Les rites funéraires à l'épreuve de la laïcisation
Étude
La question de la place des cimetières dans la ville de façon gestionnaire n’est pas facile et y répondre encore moins car les pratiques évoluent.
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Interview de Colette Maillard
<< La mise en place de célébrations civiles ne devrait pas être le fait d'une structure commerciale >>.
Colette Maillard est animatrice de L'Autre Rive.
Comment et pourquoi a été fondée l’association L’Autre Rive ?
L’association a été créée en 1990, à l’initiative du père Christian Biot, pour éviter que les gens aillent directement des chambres funéraires au cimetière. Christian Biot avait le souci de la prospective : il estimait que dans le futur, il n’y aurait jamais assez de prêtres et qu’il fallait donc former des laïcs puisque les funérailles ne sont pas un sacrement. J’ai participé à une formation sur les funérailles qu’il organisait en 1989. Il a ensuite contacté tous les participants à cette formation pour nous demander si nous serions d’accord pour organiser des funérailles dans les centres funéraires.
À l’époque, des salles de cérémonie venaient d’ouvrir dans les centres funéraires ou à proximité des crématoriums, suscitant une demande de célébrations : des familles dénuées de cultures religieuses ne voulaient pas laisser partir le défunt sans un rite d’accompagnement. L’association a été créée avec le soutien du vicaire épiscopal Jacques Faivre ; grâce à lui, nous étions crédibles et nous pouvions nous référer au diocèse. Mais dès le départ, nous avons indiqué que nous étions disponibles pour des cérémonies sans référence religieuse. Le manque de prêtre et la déchristianisation de la population nous poussaient à être très ouverts. Au départ, ces célébrations sans référence religieuse étaient très marginales puis leur nombre n’a cessé d’augmenter au fil des années. À l’origine, nous intervenions au funérarium Berthelot, aux crématoriums de Bron et La Guillotière et dans les maisons de retraite. L'Institut médico-légal a créé une équipe de laïcs pour faire des cérémonies, de même que les hôpitaux. Pour les maisons de retraite, nous avons essayé de faire la jonction avec les paroisses, mais certaines paroisses ne veulent pas faire de cérémonies d’accompagnement. De même, au centre funéraire de Villeurbanne, certaines paroisses qui assurent les célébrations à tour de rôle refusent les cérémonies civiles.
Aujourd’hui, où intervenez-vous, pour quel type de cérémonie et à quelle fréquence ?
Actuellement, nous intervenons dans 8 lieux qui disposent de salles omnicultes dans l’agglomération lyonnaise : au centre funéraire et au crématorium de Berthelot, au parc cimetière communautaire de Bron, à Vénissieux, Ecully, St Genis-Laval, Vaulx-en-Velin et Rillieux-la-Pape. En 2012, nous avons réalisé 2038 célébrations. 1502 accompagnaient des crémations et 525 des inhumations. Près de la moitié étaient sans référence religieuse. Je pense que la proportion serait plus importante encore s’il existait davantage de lieux, en dehors de Lyon, pour procéder à ces cérémonies civiles. Dans les communes à la périphérie de Lyon, il arrive souvent que les équipes municipales ne sachent pas que les cérémonies peuvent avoir lieu ailleurs que dans une Eglise. Pour le décès d’un jeune sportif qui était arbitre de foot, je me souviens que la cérémonie avait eu lieu dans un gymnase. Pourquoi forcerait-on les gens qui n’ont pas de religion à passer par une Eglise, ou à aller directement au cimetière ?
Etes-vous associés, en tant qu’utilisateurs, à la conception des aménagements funéraires, notamment des salles de cérémonie ?
Nous avions été consultés pour l'aménagement de la salle polyculte du funérarium Berthelot. Pour l’aménagement de la nouvelle salle créée au crématorium de la Guillotière, nous n’avons pas été consultés. La salle est très belle, avec une belle symbolique lorsque le cercueil part pour la crémation, autour de l’ouverture des portes et des jeux de lumière puis la porte refermée apparaît un arbre de vie composé de feuilles dorées. Mais le sol est en légère déclivité si bien qu’on ne voit plus le cercueil quand on est au fond de la salle. Nous avons demandé que les chariots soient surélevés. Au parc cimetière communautaire de Bron, nous n’avons plus le droit de changer les bancs de place ; il faudrait que l’espace soit plus modulable.
Vous venez de lancer un appel pour recruter de nouveaux bénévoles. Êtes-vous en nombre suffisant pour répondre à toutes les demandes que vous recevez ?
Nous sommes 12 bénévoles, alors que nous avons été jusqu’à 26. Mais les personnes ont vieilli en 24 ans ! Il est très difficile de voir arriver la relève. D’autant que n’importe qui ne peut pas assurer cette mission. Les jeunes n’ont pas assez d’expérience de vie. Il faut être très disponibles, pouvoir rencontrer les familles et organiser les cérémonies du jour au lendemain. Il faut être totalement autonomes, pouvoir recevoir la famille, organiser et célébrer tout seul. Il y a parfois 4 célébrations à assurer à la suite par jour ; c’est très lourd. Il m’est déjà arrivé de faire 3 célébrations dans la journée. Il faut savoir prendre du recul par rapport à ce que l'on vient de vivre, avoir des centres d’intérêt ailleurs pour être efficace et garder une bonne santé mentale. Emotionnellement, c’est parfois très dur, notamment quand il s’agit de bébés, de jeunes, de suicidés. Hier, j’ai eu un appel pour organiser une cérémonie pour une femme de 40 ans décédée dans un accident de voiture ; il faudra faire très attention.
Comment procédez-vous pour organiser ces cérémonies d’accompagnement ?
Il faut d’abord écouter la famille. Nous leur proposons de faire une évocation du défunt. S’ils ne se sentent pas de l'écrire, nous leur soumettons un texte composé à partir de leurs paroles. Nous respectons les quatre grandes étapes d’une cérémonie d’accompagnement : l’accueil du défunt et des proches, l’évocation du défunt – il s’agit de se souvenir, de faire mémoire, par des textes, des musiques, des dessins -, puis l’adieu. On peut ponctuer ce processus de gestes : mettre une bougie, apporter quelque chose qui a appartenu au défunt ou qui symbolise sa profession ou un trait de caractère; on essaie d’innover. Le besoin de personnalisation est très fort. Les personnes qui demandent des cérémonies d’accompagnement s’impliquent souvent plus que celles qui vont à l’Eglise, car à l’Eglise on impose un cadre très précis, un choix de textes définis, etc.
À L’Autre Rive, on procède également à des cérémonies pour les morts sans toi(t) c'est-à-dire mort seul à domicile, sans famille ou seul dans la rue. Il m’est arrivé d’être toute seule à des obsèques. En ce cas je m’assieds, je mets de la musique ; on ne laisse pas le défunt seul ; c’est important de l’accompagner jusqu’au terme de son passage sur terre.
Les bénévoles de L'Autre rive sont-ils tous chrétiens ? Ce ne doit pas être évident d'accepter de mener des cérémonies civiles sans référence religieuse alors que vous êtes croyants ; comment faites-vous la part des choses ?
Nous ouvrons notre équipe à des bénévoles chrétiens. En ce moment, la majorité est catholique mais une collègue est protestante et l'un de nous est orthodoxe. Les rites funéraires de ces religions sont très proches.
Pour nous, chrétiens, cela ne nous pose aucune question de conscience d'assurer des cérémonies d'accompagnement humain. Nous sommes attachés à la dignité de chaque personne. Chaque personne a droit aux rites humains. Honorer dignement un mort quelque soit son origine, ses convictions, donner à la mort plus de respect, c'est, il me semble, faire grandir la qualité de vie de l'humanité.
Quel est le statut juridique de L’Autre Rive, la nature de son lien avec le diocèse et ses moyens de subsistance ?
Au départ L’Autre Rive était sous tutelle du diocèse, sans statut juridique. Tant que Christian Biot, prêtre du diocèse, était Responsable, cela ne posait aucun problème mais il est parti en 2008. Depuis 2012, nous sommes structurés en Fonds de dotation, abondé par les dons des familles. Un prêtre du diocèse assure toujours un accompagnement spirituel ; il est le garant pour la religion catholique. Nous reversons de l’argent au diocèse. Nous sommes bénévoles mais les frais réels nous sont remboursés. Nous n’avons pas de tarif. Si les gens veulent faire un don, ils le font, et c’est souvent plutôt généreux. Grâce à cela, nous sommes très libres, c’est une force.
Qui fait appel à vous ; par qui ces personnes vous sont-elles adressées ?
Nous assurons une permanence tous les matins, et nous sommes en relation avec les Pompes funèbres. Toutes les agences nous connaissent et parlent de nous. Nous avons affaire à tous les caractères qui puissent exister, toutes les catégories sociales, culturelles, avec toutes les approches de la mort, tous les types de réaction. Il faut faire face à l’agressivité et à la violence entre les proches. Mais le pire est peut-être l’absence totale d’émotion. Je me souviens d’une cérémonie sans aucune émotion pour la personne décédée ; j’étais très mal à l’aise. C’était un vieillard qui vivait chez ses enfants ; il passait du fauteuil au lit et ses enfants n’avaient rien à en dire.
Etes-vous favorable à la prise en charge de ces cérémonies d’accompagnement par les personnels des pompes funèbres ?
Les Pompes funèbres forment leur personnel pour faire des cérémonies, mais je trouve qu’il ne faut pas mélanger le commercial et le spirituel. Je crois que la mise en place de célébrations civiles ne devrait pas être le fait d’une structure commerciale et nécessite une formation approfondie pour un personnel stable. Généralement, ils n’ont pas le temps de préparer une célébration avec les familles. Ils ne sont pas suffisamment formés non plus. Ils se contentent de passer une musique ou de faire entendre un texte. À mon avis, ils ne sont pas toujours dans l’accompagnement désintéressé. De plus, il y a un grand turn over chez les assistants funéraires.
Étude
La question de la place des cimetières dans la ville de façon gestionnaire n’est pas facile et y répondre encore moins car les pratiques évoluent.
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Étude
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Étude
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