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Les spécificités de l'école juive de Lyon

Interview de Jacky BISMUTH

<< Nous souhaitons donner aux élèves un enseignement conforme au programme de l’Education Nationale, tout en leur permettant de vivre au rythme du calendrier et de la pratique juive >>.

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Date : 28/01/2001

Interview réaliséE pour le Cahier Millénaire3, n°23, pp 31-33, juin 2001, par Ludovic Viévard. Jacky Bismuth, professeur d’hébreu à l’école juive de Lyon explique les spécificités de l’école juive de Lyon et la part d’intégration de ses élèves dans la société lyonnaise.

Comment l'école juive de Lyon est-elle née ?
L'école a ouvert ses portes l'année scolaire 1962-63 pour répondre à un double besoin ; celui de l'éducation juive (enseignement des textes, des valeurs et de la pratique) et pour répondre à l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord, en quête d'une identité. L'école a progressé dans son effectif, elle s'est agrandie puis s'est installée à Villeurbanne en 1972.

Quelles sont les spécificités de l'école ?
Nous souhaitons à la fois donner aux élèves un enseignement conforme au programme de l'Éducation Nationale, tout en leur permettant de vivre au rythme du calendrier et de la pratique juive. Les vacances sont parfois décalées, les jours fériés juifs sont chômés, le vendredi les élèves partent plus tôt pour le sabbat, la cantine est casher, des offices sont célébrés... Les élèves apprennent les textes anciens et les vivent au quotidien.

Cela a été facile d'ouvrir cette école ?
Non, cela n'a pas été évident. D'abord parce qu'elle a été créée avec des fonds privés, ensuite parce qu'il a fallu la faire admettre par la population juive elle-même. Par ailleurs, la communauté s'est demandée si cette structure permettrait réellement aux enfants de s'ouvrir et de s'intégrer dans la vie nationale.

Quels sont les programmes ?
Ce sont ceux de l'Education Nationale, puisque l'école est sous contrat. Mais des heures de cours supplémentaires sont dispensées : en moyenne 1h30 par jour en plus. Nous assurons les cours d'enseignement général avec les manuels de l'Education Nationale, mais enseignons également les textes bibliques, l'exégèse, le Talmud, l'aspect législatif -connaissance des lois juives -, la liturgie, l'histoire juive...

C'est une école sous contrat. Est-ce que cela a été difficile à obtenir ?
Non, les choses se sont faites progressivement. L'école a commencé par être une structure privée hors contrat, puis une fois que l'effectif et les locaux ont été suffisamment importants, que nous avons donné la preuve que le personnel enseignant était compétent et que les programmes étaient bien
suivis... le contrat a été signé.

Cela implique-t-il une aide financière de la part de l'Education Nationale ?
Oui, les salaires des professeurs d'enseignement général sont pris en charge par l'Etat, ainsi qu'un forfait d'externat pour le collège.

Quels sont les effectifs ?
De l'école maternelle au Lycée nous accueillons environ 900 élèves. Mais le lycée est une structure nouvelle, qui a 4 ans, et nous n'avons donc eu qu'une promotion de bacheliers.

Les écoles catholiques accueillent les élèves sans condition de religion, est-ce votre cas également ?
On fonctionnerait de la même façon si l'école juive n'avait pas une spécificité beaucoup plus forte que l'école catholique. L'école catholique dispense un enseignement religieux aux élèves qui le souhaitent.
Ici, outre l'enseignement juif obligatoire, il y a tout le vécu. Il y a un rythme ici qui fait qu'il serait très difficile d'accueillir des élèves non Juifs. On le voit par exemple pour ce qui concerne les collègues enseignants non Juifs qui ont parfois du mal a s'adapter au décalage des vacances par rapport à leur famille. Pour les élèves ce serait pire encore, sans compter les prières aux repas, la cantine casher... ça pourrait ne pas convenir.

Quel regard portent vos élèves sur ce type de scolarité ? Est-ce que pour eux c'est anodin ou pas ?
Pour beaucoup d'entre eux, le cheminement est naturel ; depuis le jardin d'enfant jusqu'au lycée...
Les élèves ont l'habitude de l'école. La conviction de chaque famille, leur motivation, font que les enfants ne sont pas tous là pour les mêmes raisons. Certains cherchent surtout une structure qui respecte la cacherout, d'autres sont plus attachés à l'enseignement juif... Certains arrivent en cours de
scolarité et c'est un peu plus difficile ne serait-ce que par le rythme, puisque l'emploi du temps est un peu plus chargé.

Est-ce que pour vous l'école représente un milieu très protégé par rapport à l'extérieur ?
Oui et non. Oui parce qu'il y a un encadrement et une orientation qui font que les élèves sont très suivis, mais, en même temps, nos élèves sont aussi en contact avec leurs amis, les média, le monde extérieur. Et puis, dire qu'ils sont “ protégés ”, c'est toujours “ protégés ” par rapport à quoi ?

Par rapport à un monde extérieur beaucoup moins exigeant en termes religieux. Ici il y a une pratique religieuse constante...
Oui, il y a un règlement. C'est notre rôle de transmettre ce message religieux, mais sorti de l'école chacun garde ses convictions. Certains élèves sont issus de familles plus pratiquantes que d'autres... sorti de l'école, chacun garde une marge de manœuvre. On n'exige pas, à l'inscription, que les élèves répondent à tel ou tel critère de religiosité.

Quelles sont leurs questions relativement au décalage qu'ils constatent entre leur pratique religieuse et l'organisation de la société française (jours fériés différents, cacherout...) ?
Ils ne ressentent pas de décalage. Ceux qui veulent vivre, en dehors de l'école, en conformité avec l'enseignement que nous dispensons le peuvent aisément. Les lieux de cultes existent, les magasins d'alimentation cashers aussi... Donc il peut très facilement y avoir un prolongement de l'école dans le vécu quotidien.

Mais est-ce qu’ ils ne remettent pas parfois cette pratique en question, lorsqu'ils constatent qu'ils vivent de façon un peu décalée. Ne serait-ce que pour les jours de congé... n'ont-ils pas l'impression d'être marginalisés ?
Ils peuvent en avoir l'impression à la vue de certaines vacances réduites. Mais, en réalité, ils ont le même nombre de jours de congés. C'est moins sur le nombre de jour que sur la correspondance avec les vacances de leurs copains qui ne sont pas dans la même école.

Est-ce que cela n'implique pas pour eux de n'avoir que des copains qui ont les mêmes congés, les mêmes pratiques... ? Et est-ce que cela ne les limite pas dans leur ouverture ?
Non, pas dans leur ouverture. Nos élèves sont vraiment des enfants et des ados qui vivent leur enfance et leur adolescence dans l'air du temps... Ils ne sont pas handicapés, juste encadrés. Et puis il y a de nombreuses vacances communes. Les fêtes juives n'impliquent que 13 jours chômés par an. Au niveau du rythme scolaire cela ne pose pas de problèmes, pour le reste c'est un choix...

Quel regard portent-ils sur le versant législatif ?
Dès qu'on parle de pratique religieuse, cela induit une connaissance de ce qui est autorisé ou interdit. Quoi, comment, pourquoi et quand procéder... Nos élèves acceptent donc que cette étude fasse partie de leur instruction. Quant à la pratique, ils gardent ensuite leur liberté, en fonction de leur conviction intime. Mais nous, nous sommes là pour les initier, non pour faire la police. Sorti de l'école, un élève pratiquant convaincu va volontairement choisir une voie lui permettant de garantir l'observance du sabbat, des fêtes, etc., ou alors il pourra considérer que son avenir professionnel lui dicte de faire des concessions dans le domaine religieux et accepter d'aller passer un concours ou suivre des cours les jours de sabbat (...)

Est-ce que certains vous posent des questions sur ce sujet ?
Ce doit être difficile de s'interdire une profession parce que le concours d'entrée est fixé un jour de sabbat !
On a encore peu de retours sur ce sujet puisque lamajeure partie des élèves qui nous quittent sortent du collège. Certains nous en parlent, pas tous. Tout cela dépend de leurs convictions. Mais il y a parfois la compréhension de la part de l'école publique, même au niveau des examens. Il y a eu une circulaire, à l'époque du Ministre Beullac (Ministre de l'Education Nationale de 1978 à 1981), où il était demandé que ne soient pas organisés d'examens les jours de sabbat, ainsi que les jours fériés juifs.

C'est appliqué ?
Il y a une dizaine d'années, il me semble qu'il y a eu une modification de la notion de laïcité. La circulaire du Ministre Beullac répondait au principe de laïcité qui doit permettre le respect de la liberté de conscience religieuse. Cela permet à l'enseigné d'avoir une liberté par rapport à ses convictions
religieuses. Peut-être à cause d'abus ou de glissements, que sais-je, aujourd'hui, c'est l'individu qui doit respecter la laïcité et non plus la laïcité qui doit protéger l'homme. Actuellement, dans les textes, il est suggéré que, dans la mesure où cela ne dérange pas le bon fonctionnement de l'établissement, il n'y ait pas d'examen le samedi. Cela devient donc très subjectif. Un chef d'établissement ou un recteur d'université qui a le moindre problème de personnel ou de salle dira : "Moi cela me dérange..." et fera abstraction d'une communauté toute entière — juive ou musulmane
d'ailleurs. Cela dit, il y a toujours eu arrangement après démarches, le plus souvent entreprises par le Grand Rabbin régional - à l'échelon local - ou le Grand Rabbin de France - à l'échelon national.