Quels liens entre le lieu de vie et les enjeux climatiques ?
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Pour atténuer les effets du changement climatique, les collectivités doivent envisager à long terme la transformation de leurs infrastructures et de leurs réseaux.
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Dans le détail :
Des études menées dans différents pays montrent que l’intensité de l’empreinte carbone des habitants varie selon leur lieu de résidence. Ceci étant dit, ces différences ne sont pas homogènes selon les pays : parfois, l’empreinte des ruraux est plus forte alors que, dans d’autres pays, c’est celle des urbains ou des périurbains qui est la plus importante. En particulier, dans les pays en développement, l’empreinte carbone des ruraux est généralement plus faible ; dans les pays riches, c’est plutôt l’inverse (Connoly et coll. 2022 ; Heinonen & Junnila S., 2011). Dans tous les cas, les revenus sont plus déterminants que le lieu de résidence.
En France, les émissions directes — liées au transport et au chauffage des logements — sont nettement plus fortes en milieu rural qu’en ville (CGDD, 2012 & paragraphes suivants). En revanche, il arrive bien souvent que les émissions indirectes, incorporées dans la consommation de biens et services divers, soient plus fortes en milieu urbain. Ce phénomène se vérifie en particulier lorsque le niveau de vie matériel des citadins est plus élevé.
Une étude publiée en 2020 montre que, en France, les ménages à bas revenus vivant en milieu rural ont une empreinte carbone plus élevée que leurs homologues vivant en ville. À l’autre bout du spectre, les ménages aux plus hauts revenus vivant en milieu rural ont, au contraire, une empreinte inférieure à leurs homologues urbains. Mais, dans cette catégorie de ménages, comme dans la plupart des autres (à part les plus pauvres), ce sont toutefois les habitants des zones périurbaines qui ont la plus importante empreinte carbone (Pottier et al. 2020).
Cela signifie par exemple que les habitants des banlieues riches ont probablement une empreinte carbone incomparablement plus élevée que celle des banlieues pauvres. Il en va de même entre quartiers riches et pauvres au sein d’une même ville.
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Dans le détail :
En France, les émissions liées au chauffage des bâtiments sont plus importantes lorsqu’on s’éloigne des centres-villes. Un ménage urbain émet en moyenne 1,4 t. CO2e/hab/an, contre 2,6 en milieu rural et 2,4 en périurbain ; par ailleurs, 61 % des urbains émettent moins de 1 t. CO2e/hab/an (Pottier et coll., 2020).
Deux raisons majeures expliquent ce phénomène : les surfaces chauffées par habitant sont plus importantes en dehors des villes, et les formes d’habitat y sont moins optimales d’un point de vue de la performance énergétique — puisque les maisons individuelles présentent davantage de surfaces exposées au froid que les logements collectifs (Viguié, 2022 ; CGDD, 2012).
On constate également que les bâtiments en milieu rural ont, en moyenne, des performances énergétiques un peu moins bonnes qu’en milieu urbain — à l’exception de la région parisienne (Observatoire national de la rénovation énergétique, 2022, rapporté par Viguié, 2022). Enfin, en hiver, le climat est plus doux en centre-ville qu’en périphérie immédiate.
La carte ci-après montre que les zones les plus émettrices de CO2 pour le logement principal se situent sans surprise en régions froides, là où les systèmes de chauffage privilégiés sont carbonés (gaz, fuel, bois). Mais au sein de ces régions, les zones urbaines sont moins émettrices (tâches claires : Lyon, Paris, Clermont-Ferrand, Grenoble, Strasbourg, Lille, etc.).
En plus de nécessiter davantage d’énergie pour leur fonctionnement, les grands logements ont également une empreinte carbone plus importante pour ce qui concerne leur équipement : mobilier, électroménager, décoration, jardin, etc. Leur empreinte carbone de fabrication est également proportionnellement plus importante que celle des appartements.
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Dans le détail :
En France, les enquêtes de mobilité montrent que l’impact carbone des déplacements du quotidien, et en particulier les déplacements domicile-travail (ou études), est très influencé par le lieu de vie. Plus les pôles urbains sont importants, et plus les habitants des centres-villes ont une empreinte carbone faible, du fait de la diversité et de l’efficacité des modes de déplacement alternatifs à la voiture qui y sont présents.
En revanche, c’est également dans la grande périphérie de ces pôles urbains importants qu’on trouve l’empreinte carbone la plus forte pour ce type de déplacement : « La concentration de l’emploi, associée à la pression immobilière, provoque une croissance démographique hors des pôles. Cette périurbanisation conduit à une forte convergence des déplacements vers ces pôles : 28 % des emplois des pôles urbains sont ainsi occupés par des non-résidents. Les flux correspondants occasionnent 45 % des émissions de CO2 liées aux navettes quotidiennes pour seulement 17 % du total des flux ». (Lévy et Lejeannic, 2011)
En milieu rural, la situation peut paraître paradoxale : la dépendance automobile est à son maximum, plus forte encore qu’en deuxième ou troisième couronne des métropoles ; mais les déplacements domicile-travail sont moins importants, si bien que l’empreinte carbone de ce secteur est moins forte qu’en périphérie de grande agglomération. Elle est toutefois nettement plus forte qu’en centre-ville.
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Dans le détail :
En France, les statistiques rendues publiques par la DGAC ne permettent pas de connaître la catégorie de lieux de vie des personnes qui prennent l’avion en France (DGAC-MTES, 2017). Plusieurs études menées en Île-de-France, en Suisse, en Italie ou encore en Finlande montrent toutefois que les habitants des centres-villes prennent davantage l’avion que les autres, ou a minima qu’ils partent davantage en vacances et plus loin (Louvet et Nessi, 2011 ; Munafò S., 2017 ; Heinonen & Junnila S., 2011).
Le cas de Genève semble assez représentatif : pour leurs voyages avec nuitées (incluant l’avion, mais pas seulement), les habitants du centre utilisent deux fois plus d’énergie pour leurs déplacements que les habitants du secteur suburbain (première couronne). En revanche, ils sont presque rattrapés par les périurbains sur ce poste de consommation.
Les études susmentionnées remarquent que ces déplacements de longue distance, plus importants chez les habitants des centres-villes, ne correspondent pas forcément à une compensation, c’est-à-dire une volonté de fuir l’urbanité et la densité des centres-villes — hypothèse dite de « l’effet barbecue ». Des facteurs plus structurants (en particulier les revenus, l’appartenance sociale, les origines familiales) semblent intervenir de manière plus importante dans ce choix de prendre souvent l’avion. Autrement dit, si les citadins prennent davantage l’avion, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont citadins.
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Dans le détail :
Les statistiques de FranceAgriMer sur la consommation de produits carnés ne fournissent pas d’information sur le caractère urbain ou rural des consommateurs. Les données régionalisées permettent toutefois de constater que la région Île-de-France, de loin la plus urbaine, est aussi celle qui présente la consommation de viande la plus faible par habitant — en tout cas pour certaines viandes, comme le bœuf. Ces écarts ne sont toutefois pas très significatifs (FranceAgriMer, 2020). L’enquête budget des familles de l’INSEE montre également une légère surconsommation de viande en milieu rural et dans les petites villes (INSEE, 2020).
Une enquête menée par l’IFOP montre de son côté une surreprésentation des régimes alternatifs dans les villes : les flexitariens et les végétariens sont proportionnellement davantage présents dans les villes et en région parisienne. Inversement, les « omnivores » sont davantage présents à la campagne (IFOP, 2020).
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Dans le détail :
Nous n’avons pas trouvé d’informations permettant de quantifier précisément les écarts d’empreinte carbone liée à la consommation de biens ou services en fonction du lieu de résidence. La dernière enquête sur le budget des familles de l’INSEE montre que certains biens sont associés à la ruralité ou au périurbain : c’est le cas de l’outillage pour la maison et le jardin, par exemple.
De même, certaines consommations de services sont un peu plus importantes en milieu urbain, comme la restauration et l’hôtellerie, certains services culturels ou encore les services à la personne (INSEE, 2020). Il est toutefois difficile d’en tirer des conclusions quant à des écarts d’empreinte carbone en faveur de tel ou tel type de territoire.
Les revenus et l’appartenance sociale semblent beaucoup plus déterminants, si bien que les territoires faisant apparaître une consommation de biens plus élevés sont avant tout des territoires plus aisés (cf. fiche correspondante).
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Dans le détail :
Nous n’avons pas trouvé d’information montrant un lien avéré entre l’appartenance à tel ou tel type de territoire et les représentations sociales du changement climatique ou son ressenti.
En particulier, le baromètre « Représentations sociales du changement climatique » ne contient pas d’information quant à ces catégories de territoires : urbain, rural, périurbain ou autres. Une analyse par régions fait apparaître que, en proportion, il y a très légèrement plus de climatosceptiques en Île-de-France que dans la moyenne de la France (Ademe, OpinionWay, 2023) ; dans le même temps, il y aurait également en Île-de-France un peu plus de personnes considérant le climat comme une des trois grandes priorités pour le pays (Parlons climat, 2022). Ces écarts ne semblent pas significatifs et laissent penser qu’il y a peu d’écarts de représentation du changement climatique liés aux territoires.
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Dans le détail :
Au regard de ce qui a été vu précédemment, on constate que les efforts à fournir pour atteindre la neutralité carbone sont, en moyenne, plus importants pour les habitants des périphéries urbaines et du monde rural : non seulement parce que leur empreinte carbone est un peu plus élevée, mais aussi et surtout parce que les postes de consommation responsables de ce dépassement sont plus directement liés à leur quotidien — ils sont plus « vitaux ». Ces écarts entre urbains, ruraux et périurbains sont, là encore, très largement démultipliés par les écarts de revenus au sein de chacun de ces types de territoires (cf. fiche correspondante).
La dépendance automobile concerne par exemple un tiers de la population française, pour laquelle il existe peu de solutions de déplacement alternatives viables, du fait notamment de la dispersion de l’habitat et des activités sur les territoires concernés (Héran, 2021 ; IFOP, 2023). De ce fait, des outils contraignants associés à la transition écologique, comme la taxe carbone, sont davantage rejetés en milieu rural qu’en milieu urbain ; de même que les péages urbains ou les ZFE impactent davantage les habitants des zones périurbaines (DREES, 2024 ; IFOP, 2023)).
Les propositions privilégiées pour ces populations à forte dépendance automobile sont alors davantage tournées vers la technologie, via l’électrification des véhicules individuels, mais elles représentent un coût supplémentaire important, qui peut être vécu comme une injustice. Le même raisonnement semble valable pour le logement (rénovation, changement de chaudières, etc.).
Ainsi, même si un sondage réalisé pour Familles rurales montre que les ruraux ne semblent pas plus opposés à la transition écologique que les urbains (IFOP, 2023b), le chemin vers la neutralité carbone semble pour eux plus difficile et contraignant. Et il l’est sans doute encore davantage pour les périurbains, en particulier ceux qui vivent en périphérie des grandes métropoles — et d’autant plus si leurs revenus sont faibles. Inversement, les urbains à hauts revenus ont également des efforts à faire, qui sont d’autant plus importants qu’ils touchent à des secteurs de consommation moins essentiels (loisirs, avion, etc.).
Enfin, on rappellera que la vulnérabilité au changement climatique est très variable en fonction des territoires. Les milieux urbains et denses sont davantage sensibles à la canicule, du fait de la présence d’îlots de chaleur urbains. Les territoires ruraux ont en revanche des secteurs d’activité économique qui dépendent plus du climat, comme l’agriculture, la sylviculture ou le tourisme (ONERC, 2024).
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