Montréal, Toronto, Londres, Stuttgart, Madrid, Lyon, Houston, Minneapolis-Saint Paul... Qu'ont en commun ces villes?
Il s'agit de métropoles qui, au cours des dix dernières années, ont vu leur structure de gouvernement réformée : fusion de municipalités, création de niveaux de gouvernement métropolitain (comme la Communauté métropolitaine de Montréal), mise en place d'agences spécialisées dans la fourniture de services collectifs (eau, assainissement, transports) à l'échelle métropolitaine, création d'agences chargées d'attirer de nouvelles entreprises et de jouer la carte de la concurrence à l'échelle internationale.
Très généralement, les réformes métropolitaines ont été justifiées par l'obligation de doter les métropoles de structures de gouvernement efficaces pour faire face à la mondialisation des échanges économiques, quitte à ignorer les critiques relatives aux effets de ces nouvelles institutions sur la démocratie locale. Quoi qu'il en soit, les institutions sont là, et on attend d'elles qu'elles mettent en place des politiques innovatrices, performantes. Certains voient même dans ces créations la "revanche" des villes sur les États. Ceci est d'autant plus vrai en Europe, où la construction des États pendant la période moderne s'est faite au détriment des villes qui existaient avant elles. Les nouvelles métropoles, disposant de structures de gouvernement à la mesure des enjeux avec lesquels elles sont aux prises, pourraient à terme devenir des niveaux de gouvernement concurrents pour les États dépassés par la mondialisation.
Déséquilibre en faveur des provinces
Or, si on regarde du côté des relations provinces-métropoles au Canada, le déséquilibre des relations en faveur des provinces est patent. Ce sont les villes qui font également les frais du déséquilibre fiscal et qui demandent à intervalles réguliers des efforts supplémentaires en éducation, en santé, etc. On pourrait d'ailleurs étendre le raisonnement aux régions, comme le récent sommet des régions à Québec l'a montré. La réponse du provincial est toujours la même : que le fédéral commence à traiter la question du déséquilibre, nous verrons par la suite Autre élément qui limite le renforcement du poids politique des métropoles, les relations avec la société civile. Dans l'histoire de la construction de l'État au Québec, en Ontario mais aussi dans les États européens (qu'ils soient unitaires comme la France et la Grande-Bretagne ou fédéraux comme la Suisse et l'Allemagne), c'est l'État qui a acquis le monopole des relations entre les groupes les plus influents de la société civile : les représentants syndicaux, patronaux et de salariés, les grandes firmes ou les mouvements sociaux. C'est ce que les politologues appellent la régulation politique, c'est-à-dire l'ensemble des mécanismes par lesquels les autorités publiques coordonnent les acteurs de la société civile entre eux, règlent les conflits, allouent des ressources à certains groupes. Pour qu'elles deviennent à terme des niveaux de gouvernement concurrents aux États, il faudrait que les métropoles deviennent les institutions et les territoires d'une nouvelle régulation politique, non plus provinciale mais métropolitaine. Ceci est encore plus vrai au Québec, où la Révolution tranquille a consacré l'échelon provincial comme le territoire politique clé. On voit donc mal comment les nouvelles institutions métropolitaines pourraient échapper à leur "code génétique" élaboré par le niveau provincial en fonction de rationalités qui lui sont propres. À moins que, ironie de l'histoire, elles ne soient instrumentalisées par le niveau fédéral qui, on le sait, est toujours en mal de territorialisation face aux provinces, d'autant plus au Québec. Le dernier discours du Trône, annonçant le lancement de vastes programmes fédéraux dans le domaine des infrastructures urbaines, constitue sans doute un premier indice de cette dynamique des relations intergouvernementales au Canada. De même, le projet de certains députés à Ottawa de créer un ministère fédéral des Villes va clairement dans ce sens (Le Devoir, 21 novembre 2002). La ville devient un enjeu clé pour le fédéral au Canada. Les ministres provinciaux, en premier lieu André Boisclair pour le compte du Québec, ont raison de se méfier de ce qui n'est encore qu'une des pistes de réflexion d'Ottawa. Il ne s'agit pas uniquement de savoir si le fédéral empiéterait ou non sur des compétences provinciales. C'est évident.
Remise en question d'un monopole
Ce qui est en jeu, c'est bien la remise en question par le fédéral du monopole de la régulation politique opérée par les provinces sur leurs territoires respectifs. Et il y a fort à parier que le fédéral trouverait des alliés objectifs à cette remise en question : en premier lieu, les grandes villes, qui ont d'ailleurs accueilli favorablement le discours du Trône, mais aussi tout un nombre de groupes communautaires, de clubs patronaux, qui n'ont pas accès au provincial et qui accepteraient volontiers de participer à des programmes fédéraux, quitte à contourner Québec. L'implication du fédéral dans les villes ne passera sans doute pas par le financement direct des municipalités, contrairement à ce que pense le ministre Boisclair. Il pourrait agir tout aussi efficacement en transformant la régulation politique à l'échelle métropolitaine et en s'adressant directement, par le truchement de programmes spécifiques visant certains segments, à la société civile.
Une politique fédérale urbaine pourrait, à n'en pas douter, transformer le rôle des métropoles dans l'ordre politique canadien en modifiant l'équilibre des relations fédérale-provinciales. Le fédéralisme canadien bipolaire se transformerait en un jeu à trois acteurs, ouvrant largement, par là même, de très nombreuses combinaisons en matière d'alliances et de conflits. Il faut donc suivre le dossier de près car c'est l'ordre politique canadien qui est en jeu.