Ce que le territoire fait à l’économie (et aux entreprises)

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Entre soutenabilité et exploitation des ressources, chaque décision ouvre la porte à un dilemme !
Interview de David Le Bras
Créée en 1992, l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) rassemble près d’un millier de cadres dirigeants d’intercommunalités de toutes tailles et statuts.
Son délégué général, David Le Bras revient sur la réflexion collective portée avec la démarche intitulée Et si… la transformation écologique devenait la matrice des politiques intercommunales ?
Derrière cette proposition, il s’agit de revenir des années de priorité accordée au développement économique pour réinterroger ses finalités.
Derrière, des constats implacables : tensions sur les ressources, inégalité de la distribution des richesses, coûts publics…
Et exemples à l’appui, pour l’ADGCF, une nouvelle culture politique et professionnelle doit se construire à l’échelle locale, et même opérer une révolution.
Pourquoi remettre aujourd’hui en question les modèles de développement économique territorial traditionnels ?
Pendant longtemps, l’action économique des collectivités s’est structurée autour de deux objectifs : attirer de nouveaux habitants et développer l’activité. Cette logique d’attractivité, souvent pensée en termes de concurrence entre territoires, a finalement donné lieu à des politiques très homogènes : zones d’activités, dispositifs de défiscalisation, marketing territorial, etc.
Cela laisse supposer que les entreprises créeraient de l’emploi simplement parce que les collectivités développent des espaces économiques, alors qu’elles créent de l’emploi en fonction des besoins de leur activité. Surtout, ces politiques n’ont fait qu’accélérer la mobilité des entreprises au sein des mêmes zones d’emploi. Avec quelles conséquences ? Une surconsommation foncière et un transfert vers le public des anciens tènements industriels qui ont une valeur négative — déconstruction, dépollution — dès lors qu’on ne peut y développer de l’habitat en remplacement du bâti économique.
Aujourd’hui, ces modèles montrent leurs limites. La promesse selon laquelle le développement économique apporterait mécaniquement de la richesse pour tous est de plus en plus contestée. Les gains ne sont pas équitablement répartis et reposent en outre souvent sur des consommations de ressources que nous savons insoutenables. Je pense ici au foncier, à l’eau, à l’énergie, aux capacités des services publics qui ne peuvent pas suivre partout.
Dit autrement, on a trop longtemps pensé qu’il suffisait de développer économiquement un territoire pour en assurer, par ruissellement, la cohésion sociale. Or, on voit que c’est beaucoup plus complexe. Les métropoles en sont une bonne illustration : certaines d’entre elles — pas toutes — ont des taux de croissance de l’emploi très importants et connaissent en parallèle une accélération des processus d’exclusion en leur sein.
N’oublions pas également qu’au niveau national comme au niveau local, on a des acteurs économiques littéralement « drogués » à l’aide publique. Le soutien aux entreprises est le premier budget de l’État ; il est passé de 2,6 à 6 % du PIB en 15 ans. À l’échelle des intercommunalités, les budgets annexes « aménagement économique et immobilier d’entreprise » sont, avec les déchets, le premier poste de dépense.
La fiscalité économique interroge également. Elle crée parfois des distorsions entre territoires, en encourageant une implantation concentrée des entreprises, sans réflexion sur les coûts induits et les externalités négatives, et contribue plus largement à entretenir une concurrence néfaste et artificielle entre les territoires. Cela renforce les déséquilibres et fragilise les coopérations à l’échelle des bassins d’emploi. Les études de l’INSEE montrent bien que les entreprises ne sortent pas de leur zone d’emploi. En bref, le lien entre fiscalité et stratégie de développement reste trop peu questionné.
L’enjeu aujourd’hui consiste donc à réinterroger en profondeur les finalités, plutôt que d’ajouter une couche « verte » à des politiques existantes. Que veut-on préserver ? Quels sont nos biens communs ? Qu’est-ce qu’un territoire en bonne santé dans un monde fini ? À l’ADGCF, nous avons engagé cette réflexion avec notre démarche intitulée Et si… la transformation écologique devenait la matrice des politiques intercommunales ?.
Notre point de départ, c’est cette interrogation simple : dans un monde aux ressources limitées, tous les territoires peuvent-ils continuer à se développer, en s’entraînant les uns les autres dans une course infinie ? S’y ajoute la question de notre dépendance, de notre addiction au modèle extensif pour faire croître des indicateurs quantitatifs, qui alimentent la ressource financière du territoire. C’est notre modèle fiscal. C’est enfin l’enjeu de la responsabilité politique que nous posons : quelles sont les conséquences en matière d’externalités pour les territoires qui continuent de s’inscrire dans ce modèle ? Quels sont les effets pour les générations futures ?
Beaucoup de collectivités tentent aujourd’hui de concilier des objectifs contradictoires. Elles continuent à promouvoir une attractivité fondée sur la croissance résidentielle ou la consommation d’espace, tout en affichant une volonté de transition. Cette juxtaposition de logiques produit de l’incohérence et, souvent, de l’inefficacité. Il est temps de sortir d’une approche sectorielle de l’écologie et de l’assumer comme un référentiel global pour l’action publique locale.
Si l’on change de boussole, que pourrait être demain un développement réellement au service du bien-être territorial ?
Rediriger l’économie territoriale ne signifie pas renoncer à toute activité économique. Cela consiste à faire en sorte qu’elle contribue à autre chose qu’à la seule logique extensive. Cela suppose effectivement de changer de boussole : passer d’une logique d’attractivité quantitative à une logique de soutenabilité, de qualité de vie, de bien-être. Cela implique aussi de se poser une question que les territoires ont trop peu abordée jusqu’ici : quelle est l’utilité sociale du développement économique ? Qu’est-ce qu’il permet, et pour qui ?
Nous commençons à voir émerger un autre type de récit, plus centré sur les besoins des habitants et la robustesse des systèmes locaux. C’est la notion de « robustesse » proposée par le biologiste Olivier Hamant, ou celle de « satiété » avancée par l’économiste Eloi Laurent. L’enjeu est de répondre au vrai besoin des habitants. Certaines intercommunalités expérimentent des formes de coopération économique qui visent la consolidation plutôt que l’expansion. Elles s’interrogent sur leur dépendance à certains secteurs, sur la relocalisation de fonctions essentielles, et sur la sobriété des infrastructures.
Val-de-Garonne Agglomération illustre bien cette démarche. Sur un territoire en déprise économique, cette intercommunalité a fait le choix de réorienter son modèle de développement territorial en valorisant le bien-être des habitants. Cette orientation se traduit notamment par un appui renforcé aux circuits courts et à l’économie circulaire, au détriment des filières exportatrices traditionnelles.
Dans ce contexte, la notion d’attractivité mérite d’être redéfinie, d’autant que, comme je l’ai indiqué précédemment, les entreprises ne déménagent que rarement de leur zone d’emploi. Pendant des années, elle a été assimilée à la capacité d’attirer des entreprises ou de nouveaux habitants.
Cette vision ne prend pas en compte les coûts d’ajustement pour le territoire : pression sur les services publics, hausse du foncier, fragmentation sociale. Aujourd’hui, être attractif, c’est peut-être d’abord être capable de maintenir une qualité de vie pour ceux qui sont déjà là. Cela suppose de penser l’équilibre plutôt que développement continu. En fait, on ne devrait plus parler d’attractivité, mais de désirabilité.
Et les services publics ont un rôle central dans ce basculement. Ils constituent à la fois un facteur d’ancrage et un levier d’adaptation. Un territoire qui garantit l’accès aux soins, à l’éducation, à la mobilité ou à l’alimentation crée les conditions d’une économie soutenable. Il permet aux habitants d’y vivre dignement et aux entreprises de s’inscrire dans un environnement stable et viable. La qualité des services publics devient alors une composante majeure de la bonne santé d’un territoire, à rebours de la logique de compétition.
Ce que nous proposons, c’est une action économique qui serait au service d’un projet de transformation écologique. Cela suppose de remettre les besoins fondamentaux au centre, de repenser la mesure de la prospérité, et d’accepter que la soutenabilité soit un critère non négociable, c’est-à-dire de respecter les limites physiques du territoire. Ce mouvement est encore en cours, parfois hésitant, mais j’observe qu’il est déjà engagé dans de nombreuses collectivités.
Qu’est-ce que cela implique concrètement pour une collectivité de faire de la transformation écologique la matrice de ses politiques ?
La transformation écologique se construit progressivement. À ce titre, les intercommunalités ont un rôle décisif à jouer. Elles sont à la bonne échelle pour articuler des enjeux systémiques : emploi, foncier, mobilité, services publics, logement, aménagement ; et pour déployer leurs responsabilités environnementales : eau, assainissement, déchets, énergie, PCAET, CRTE… Elles ont la capacité de mettre en œuvre des politiques publiques de manière concrète et coordonnée, au-delà des découpages communaux, à l’échelle du territoire vécu.
En somme, faire de la transformation écologique la matrice de ses politiques, cela revient à prendre conscience des réalités et des capacités de l’administration locale et à explorer les leviers principaux dont disposent nos intercommunalités pour engager la transition environnementale de leur territoire : une économie décarbonée et moins consommatrice de foncier, un habitat redessiné et redéployé, des mobilités adaptées, des services à la population réévalués, etc.
Ce que nous constatons à l’ADGCF, c’est une montée en puissance progressive des communautés et métropoles comme acteurs stratégiques. Historiquement cantonnées à la gestion de compétences techniques, les intercommunalités assument aujourd’hui une fonction pivot dans le domaine environnemental. Cette évolution répond à une nécessité fonctionnelle : les transitions écologiques appellent des arbitrages collectifs et des choix d’orientation clairs. Cela suppose de pouvoir relier les diagnostics territoriaux à des stratégies opérationnelles.
Notre partenariat avec France Villes et Territoires Durables va dans ce sens. Nous avons travaillé ensemble à l’élaboration d’une boussole d’action pour aider les intercommunalités à intégrer la transformation écologique dans toutes leurs politiques. Cet outil CAP Territoires durables constitue un cadre d’analyse qui invite à se poser les bonnes questions : quels sont nos impacts réels ? Quelles interdépendances devons-nous prendre en compte ? Comment mesurer les effets de nos choix ? Il s’agit de renforcer la cohérence entre les politiques sectorielles plutôt que de produire de nouveaux plans.
L’une des difficultés majeures reste la répartition de l’effort. Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Certains disposent encore de marges foncières ou financières, d’autres sont déjà très contraints. Cela pose des questions de justice sociale et d’équité territoriale. Si l’on veut que la redirection écologique soit acceptée, elle doit être juste. Cela suppose de revoir certains équilibres, notamment entre centre et périphérie, ou entre territoires urbains et ruraux. C’est tout l’enjeu du partage de la richesse.
L’intercommunalité est sans doute l’échelle la plus adaptée pour poser ces débats de manière politique, pas seulement technique. Encore faut-il que ses marges de manœuvre soient garanties, que ses élus soient soutenus, et que ses agents disposent du temps et des moyens pour se former, expérimenter et ajuster. La transition ne se fera pas sans eux.
Comment faire évoluer la gouvernance décentralisée pour mieux prendre en compte les interdépendances entre territoires et organiser des arbitrages collectifs ?
Nous vivons une période où les interdépendances entre les territoires ne sont plus discutables. Les sécheresses, les tensions sur les ressources, les conflits d’usage… tout cela révèle à quel point les destins territoriaux sont liés. Plus aucun territoire ne peut prétendre s’en sortir seul, et cela vaut aussi bien pour les métropoles que pour les communes rurales. La question, c’est de savoir comment on organise les coopérations.
Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à faire émerger des modalités de gouvernance partagée. Cela suppose de créer des espaces où l’on peut arbitrer collectivement : entre usages concurrents, entre temporalités différentes, entre objectifs de transition et contraintes économiques. Ces arbitrages sont aujourd’hui trop souvent laissés à des jeux de pouvoir implicites ou à des logiques d’opportunité.
C’est ce que révèle la problématique du foncier. Lorsqu’un territoire décide de préserver une zone humide ou de réduire son urbanisation, il en subit parfois seul le coût fiscal, pendant qu’un autre, un voisin, capte les projets d’aménagement. À l’inverse, lorsqu’une intercommunalité accueille une activité industrielle utile à l’ensemble du bassin de vie, elle n’a pas toujours les moyens de financer les infrastructures associées. On voit bien que les règles actuelles et la faiblesse des traditions coopératives ne permettent pas de prendre en charge ces externalités de manière équitable.
Cela plaide pour une évolution des mécanismes de compensation, de solidarité et de mutualisation entre territoires. Certaines expérimentations existent, elles restent marginales. Il faudrait aller plus loin.
Plus largement, je crois qu’il faut réhabiliter la négociation et parfois le conflit dans les processus de décision. La transition écologique ne sera pas un long fleuve tranquille. Elle suppose des renoncements, des redistributions, des transformations profondes. C’est ainsi que peuvent émerger des compromis durables entre toutes les parties prenantes, fondés sur une reconnaissance mutuelle des contraintes et des aspirations.
Le cas du SCOT de Gascogne illustre bien cette approche de la gouvernance territoriale qui se construit en ce moment autour des enjeux de la ressource en eau. Ce travail a permis d’ouvrir des discussions avec l’agglomération toulousaine sur les interdépendances hydrauliques et les responsabilités partagées entre la centralité urbaine et les territoires environnants.
Quels leviers les collectivités peuvent-elles mobiliser aujourd’hui pour mettre en cohérence développement économique, usage du foncier et trajectoires de sobriété ?
Les collectivités locales disposent d’une palette d’outils plus large qu’on ne l’imagine, à condition de les mobiliser avec cohérence et ambition. Le foncier est sans doute l’un des leviers les plus structurants. Il reste souvent abordé sous un angle purement réglementaire ou budgétaire. Si l’on veut vraiment transformer nos modèles d’aménagement, il faut réinvestir le foncier comme bien commun stratégique, au service de la transition. La collectivité doit avoir la maîtrise de son foncier.
Cela implique d’aller au-delà de la seule logique du ZAN [zéro artificialisation nette]. Car derrière l’objectif chiffré, ce sont des choix de société qui se jouent : que veut-on prioriser ? Quelle place pour les espaces agricoles, naturels, les communs urbains ? Et comment éviter que les territoires les plus fragiles subissent seuls le coût de cette sobriété foncière ? Le vrai enjeu, c’est de sortir du traitement purement technique de ces questions, et de les politiser au bon sens du terme.
Par exemple, à Orléans Métropole, les élus s’interrogent sur la pertinence de maintenir un modèle centré sur le développement continu et prédateur du foncier. Avec les services d’urbanisme, ils ont donc commencé à explorer concrètement les outils fonciers susceptibles de limiter l’expansion urbaine et de mieux maîtriser l’affectation des sols.
La fiscalité locale, malgré ses contraintes, peut aussi devenir un levier d’orientation. Aujourd’hui, elle reste très indexée sur la dynamique économique classique : plus on urbanise, plus on capte de recettes. Ce mécanisme incite à poursuivre des logiques d’extension, même là où elles ne sont plus soutenables. Des pistes existent pour faire évoluer ces logiques : revoir les assiettes fiscales, moduler certaines exonérations, introduire des critères environnementaux dans les dotations.
Le rapport Woerth évoque notamment la possibilité d’intégrer des objectifs de préservation des ressources dans les critères de répartition de la DGF. C’est une proposition intéressante, qui mérite d’être creusée. Elle pourrait encourager les collectivités à adopter des stratégies plus sobres, sans pour autant les pénaliser financièrement.
Enfin, il y a un levier souvent sous-estimé : la commande publique. Les intercommunalités sont des acheteuses puissantes, avec des budgets importants. Si elles intègrent des critères environnementaux et sociaux exigeants dans leurs marchés, elles peuvent contribuer à orienter l’économie locale dans une autre direction. Ce levier d’entraînement peut avoir des effets concrets sur les filières, l’emploi, les pratiques professionnelles.
L’enjeu, au fond, c’est de réinterroger tous les outils à l’aune d’un cap politique clair. La manière dont on utilise l’outil fait la transformation.
Quel rôle pour les cadres et agents territoriaux dans cette transformation ? Et de quelles conditions ont-ils besoin pour l’assumer ?
Les agents territoriaux sont au cœur de la machine publique. Ce sont eux qui traduisent les orientations politiques en actions concrètes, qui animent les dispositifs, qui accompagnent les transitions sur le terrain. Leur rôle est absolument central. Pourtant, ils restent souvent invisibles dans les discours sur la transformation des politiques publiques.
Je crois qu’il faut sortir d’une vision purement procédurale de l’action publique, dans laquelle l’agent est vu comme un simple exécutant. Ce modèle est dépassé. On a besoin de professionnels capables de réfléchir, de proposer, de relier les enjeux globaux à la réalité locale. Cela suppose de reconnaître leur expertise, d’accepter qu’ils expérimentent, tâtonnent, innovent. Et de leur donner les marges d’initiative pour le faire.
Beaucoup de cadres territoriaux que nous rencontrons à l’ADGCF sont déjà dans cette posture. Ils sont en veille, ils lisent, ils cherchent à faire évoluer leurs pratiques. Ils sont souvent pris en étau entre des injonctions contradictoires : répondre aux attentes immédiates des élus, satisfaire aux obligations réglementaires, tout en portant des dynamiques de fond. C’est une tension difficile à tenir.
Il y a aussi une question de formation. La transition écologique demande des compétences nouvelles, ainsi qu’une capacité à penser en systèmes, à travailler en transversalité. Les parcours de formation ne sont pas toujours adaptés à ces enjeux. Il faudrait inventer des espaces d’apprentissage plus horizontaux, plus hybrides, qui permettent aux agents de croiser leurs expériences, de sortir des silos.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer la dimension psychologique et symbolique de cette transformation. Travailler dans la fonction publique territoriale, aujourd’hui, c’est participer à une refondation. Cela peut être source de fierté, à condition qu’on en prenne soin. Il faut valoriser ces métiers, leur redonner du sens, créer des collectifs de travail qui soutiennent les dynamiques d’engagement.
Si les élus sont les porteurs du cap, les agents sont les bâtisseurs du quotidien. Sans eux, rien ne se fera.
Dans ce moment de bascule, comment définir la responsabilité des élus locaux ? Et comment faire en sorte qu’elle demeure désirable et tenable ?
La question du rôle des élus est, à mes yeux, absolument centrale. Nous vivons une période qui exige des choix, des arbitrages, des renoncements parfois. L’élu, en tant que dépositaire du mandat démocratique, porte cette responsabilité politique. Il ne s’agit pas simplement d’ajuster les politiques existantes : il faut redéfinir les finalités mêmes de l’action publique. Seul un engagement politique assumé peut porter cette transformation.
À l’ADGCF, nous sommes convaincus que les élus intercommunaux doivent trouver une position stratégique dans cette transition. Trop souvent, on a réduit leur rôle à celui de gestionnaires de services mutualisés, à la tête d’organisations techniques. Une intercommunalité, c’est un espace politique, un lieu où peut s’élaborer un projet de territoire à la hauteur des défis contemporains. Encore faut-il le revendiquer.
Ce projet ne peut plus se limiter à concilier un peu de développement économique, un peu de planification urbaine, et un peu de transition environnementale. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est un renversement de perspective : faire de la transformation écologique la matrice de toutes les politiques intercommunales. Comme le référentiel global plutôt que comme une surcouche. Cela suppose que les élus acceptent de revisiter les modèles qu’ils ont longtemps contribué à construire ou à défendre.
C’est une exigence lourde. Il y a beaucoup d’inertie, de résistances, y compris culturelles. Il y a aussi des attentes très fortes sur le terrain. Les habitants perçoivent les vulnérabilités qui s’accroissent. Ils attendent de leurs élus qu’ils prennent des décisions à la fois justes et durables. Cela passe par une forme de lucidité, de courage même, pour renoncer à certaines trajectoires et en ouvrir d’autres. Cette recherche d’équilibre me fait penser à l’une des maximes du temple de Delphes : « Rien de trop ». Elle nous rappelle qu’une politique territoriale soutenable suppose de poser des limites à nos propres ambitions. C’est exactement l’exercice auquel nous invite la transformation écologique.
La responsabilité des élus consiste à faire des choix dans l’intérêt général et à expliquer ces choix, à les assumer, à les inscrire dans le temps long. Cela suppose un nouveau rapport à la temporalité politique. On ne peut pas porter une transition de cette ampleur dans une logique de mandat à court terme. Il faut construire des récits partagés, capables de donner du sens à l’action collective, au-delà de la seule efficacité gestionnaire.
Il y a là un enjeu éthique très profond. Cette responsabilité est à la fois collective et singulière devant les générations futures, devant les habitants les plus exposés, devant les équilibres territoriaux fragiles. Elle ne peut pas être déléguée à des experts ni dissoute dans des logiques de gouvernance abstraite.
Concrètement, cela implique aussi de réinterroger les formes de gouvernance intercommunale. Les élus — tous les élus, pas seulement les maires — doivent pouvoir débattre, délibérer, arbitrer ensemble, sur des bases éclairées. Cela suppose du temps, de la confiance, des espaces de controverse. Il faut aussi veiller à une meilleure articulation entre les échelons : entre communes et intercommunalité, entre intercommunalités et régions, entre territoires et État. La transition ne pourra pas se faire en silos.
Enfin, je crois qu’il faut réenchanter la fonction d’élu local. Beaucoup s’épuisent, se découragent, parce qu’ils ont le sentiment de subir plus que d’agir. Restaurer leur capacité d’initiative, leur donner des marges de manœuvre réelles, les entourer de cadres compétents et motivés : c’est indispensable. La transformation ne se fera pas sans eux, elle ne se fera pas non plus à leurs dépens.
Ce que nous essayons de faire à l’ADGCF, avec d’autres partenaires comme France Villes et Territoires Durables, c’est justement d’accompagner cette prise de responsabilité. En proposant des outils, des méthodes, des espaces d’échange entre pairs. En aidant les élus à se poser les bonnes questions : que voulons-nous vraiment préserver ? Que sommes-nous prêts à changer ? Et comment rendre ces changements désirables, justes, soutenables ?
Cette voie suppose de faire confiance à l’intelligence des territoires, à leur capacité à inventer des chemins singuliers. Et de redonner toute sa portée à ce mot : responsabilité. Comme une opportunité de refonder le sens de l’action publique plutôt que comme une charge de plus.
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