Qu’est-ce que l’hospitalité à l’échelle d’une ville ?
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Investigations théoriques et pratiques sur l'exclusion dans la ville, par le laboratoire de recherche et création LALCA.
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Interview de Camille FERRY
<< L’idéal serait d’assumer le fait que les gares sont de fait des lieux refuge. Et plutôt que d’envisager une architecture de prévention situationnelle, qui ne fait que déplacer le problème, il serait utile en amont de penser à la création >>.
Interview réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la Direction de la Prospective et du Débat Public pour la Mission Part Dieu sur le thème de l’errance en gare.
Camille Ferry a été bénévole dans l’une des trois délégations du Samu social de la Croix Rouge de Lyon-Villeurbanne en 2009 et 2010.
Dans ce cadre, elle a participé aux maraudes, elle est allée à la rencontre des personnes sans-abri qui errent dans l’espace public, et notamment dans les gares lyonnaises. En 2010, cette expérience l’a conduite à retenir le thème du sans-abrisme pour son mémoire de séminaire de politiques publiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon.
Dans cette interview Camille Ferry retrace son expérience de bénévole notamment au sein du Samu Social et, à partir de son expérience, elle décrit sa perception des personnes sans-abri, des politiques qui sont conduites et évoque la question particulière de l’errance en gare.
Vous avez été bénévole dans l’une des trois délégations du Samu social de la Croix Rouge de Lyon pendant près de deux ans. Quelles étaient les raisons de votre engagement ?
Depuis longtemps je suis sensible à la question du logement et plus particulièrement à celle du sans-abrisme. La présence de personnes sans-abri dans la rue me choque et relève à mon sens d’une profonde injustice. Pour moi, il était inadmissible de ne pas se préoccuper de ces personnes, victimes d’une société qui les rejette. Lorsque l’on n’a pas accès au logement, on n’a pas d’accès aux droits fondamentaux, accès à la santé, à la formation et bien sûr au travail. J’ai assisté à une conférence-débat sur ce thème puis j’ai participé aux deux campements citoyens organisés à Lyon les 27 et 28 mars 2009 et les 15 et 16 mai 2009 par l’association «Les enfants de Don» pour sensibiliser les élus et l’opinion publique au problème du logement.
J’ai alors rencontré des personnes sans-abri avec qui je n’aurais jamais eu l’occasion de parler et qui m’ont renforcée dans ma conviction que le sans-abrisme est une honteuse injustice. J’ai également rencontré des personnes bénévoles à la Croix Rouge et c’est ainsi que j’ai décidé de m’engager de façon plus durable, au delà de ma participation aux deux campements des Enfants de Don Quichotte.
Concrètement à quelles actions avez-vous participé ?
D’abord, je me suis documenté, j’ai lu pas mal de réflexions et notamment les rapports de la fondation Abbé Pierre sur le mal logement, j’ai assisté à une réunion publique sur le logement à Lyon à la Bourse du travail en mars 2009 au cours de laquelle des acteurs intervenant dans le domaine de l’urgence et du logement étaient présents et j’ai eu des discussions avec des bénévoles de la Croix-Rouge. Puis, j’ai commencé à participer aux tournées. Une tournée est un circuit qui dessert des lieux précis, où l’on « maraude » dans les rues et où l’on entre en relation avec les personnes sans-abri. En fin d’après-midi, nous chargions dans le camion, de la nourriture que nous récupérions auprès de la banque alimentaire, des couvertures, des produits d’hygiène et même des croquettes pour les chiens. Ensuite nous allions de site en site pour distribuer une soupe, un thé ou un café et surtout prendre des nouvelles et, lorsque la personne le souhaitait, solliciter le 115 pour un hébergement d’urgence. Nous laissions des colis quand les personnes en avaient besoin.
La maraude de la Croix Rouge de Villeurbanne fonctionnait tous les vendredis soirs, durait toute la nuit et toute l’année. Le problème du sans-abrisme ne se pose effectivement pas seulement l’été. L’intérêt de s’engager dans la durée permet de construire de véritables liens avec les gens, on finit par se reconnaître et se connaître. C’est d’ailleurs ces rencontres avec les personnes sans-abri, mais aussi avec les autres bénévoles que j’ai vraiment appréciées à travers ces maraudes.
Quelle perception de la problématique du sans-abrisme et des personnes sans-abri avez-vous développée au cours de ces différentes expériences ?
Un été, une personne sans-abri s’est mise torse nu et son corps n’était qu’une immense plaie. Il est mort peu de temps après. On ne peut pas rester aveugle à de telles situations. On doit comprendre les causes, sensibiliser le plus grand nombre et voir comment aider les personnes.
Bien sûr, il existe des facteurs individuels qui peuvent conduire à devenir sans-abri comme des problèmes familiaux, la perte d’un emploi ou une maladie, mais c’est bien une conjonction de facteurs individuels et de facteurs institutionnels qui fait que l’on est susceptible de se retrouver à la rue ou d’être expulsé de son logement. Par ailleurs, nous ne sommes pas tous égaux par rapport au risque du sans-abrisme : lorsque l’on est issu d’un milieu précaire, que l’on est isolé ou que l’on rencontre des problèmes psychiques ou psychologiques, les risques sont bien plus importants.
De nombreux a priori demeurent et il me semble même que la stigmatisation des personnes sans-abri s’accroît. Par exemple, nombre de gens associent personnes sans-abri et consommation d’alcool. Or, des études ont montré que les personnes à la rue consomment moins d’alcool en moyenne que les personnes logées. Par contre, des problèmes d’addiction peuvent effectivement exister. J’ai également découvert l’importance des problèmes de l’addiction dans cette expérience de volontariat.
Les personnes à la rue ont certes besoin d’un logement, mais certaines, « cassées » par leur expérience dans la rue, ont besoin également d’un accompagnement.
Par ailleurs, au sein des représentations, il subsiste une dichotomie entre le « bon » et le « mauvais » pauvre. Les « jeunes avec des chiens » et surtout les Roms sont particulièrement stigmatisés et rejetés alors que les familles ont tendance à être mieux perçues. Il est certain que les Roms ont les plus grandes difficultés d’accès au logement. Ils sont mal vus, surtout les femmes qui mendient avec des enfants. Mais l’une d’entre elles m’avait dit qu’elle préférait emmener son bébé avec elle plutôt que de le laisser seul dans un squat ou un bidonville où il ne serait pas en sécurité. De plus, et alors que la scolarisation des enfants est obligatoire, certaines mairies refusent de scolariser des enfants roms. Certains CCAS refusent également de domicilier les personnes roms, même si c’est illégal.
De plus, j’ai constaté que l’on exige souvent des personnes sans-abri des choses que l’on ne voudrait pas pour nous même. Par exemple, on critique le fait que certains refusent de se rendre dans certains centres d’hébergement où les conditions d’accueil sont telles qu’on ne voudrait pas soi-même s’y rendre à leur place. Elles sont également parfois critiquées quand elles font preuve d’une certaine exigence par exemple quand elles refusent de prendre un habit qu’on leur donne parce qu’il est bariolé alors qu’elles recherchent, et c’est logique, plutôt des couleurs sombres et discrètes. Lorsqu’elles se plaignent par exemple, du fait que telle couverture gratte on les critique également même si cela représente un réel inconfort supplémentaire.
Le sociologue Julien Damon qui a particulièrement travaillé sur la question du sans-abrisme propose d’interdire à quiconque de dormir dehors et de fait, suggère une obligation d’accepter d’être mis à l’abri. Etes-vous en désaccord avec cette proposition particulièrement directive ?
Je ne sais pas si c’est la solution, mais encore faut-il que les foyers offrent des conditions d’accueil de qualité.
En effet, la violence, l’insécurité, le manque d’intimité ou l’absence de consigne pour ranger ses affaires en lieux sûrs sont autant de réalités dans les foyers qui les rendent inattractifs, même lorsque l’on est dans une situation d’urgence. Or, les personnes sans-abri ont besoin de repos, de moments où elles puissent être à l’abri, en sécurité pour se poser, se reposer, se reconstruire.
Julien Damon cite dans un de ses ouvrages une personne sans-abri qui déclare qu’« Etre SDF est un métier à temps plein ». En effet, les personnes sans-abri se lèvent très tôt, dorment très peu et mal, ont des journées éreintantes, beaucoup de démarches à faire, d’obstacles à surmonter, et doivent parfois se déplacer avec toutes leurs affaires, toute la journée. Elles aussi appartiennent à la France qui se lève tôt !
Votre expérience vous a conduit à choisir comme sujet de mémoire de Séminaire politiques publiques et gestion des risques de l’Institut des d’Etudes Politiques de Lyon, le thème du sans-abrisme. Dans ce rapport sous la direction de Gwenola Le Naour, vous mettez en évidence que l’ambivalence de la perception des personnes sans-abri conduit à une ambivalence des réponses. Pouvez-vous préciser votre analyse ?
Effectivement d’un côté on met en place des bancs avec un accoudoir au centre pour éviter que des personnes sans-abri s’y couchent et de l’autre, on finance quand même des maraudes pour venir en aide aux mêmes personnes sans-abri !
La politique de l’Etat dans ce domaine n’est pas tranchée. On assiste également à une ambivalence entre logement et hébergement temporaire ou d’urgence. On met l’accent sur le logement durable, et c’est bien, mais les délais d’attente peuvent être très longs pour accéder à un logement social. Et l’accent mis sur le logement ne doit pas faire oublier les besoins qui existent dans le secteur de l’hébergement d’urgence ou de transition. Ambivalence également entre hiver et été, entre volonté de nier, de cacher, d’occulter et peur que des hommes meurent sous les yeux des associations militantes et des journalistes.
L’ambivalence entre le refus de financer des capacités d’hébergement pérennes et le coût particulièrement élevé des mesures précaires déployées dans l’urgence chaque année, notamment au moment de l’hiver : la réquisition des gymnases, la prise en charge de nombreuses nuitées d’hôtel, la mise en œuvre de dispositifs d’aide en urgence, autant de mesures coûteuses qui pourtant ne permettent pas de mettre en place un réel accompagnement des personnes.
Ne pensez-vous pas que si les politiques engageaient des solutions plus pérennes ils créeraient ainsi un appel d’air qui anéantirait leurs efforts ?
La théorie de l’appel d’air est très souvent évoquée par rapport à l’immigration et notamment celle des pays de l’Est et des Balkans. Or, lorsque l’on discute avec les migrants, il ressort qu’ils ne sont pas partis par plaisir mais bien parce que leur situation était invivable et qu’ici, même si les conditions d’accueil sont difficiles, leur vie demeure plus facile. Quelles que soient les conditions d’accueil que nous développerons, ils quitteront leurs pays.
C’est donc à nous de définir comment nous souhaitons les accueillir. Il me semble nécessaire que cette réflexion soit conduite à l’échelle européenne pour que des réponses pertinentes émergent car il s’agit à la fois de travailler avec les pays d’origine et avec l’ensemble des pays d’accueil. Il serait d’ailleurs intéressant d’écouter les préconisations du Conseil de l’Europe à ce sujet. Par ailleurs, des fonds européens, notamment pour l’intégration des Roms, existent.
Comment situez-vous Lyon par rapport aux autres grandes villes françaises ?
Il m’est difficile de positionner Lyon car je connais mal ce qui se passe dans d’autres villes. Ce que je constate toutefois, c’est que la situation à Lyon est moins tendue qu’à Paris, mais probablement plus difficile que dans des villes petites ou moyennes. A Lyon, le 115 est quasiment toujours saturé alors que, par exemple à Reims, il est toujours possible de trouver un hébergement d’urgence. Certaines femmes avec des enfants en bas âges, voire même des nouveaux nés, ont même dormi à la rue les hivers derniers.
Je ne sais pas si c’est une particularité lyonnaise, mais les membres des associations que j’ai côtoyées me disaient que les personnes sans-abri étrangères présentes à Lyon étaient souvent, et parfois depuis longtemps, dans une situation particulièrement complexe. Nombre d’entre elles sont dans une situation administrative précaire, c’est à dire en attente de décision d’expulsion ou de régularisation. Le problème de ces longs délais d’attente c’est qu’ainsi ces personnes ne peuvent accéder qu’à l’hébergement d’urgence et laissent dans les foyers des gens qui ne relèvent pas de l’urgence mais qui ne parviennent pas à accéder au logement ou aux dispositifs durables.
A Lyon, un partenariat local est plus ou moins structuré autour de la question du sans-abrisme, notamment avec le « 115 ». Cependant, et probablement comme dans de nombreuses villes, on note des incompréhensions entre associations ou des tensions entre professionnels et bénévoles. Par ailleurs, de bonnes intentions se transforment parfois en dispositifs critiquables et engendrent des incompréhensions. Par exemple, FNDSA a ouvert une halte de nuit, c’est-à-dire un lieu d’accueil organisé comme un accueil de jour, mais qui fonctionne la nuit. En principe, la halte de nuit était destinée aux personnes qui ne souhaitent pas se rendre dans un foyer pour dormir mais qui souhaiteraient venir durant la nuit pour prendre un café, une douche, ou encore pour trouver une présence, discuter.
Cela aurait pu convenir aux besoins de certaines personnes. Or, comme les hébergements d’urgence sont saturés, le 115 oriente vers la halte des personnes qui souhaitent une place dans un foyer pour dormir. La halte n’étant pas adaptée pour cela, les personnes se retrouvent contraintes de dormir sur des chaises, dans des mauvaises conditions de confort, et la halte ne peut pas offrir les services pour lesquels elle a été créée.
Par ailleurs, dans le domaine de l’aide aux personnes sans-abri, la présence d’organisations composées de bénévoles et d’autres de professionnels de l’urgence sociale rend plus difficilement lisible le fonctionnement des différents dispositifs. Des désaccords peuvent parfois exister, comme par exemple la question de la distribution de colis alimentaire aux personnes sans-abri qui selon certains professionnels pourraient « inciter » les personnes à rester dans la rue.
Dans votre mémoire de séminaire, ne notez-vous pas une certaine ambivalence dans l’évolution du travail auprès des personnes sans-abri ?
En effet, le travail auprès des personnes sans-abri semble évoluer vers une individualisation croissante des prises en charge. L’individu et son parcours particulier sont alors mieux pris en compte, mais ils peuvent également devenir objet de plus de subjectivité. Cette individualisation dans la prise en compte de la problématique du sans-abrisme peut renforcer par ailleurs le sentiment que le sans-abrisme est d’abord lié à des problèmes individuels et a tendance à nier l’importance des facteurs structurels et le fait que les sortants de prison, de l’Aide Sociale à l’Enfance, de l’hôpital, ou les petits salaires sont les plus vulnérables face au sans-abrisme. Ainsi, comme le dit Nicolas Duvoux, «aucune solidarité ne peut être envisagée sans la prise en compte des déterminants sociaux des situations individuelles».
Dans les maraudes, les gares étaient-elles des sites desservis ?
Les gares sont des lieux prioritaires pour les maraudes. Nous y passions plusieurs fois dans la nuit. Que ce soit à la gare de Perrache ou à celle de la Part Dieu, nous faisions un arrêt devant la gare, un autre à l’arrière, mais nous allions aussi dans les sous-sols pour aller à la rencontre des nombreuses personnes qui restent la nuit à proximité des gares. Nous rencontrions aussi bien des personnes sans-abri que des personnes dans des situations de précarité et nous avions parfois des difficultés à faire face à l’importance des demandes. Les gares ont cette particularité de réunir à la fois des publics errants et des populations précaires.
De fait, ces lieux sont connus et reconnus par le Samu social et l’ensemble des associations comme des lieux où se concentre un très grand nombre de personnes en grande difficulté.
Quelle perception et pratiques de la gare les personnes sans-abri développent-elles ?
Les gares peuvent être des lieux « refuge » pour certaines personnes sans-abri, qu’il s’agisse de personnes de passage ou qui y vivent. Elles peuvent s’y sentir un peu plus en sécurité que seules dans une rue. Elles peuvent y trouver des endroits abrités des intempéries. Il s’agit d’un lieu de rencontre, notamment avec la présence de certaines associations qui y passent pour proposer de l’aide.
Les gares sont amenées à devenir des espaces de mobilité organisée : quelle sera la place des personnes sans-abri dans ces futurs espaces ?
L’idéal serait d’assumer le fait que les gares sont de fait des lieux refuge. Et plutôt que d’envisager une architecture de prévention situationnelle, qui ne fait que déplacer le problème, il serait utile en amont de penser à la création de services, et notamment de dispositifs d’accueil. Cela pourrait être également des endroits pertinents pour envisager des hébergements.
Les gares sont des lieux de vie au cœur de la cité et les personnes sans-abri font également partie de la cité. Ce sont des lieux très bien situés dans la ville car de nombreuses connections s’y font, notamment avec les réseaux de transport, ce qui explique qu’ils attirent autant de monde. Lorsque l’on rejette les personnes sans-abri de la gare, on les rejette également du cœur des villes et on les relègue encore plus loin, à la marge, à la fois géographiquement et symboliquement.
Les gares pourraient mettre en place ou renforcer un travail des partenaires associatifs et institutionnels, mais aussi associer directement les personnes sans-abri. Ce travail partenarial permettrait de mieux comprendre pourquoi les gares sont des lieux d’errance et comment elles pourraient contribuer à répondre à certains besoins des personnes sans-abri qui les utilisent.
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