes de vie très hétérogènes au sein de chaque catégorie de population disposant des mêmes revenus.
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Dans le détail :
Les revenus ne sont pas le facteur sociodémographique le plus important pour expliquer l’empreinte carbone liée au logement ; le lieu de vie (rural ou urbain) et le type d’habitat (maison ou appartement) sont plus discriminants. En particulier, on constate peu d’écart parmi les 7 premiers déciles (les 70 % des ménages ayant les revenus les plus faibles) et il faut atteindre le 8e décile pour voir apparaître des écarts plus significatifs.
Le dernier décile (les 10 % les plus riches) a toutefois une empreinte carbone liée au logement 1,8 fois plus importante que celle des 10 % les plus pauvres (3,2 t. CO2e/ménage/an, contre 1,8). Ces différences s’expliquent avant tout par des écarts de surface occupée : les 10 % les plus riches occupent en moyenne 126 m2/hab de logement majoritairement individuel, contre 75 m2/hab de logement majoritairement collectif pour les ménages les plus modestes (Pottier et coll., 2020).
Pour autant, les plus riches disposent en moyenne de systèmes de chauffage un peu plus performants et de logements mieux isolés.
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Dans le détail :
En France, l’usage de la voiture au quotidien dépend avant tout du lieu de résidence, mais les revenus des ménages déterminent également fortement l’empreinte carbone de la mobilité : les ménages les 10 % les plus riches ont une empreinte carbone de la mobilité locale 2,4 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Pour cette mobilité locale, on constate de gros écarts au sein de chaque groupe de revenus, liés majoritairement au lieu de résidence. Sans surprise, les urbains ont une moindre dépendance automobile pour leurs déplacements du quotidien, et donc une empreinte carbone plus modeste.
Pour les déplacements de longue distance, majoritairement de loisirs — hors avion — la progression est assez linéaire : les 10 % les plus riches ont une empreinte carbone 3,5 fois plus importante que les 10 % les plus pauvres. Cet écart est encore plus important si on prend en compte l’avion (cf. paragraphe suivant).
On notera au passage que les déplacements domicile-travail sont, dans tous les cas de figure, très minoritaires dans les déplacements des ménages.
Enfin, pour l’usage de la voiture, les écarts constatés sont très majoritairement liés aux distances parcourues. L’efficacité des véhicules n’a, pour l’instant, que très peu d’effet sur l’empreinte carbone des ménages (ce qui pourrait changer à l’avenir avec l’électrification des véhicules individuels).
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Dans le détail :
Pour son usage non professionnel, l’avion est un mode de déplacement socialement très marqué puisque les 10 % des ménages les plus riches parcourent environ 12 800 km en avion chaque année, contre 850 pour les 10 % les plus pauvres — soit un écart de 1 à 15 environ. La progression des émissions liées à l’avion en fonction des revenus se caractérise par une augmentation exponentielle : elle est assez progressive jusqu’au 8e décile de revenu, puis explose pour le dernier décile.
Les 10 % les plus riches (D10) prennent plus de deux fois plus l’avion que ceux qui appartiennent au décile de revenu inférieur (D9). À eux seuls, les 20 % des ménages les plus riches représentent environ deux tiers des émissions de CO2 de l’aviation. Enfin, l’avion fait partie des modes de déplacement habituels des 10 % les plus riches, au point de représenter un tiers de leurs émissions annuelles de CO2 liées au transport (Pottier et coll., 2020).
Comme l’avion, les autres trajets de longue distance sont majoritairement liés aux activités de loisir. Les émissions de ces déplacements de longue distance sont là encore socialement marquées, puisque les 10 % les plus riches émettent pour se déplacer à longue distance environ trois fois plus de CO2 que les 10 % les plus pauvres. La progression des émissions en fonction des revenus est toutefois ici plus linéaire : elle augmente régulièrement au fur et à mesure que les revenus augmentent.
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Dans le détail :
Les statistiques de FranceAgriMer sur la consommation de produits carnés montrent que les ménages aisés, représentant 15 % de la population, consomment en moyenne seulement 13,2 % des viandes de boucherie fraîche vendues en France, à peine plus de 11 % des volailles et de la charcuterie et, enfin, 7,1 % de la viande surgelée. À l’autre opposé, les 15 % les plus modestes consomment 14,1 % de la viande fraîche (soit un peu plus que les ménages aisés) et, surtout, 27,5 % de la viande surgelée vendue en France.
Au milieu du spectre, les classes moyennes inférieures consomment davantage de viande que ce qu’elles pèsent dans la démographie : elles représentent 40 % de la population, mais consomment environ 44 % de la viande vendue en France. Les classes moyennes supérieures, au contraire, consomment un peu moins de viande : elles représentent 30 % de la population et consomment environ 27 % de la viande vendue.
Globalement, plus les niveaux de revenus sont élevés et moins la consommation de viande est importante. Par ailleurs, la part de viande surgelée semble un véritable marqueur de pauvreté, puisqu’elle est très majoritairement consommée par les plus modestes.
Ces données sont confirmées par les enquêtes auprès des consommateurs, qui montrent cette fois-ci que la consommation de viande est un marqueur social « inversé » en termes de CSP (catégorie socioprofessionnelle) : les ouvriers consomment en moyenne un tiers de viande de plus que les cadres (Tavoularis & Sauvage, 2018 ; ANSES, 2017). Malgré tout, la consommation de viande baisse dans toutes les catégories socioprofessionnelles.
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Dans le détail :
Les inégalités de revenus ont un effet majeur sur la consommation de biens et services, car les plus aisés achètent davantage de biens et de services que les pauvres. L’accroissement de cette consommation n’est toutefois pas forcément proportionnel à l’augmentation de l’empreinte carbone, du fait d’effets de qualité qui sont difficiles à estimer — par exemple, si les riches dépensent deux fois plus d’argent pour leur machine à laver, ce n’est pas parce qu’ils en achètent deux, mais parce qu’ils en achètent une de meilleure qualité.
En prenant tant bien que mal en compte cet effet, les différentes estimations réalisées en France montrent que les 10 % les plus pauvres ont, en moyenne, une empreinte carbone liée aux biens environ 3 fois plus faible que celle des 10 % les plus riches (Pottier et coll., 2020 ; Malliet, 2020). Plus précisément, les 10 % les plus pauvres ont une empreinte carbone liée à la consommation de biens d’environ 1,5 tonne de CO2/ménage/an, contre presque 5 tonnes pour les 10 % les plus riches. Cette progression est relativement linéaire. Le contenu plus détaillé de cette empreinte carbone n’est toutefois pas disponible et ne permet pas de comprendre quels biens sont particulièrement en cause.
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Dans le détail :
Le baromètre de l’Ademe fournit peu d’éléments sur le lien entre les revenus et les représentations du changement climatique, ou seulement indirectement à travers les catégories socioprofessionnelles (cf. fiche correspondante). D’autres enquêtes, dont celle de l’ObsCop, montrent que le climatoscepticisme est réparti de manière assez homogène en fonction des revenus avec, depuis quelques années, une présence un peu plus faible des climatosceptiques parmi les hauts revenus — ce qui n’était pas le cas avant 2020.
En s’appuyant sur les données de l’ObsCop, l’Institut Jean Jaurès note à ce propos une tendance récente : « ceux chez qui le scepticisme a le plus augmenté ces dernières années sont les catégories populaires : si on leur demande si “il y a un changement climatique d’origine humaine”, les “bas revenus” passent de plus de 70 % de réponse positive en 2019 (année du mouvement des “gilets jaunes”) à 58 % en 2022. Cette trajectoire est d’autant plus notable que, à l’inverse, les “hauts revenus” vont dans le bon sens (+4 points) » (Bentolila et coll., 2023 ; ObsCop, 2022).
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Dans le détail :
En matière de consommation responsable, sans surprise, les ouvriers et les employés se montrent deux fois plus soucieux du prix que les cadres supérieurs et professions libérales. Le niveau de vie influe donc significativement sur la consommation de produits bio ou écolabellisés (MTECT, 2022). Mais si les plus aisés déclarent davantage faire des gestes pour l’environnement, cela ne les empêche pas d’avoir une empreinte carbone plus élevée, comme nous l’avons vu : leurs gestes en faveur de l’environnement ne compensent pas, loin s’en faut, leur mode de vie plus dispendieux.
Les plus pauvres sont en revanche plus sensibles à l’augmentation des prix de l’énergie, car la part des dépenses qu’ils consacrent à ce poste est proportionnellement plus importante. Par exemple, les 20 % les plus pauvres dépensent en moyenne environ 10 % de leurs revenus à l’énergie pour le transport et le logement, contre 7 % pour les 20 % les plus riches (INSEE, 2010 ; ONPE, 2023). Mais surtout, le « reste à vivre » est beaucoup moins important pour les plus pauvres, qui doivent souvent choisir de restreindre leur consommation (ONPE, 2023).
Dans ce contexte, les outils de type taxe carbone ont mécaniquement des effets plus importants sur les ménages les plus pauvres. Des modélisations de l’évolution prévue de la taxe carbone montrent que celle-ci aurait entraîné en 2022 une ponction de près de 1 % des revenus des 10 % les plus pauvres, contre 0,4 % des revenus des 10 % les plus riches (Bureau et coll., 2019).
Conséquence logique, le soutien à la taxe carbone, particulièrement faible en France, est plus important chez les personnes à hauts revenus (32 %, en hausse), et il est au plus faible parmi les classes moyennes inférieures (16 %, en baisse) (Ademe, CREDOC, 2020).
Enfin, on notera que les inégalités sont probablement importantes en matière d’adaptation au changement climatique, les plus riches étant par exemple davantage aptes à se prémunir des vagues de chaleur ou de canicule (pour une synthèse, voir Bienvault, 2020).
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