Le souci des plus pauvres et de la dignité de chaque être humain est le fond commun. On peut dire, également, que les catholiques sociaux, qu’ils soient monarchistes ou républicains, se sont montrés réticents à l’égard du socialisme qui, à cette époque, apparaissait soit avec une dimension révolutionnaire, soit sous une forme libertaire, les deux cherchant à se défaire de la foi et de l’Église. Même les plus progressistes d’entre eux, tout animés par la justice sociale qu’ils étaient, n’ont jamais remis en cause le droit de propriété, mais ils ont affirmé que la propriété avait une vocation sociale.
Une des grandes figures intellectuelles et « opérationnelles » du catholicisme social est Frédéric Ozanam (1813-1853), qui a passé toute une partie de sa vie à Lyon, où il a été avocat. Celui-ci a voulu passionnément faire triompher la justice dans les relations sociales, dans l’organisation politique et dans la vie internationale. Partisan de la République au moment de la révolution de 1848, il n’en dénonce pas moins le socialisme qu’il qualifie « d’intervention dictatoriale du gouvernement » et qu’il renvoie dos à dos avec le libéralisme sauvage.
Ce n’est que plus tard, au début du 20e siècle, que certains vont évoluer vers le socialisme, comme le journaliste Marc Sangnier (1873-1950), issu d’une famille bonapartiste, animateur, à Paris, du journal Le Sillon, qui militait « pour un christianisme démocratique et social ». Cependant, auparavant, avaient pu se distinguer des hommes comme Camille Rambaud (1822-1902), fondateur de la Cité de l’Enfant-Jésus à Lyon, une cité ouvrière qui se voulait « idéale ». Camille Rambaud ne cachait pas ses attaches avec la pensée du philosophe Charles Fourier (1772-1837), une des figures du « socialisme utopique » qui vécut lui-même plusieurs années à Lyon.
Le catholicisme social représente un grand « progrès », dans ce sens qu’il applique le devoir chrétien de la charité à l’organisation de la vie économique et sociale. Il ne s’agit pas seulement de venir en aide aux pauvres : il faut aussi vouloir — et faire en sorte — qu’il n’y ait plus de pauvres ! Aux côtés des laïcs chrétiens que j’ai cités, il faut adjoindre quelques grandes figures ecclésiastiques. En particulier le dominicain Henri Lacordaire (1802-1861). À la fois religieux, journaliste et homme politique, il a restauré en France l’Ordre des Prêcheurs (dominicains) que la Révolution de 1789 avait chassé. Il ne dissociait pas sa foi de la croyance dans le progrès et dans la liberté humaine, et il peut être regardé comme l’un des fondateurs du catholicisme moderne.
C’est à Oullins que, en 1852, il a créé un « Tiers-Ordre » enseignant, à partir du Collège Saint-Thomas d’Aquin-Veritas, qui existe toujours. Il faut aussi savoir que, durant 30 ans, Lyon a eu pour archevêque le cardinal Maurice de Bonald (1787-1870), un homme de l’aristocratie qui, cependant, s’est montré particulièrement soucieux du sort des ouvriers et a pris leur défense au lendemain des révoltes des canuts. Il a, ainsi, encouragé l’œuvre de présence aux familles ouvrières impulsée par le père Antoine Chevrier (1826-1879), le fondateur du Prado qui voulait former des prêtres pauvres pour les pauvres.