[Vidéo] Les publics du Défilé
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Cette vidéo montre la mixité en actes au sein du Défilé. Les habitants des quartiers populaires aux classes moyennes, puis les personnes d'un certain âge jusqu'aux femmes aujourd'hui largement majoritaires.
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Interview de Dominique Hervieu
Dominique Hervieu, a pris la direction de la Maison de la danse et la direction artistique du Défilé de la Biennale de la danse en 2011. Elle vient de quitter ces deux institutions en 2022. À ce titre, elle a à la fois repris le flambeau de Guy Darmet, créateur du Défilé, et apporté sa couleur personnelle.
Elle détaille dans cet entretien certaines de ses ambitions, issues de son parcours et de ses convictions, et les façons dont elle a cherché à transformer le Défilé pour leur donner vie.
Cet entretien a été mené dans le cadre de l’enquête sur le Défilé de la Biennale de Lyon, réalisée en 2021 et 2022, à l’initiative de la Métropole de Lyon et de la Biennale de la Danse, dont les résultats sont restitués dans trois cahiers.
L’objectif était de comprendre ce que peut changer un tel événement, sur les participants, les territoires et la métropole ; de questionner la manière dont les grandes évolutions de la société l’impactent ou le questionnent ; de rendre possible enfin une réflexion collective sur l’avenir de cet événement d’exception.
Comment avez-vous découvert le Défilé, quelle a été votre histoire personnelle avec cette manifestation ?
Lorsque j’ai été nommée, je n’avais jamais vu le Défilé ! Je venais souvent à la Biennale de Lyon, mais pour faire des créations, dans les théâtres. Le Défilé a été une découverte surprenante et importante. J’avais la confirmation qu’il fallait perpétuer cet héritage, avec les questions que se pose chaque directeur : comment est-ce que l’on continue ? Comment est-ce que l’on fait évoluer ? Ou comment est-ce que l’on transforme radicalement ? Mon intuition a été aussitôt de dire qu’il fallait le faire évoluer, mais que c’était un rituel, par définition quelque chose qui se reproduit.
Quelles ont été vos ambitions, et vos actions, quand vous avez pris la direction artistique du Défilé ?
Une des premières actions a été de réduire le nombre de groupes à 12, comme au carnaval de Rio. L’année où je suis arrivée il y avait environ 18 groupes. Ce changement recouvre plusieurs objectifs de fond : les grands groupes sont plus impactants, avec 300 défilants par exemple. On garde le même nombre de participants, mais répartis autrement. Et réduire à 12 groupes incitait également à la coopération entre les villes.
Au lieu que chacun fasse son petit Défilé, on se met ensemble, on mutualise les moyens. Par exemple Vaulx-en-Velin et Sainte-Foy-lès-Lyon, il y avait vraiment l’emblème de ces deux territoires très opposés socialement. Je pense que cette mixité est très importante. Et puis on fait beaucoup plus circuler les amateurs, qui vont par exemple un jour à Saint-Fons et le lendemain à Feyzin. Je voulais que tout ça circule.
Donc pour ce qui est des territoires, il y’a l’idée de réduire le nombre de communes participantes également ?
Non, cette méthode de sélection fait que le Défilé est moins ouvert au « tout-venant », à « la petite ville qui veut faire un Défilé avec 100 personnes ». Il s’agit plutôt de dire à d’autres villes : « Accueillez cette petite ville, montez un projet ensemble ». C'est un travail politique pour les communes, les territoires, que l’on accompagne avec l’équipe du Défilé.
Il y a même des départements : l'Aisne, la Drôme, l’Ardèche. Et je pense que c'est une ouverture à accentuer, pour les questions de fractures territoriales qui sont aujourd'hui au cœur de toutes les politiques, c'est un outil génial de circulation. Cela permet de sortir aussi d’une attitude un peu identitaire : « La ville de machin, c'est mieux que la ville de truc ». C'est plus important de collaborer, de faire une vraie mixité sociale, avec des villes qui travaillent entre elles. C'est plus intéressant que la concurrence. Le travail artistique a pu permettre de faire diversion vis-à-vis de ces questions identitaires.
Vous avez aussi travaillé sur la relation aux amateurs ?
J’ai développé toute ma vie l’idée de créer des liens entre la création artistique et la pratique amatrice. J’ai souhaité que le grand moment amateur du Défilé ne soit pas déconnecté de la programmation professionnelle de la Biennale. On a beaucoup travaillé ce lien : il y a d’une part la participation à la danse par le Défilé, « la danse à vivre ». Et puis il y a l’accès aux œuvres, aux institutions, « la danse à voir », à la Maison de la Danse, à l’Opéra. Pour moi, cela va ensemble.
Du coup, on a fait un énorme travail. On a fait des présentations de la Biennale dans chaque groupe, avec des petites vidéos pour montrer tout ce qui se passe dans la Biennale. Il s’agissait de dire aux participants : « Vous avez deux invitations (il n’y a donc pas la barrière financière). C’est notre cadeau. Vous y avez accès. »
Malgré cela, il restait une barrière. Je me suis donc dit qu’on allait faire une création au sein même du Défilé, à la fin du Défilé. Pour que les participants soient connectés à la danse professionnelle, assistent à une véritable pièce. On a donc initié les créations place Bellecour, avec Dada Masilo, Mourad Merzouki, Yoann Bourgeois, Qudus Onikeku… pour que tous participent aussi aux débats sur la création actuelle, au plaisir, à la délectation, aux sentiments esthétiques, etc.
On pourrait dire que cela a été mon apport : faire cohabiter physiquement, au même moment, dans la même journée, auprès des mêmes personnes, la création contemporaine, actuelle (dans des formes assez accessibles), et la participation au Défilé.
Finalement, à la fin du Défilé, 15 000 personnes se retrouvent place Bellecour en famille, avec leurs amis, dans une ambiance un peu « musique rock », debout, et l’on voit une œuvre chorégraphique pendant 20 minutes. C’était un peu risqué parce que l’on n’a pas l’habitude de voir de la danse debout, dans un espace public. Comme le Défilé est un événement un peu hors normes, avec 4 000 participants, etc., il fallait présenter des œuvres hors normes, pas faire des œuvres comme à la Maison de la Danse.
J’ai donc proposé aux chorégraphes de présenter des œuvres « augmentées », d’abord avec des danseurs plus nombreux. Je suis partie avec Mourad Merzouki sur un récital à 40 danseurs. Puis Le Lac des cygnes, à 40 danseurs, avec Dada Masilo, puis avec Yoann Bourgeois… et à chaque fois il y a un apport particulier : l’ouverture vers l’Afrique du Sud avec Dada Masilo et Winship Boyd, qui a une expertise internationale en danse sud-africaine et qui est aussi une fille de Vaulx-en-Velin.
Le risque que je prends, place Bellecour, en tant que directrice artistique, c’est de savoir si 15 000 personnes, qui sont complètement excitées par le Défilé qui vient de se terminer, vont être à l’écoute d’une proposition poétique, décalée et peut-être éloignée de ce qu’ils connaissent. Et : oui, à chaque fois, ça a marché. Cela a été pareil avec Dada Masilo : avec 40 danseurs, elle faisait un solo. Cette petite bonne femme d’1m50, devant 15 000 personnes ! Je parie sur la curiosité des spectateurs, c’est une forme de « contrat de générosité » : vous avez accès à une œuvre gratuitement. Une œuvre qui est créée pour vous parce qu’elle est créée en exclusivité, unique.
Dire, pendant 20 minutes : « Vous voyez, au même niveau que ceux qui sont dans les salles, de la création d’aujourd’hui. Il n’y a pas une sous-œuvre populaire facile et des œuvres de luxe dans les salles. Ce sont les mêmes artistes ». C’est très important pour moi que l’on ne soit pas sur deux catégories : le populaire pour la rue et l’exceptionnel pour les salles et donc pour des publics différents. C’était l’enjeu et ça s’est bien passé. On n’entendait pas une mouche voler alors qu’on était 15 000. 15 000 personnes qui se disent : « Ça c’est pour nous. » Ce sont des victoires de partage, d’exigence pour le plus grand nombre.
Cette notion d’exigence, cette volonté d’élever le niveau autant que possible vous tient à cœur ! Par quoi est-ce que ça passe, et comment est-ce reçu sur le terrain ?
Tout à fait ! J’ai par exemple mis en avant, dans la préparation des Défilés, les moments d’échanges où chaque directeur artistique prend vraiment la parole et défend son projet. Il doit alors le formaliser, faire ressortir les enjeux principaux, montrer des images… Il doit aussi le défendre devant les politiques, etc. Chacun cherche alors à montrer le meilleur de son travail. On entend les idées des uns et des autres. On se dit que finalement les 12 projets ont un vrai fil rouge entre eux, ce n’est pas chacun dans son coin. Donc oui, ça participe à l’élévation du niveau. C’est une attente qui porte aussi sur les propos de fond des chorégraphes.
Et pour les participants, l’exigence est la même ? Vous ne craignez pas de rebuter des participants amateurs ?
Je pense que dire : « On veut cette qualité artistique », c'est être fier de soi. C'est en demandant beaucoup, en exigeant beaucoup que l'on obtient une adhésion. Je l’ai vu dans ma vie d'artiste et de travail avec les professionnels. C'est la même chose. C'est-à-dire qu'il faut à la fois accueillir et exiger. Si on ne fait qu'accueillir en disant : « Tu es dans ta petite ville, ce n'est pas grave si ce n'est pas très bien. », ce n'est pas de la bienveillance, mais une espèce de relativisme.
Bien sûr, il faut être indulgent, avec ceux qui commencent par exemple, mais il faut vraiment avoir le discours visant à ce que chacun soit « au top ». Et le « top » ce n'est pas la technique de la danse, c’est ce qu'on engage comme valeurs. Évidemment, ce ne sera jamais des danseurs professionnels qui font le Défilé. Ce qui est important c'est la joie d'être ensemble, et puis en effet de restituer une dimension esthétique, un vocabulaire corporel, un rapport à la musique, etc., qui constituent une parade chorégraphique. À partir du moment où tel est le projet, il faut le faire bien. Je pense que ce discours amène de la fierté.
Effectivement, cette notion de défi à soi-même, de challenge est très importante pour les participants que nous avons rencontrés…
Oui tout à fait. Et ça, ça motive. C'est vrai, par exemple, que j'ai accéléré le rythme du Défilé. Ce qui oblige à une exigence particulière d'écriture chorégraphique. Mais, je l’ai vécu comme danseuse : le challenge est un plaisir, et pas une contrainte. Je ne suis pas là en train de me dire : « Les pauvres, ils vont transpirer ». Je sais que ce challenge est du carburant pour avancer, progresser, avoir envie, à la fin, d'inviter ses copains à voir la danse parce qu'on est sûr d'être dans quelque chose de beau. Il y a cette question de la beauté, de la beauté du geste. C'est beau et on a envie de montrer qu'on a fait quelque chose de beau.
Et cette rencontre avec l’exigence de la pratique artistique a-t-elle pu amener certains participants à se professionnaliser ?
Cela a pu arriver. En tous cas, on rencontre des danseurs professionnels aujourd'hui qui ont participé au Défilé en amateur avant. On travaille également beaucoup à ce que le Défilé puisse nourrir des danseurs encore en formation. Par exemple, lors des créations à Bellecour, on cherche à impliquer le tissu local de jeunes danseurs. En recrutant 40 danseurs, sur un événement professionnel mais limité dans le temps, on peut intégrer des danseurs de la région dans cette expérience professionnalisante, avec un grand chorégraphe.
On a travaillé avec les danseurs du Conservatoire supérieur, sur une écriture assez sophistiquée et nouvelle pour eux de danse africaine avec Winship Boyd. Il y a même un danseur du Conservatoire, le seul blanc, qui est rentré dans la compagnie des Sud-Africains à Johannesburg ! Ou encore par exemple avec Qudus Onikeku, petit à petit on est allé vers une école hip-hop professionnalisante.
Le Défilé a été très centré sur le hip-hop lors des premières éditions, mais finalement, les ouvertures culturelles qu’il propose sont assez nombreuses.
Bien sûr ! Chaque édition doit amener des rencontres nouvelles. Chaque Défilé invite d’autres formes d’art ou d’autres pratiques que la danse, d’autres pays… Africa2020 était une collaboration, une co-construction entre un artiste africain et le directeur artistique. Là, on est ensemble dans le métissage. On est allé à nouveau à la rencontre des cultures avec un Africain du Nigeria, chorégraphe. Avec toutes les polémiques qu’il y a, lui a maquillé les Blancs en Noirs. Il m’a dit que c’était ce qui se passe à Haïti au carnaval. Lui est à l’aise avec ses valeurs, sa culture, ce jeu du vrai et du faux, du maquillage, du semblant, du jeu avec les identités, avec la possibilité de se travestir dans tous les sens, etc. Ça n’a fait aucun souci, alors que ça aurait pu.
J’ai développé aussi avec Barcelone un travail autour de la rumba, en insistant sur l’idée que la rumba était un modèle artistique musical qui a grandi grâce au métissage, passant d’un pays à l’autre et d’une culture à l’autre, rumba espagnole, congolaise, etc. À chaque fois, elle a une fonction différente, elle s’enrichit en voyageant. C’est un exemple d’enrichissement par la diversité des cultures.
On a également travaillé avec des musées comme celui des Confluences, en permettant une entrée gratuite. Il y avait l’exposition Une Afrique en couleurs, le groupe du Défilé bénéficiait d’une visite-médiation. Ça donne une consistance historique, intellectuelle, de tolérance esthétique, en apprenant sur les cultures du monde. C’est comme des points d’appui d’inspiration pour les danses, les costumes, etc. Des gens qui n’étaient jamais allés au musée des Confluences peuvent y aller. « On vous y invite. Vous allez voir des choses extraordinaires et on est sûrs que cela va vous inspirer ». Et hop ! C’est une façon de donner envie.
Tout le monde n’y va pas, mais c’est une façon de donner envie, d’enrichir encore le sens de la participation au Défilé en créant un contexte de diversité culturelle et en créant un contexte de valeurs, valeurs humanistes, etc. Quand en 2018, il y avait Latifa Ibn Ziaten et Lilian Thuram, l’idée était évidemment d’avoir un parrain et une marraine, mais aussi de mieux comprendre, de partager ce que font ces gens-là.
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