[Portfolio] Street art dans les rues du Grand Lyon : quelles pratiques, quelles intentions ? 1/3
[Portfolio] Street art dans les rues du Grand Lyon : quelles pratiques, quelles intentions ? 1/3
Article
S'engager dans l'espace public
Lieu de circulation et d’échanges, l’espace public est investi de pratiques diverses, dont les arts urbains, large champ d’expression allant de la commande publique aux expressions libres du street art. C’est à ces dernières que s’intéresse ce portfolio en triptyque. À partir d’une sélection d’œuvres récentes situées dans l’agglomération de Lyon, il illustre certaines des motivations qui poussent les artistes à intervenir spontanément dans l’espace public.
Parmi les intentions identifiables, celle de l’engagement tient une place toute particulière. La rue est par excellence le lieu où l’artiste peut affirmer ses engagements à un public « captif ». Ainsi, durant tout le temps où l’œuvre est visible, chaque passant peut être déstabilisé par l'artiste qui le bouscule, le provoque, cherche à le sensibiliser, à partager ses références et à l’émouvoir.
L’espace public n’est pas qu’un lieu de transit, il est aussi « investi » par une multitude d’usages. Certains y font du sport, d’autres s’y retrouvent pour échanger, jouer, des habitants le végétalisent… d’autres encore y pratiquent diverses sortes d'arts graphiques, généralement désignés par le terme de « street art ». Sous cette appellation générique, on trouve des collages (dessins, photos, etc.), de la peinture (appliquée en spray, avec un pinceau ou un rouleau), du carrelage, des moulages (le plus souvent en plâtre), du carton et du papier mâché, des pochoirs, des installations, des végétaux (mousse ou feuilles collées), etc.
Ces formes d’expressions visuelles partagent un même espace, l’espace public devenu support de création. Légales ou vandales, réprimées ou tolérées, isolées ou inscrites dans une « sous-culture », durables ou éphémères, ces œuvres ont en commun d’être spontanées, au sens où elles ne procèdent pas de commande, publique ou privée, et se situent en dehors des circuits institutionnels de l’art. Mais comme en miroir à la diversité des pratiques et des formes, les intentions des artistes sont également plurielles.
Le premier volet de ce triptyque est consacré à l’engagement : l’artiste s’inscrit alors dans une longue tradition d’art militant, qui vise à dénoncer, choquer, mais aussi sensibiliser ou rendre hommage. À chaque fois, ce sont les convictions de l’auteur qui s’exposent sur la place publique, prenant le spectateur à témoin.
1. Art militant : interpeller le citoyen dans la rue
S'emparer des questions de société pour exprimer ses indignations : la force militante du street art est de pouvoir se porter au-devant des spectateurs, contrairement aux œuvres installées dans un musée, et de s'imposer malgré l'envie de ne pas les voir.
Certaines de ces œuvres peuvent être ainsi vécues comme une agression par le passant qui, au détour d'une rue, rencontre la colère de l'artiste, représentée par exemple par le Gilet jaune éborgné de Bonno. De la même façon, Kken affiche la violence des hommes en montrant dans toute sa brutalité ce qu'elle produit sur le visage tuméfié d'une femme, sous lequel on trouve cette légende : « Ceci n'est pas un tuto make up ».
Mais l'engagement ne passe pas toujours par des œuvres dont la brutalité vise à percuter le passant. D'autres ressorts sont possibles, comme le montrent les deux œuvres ci-dessus. Engagé dans la protection de l'environnement et la lutte pour le climat, Green propose des œuvres monumentales, le plus souvent réalisées en carton, et particulièrement vulnérables, notamment à la pluie. La précarité de ses productions, qui symbolise la fragilité du monde, donne de la force à son message.
Ici, l'arche de « l'inhumanité » évoque une « humanité qui part à la dérive », causant la destruction des espèces vivantes. Quant à My Stencil, c'est sur le registre d'un humour particulièrement grinçant qu'il alerte, durant la période des fêtes de fin d'année, sur l'impact de l'hyper-croissance des géants du net, dont Amazon « qui a volé le travail » du Père Noël.
Des artistes militent, et des militants usent des modes d’expressions artistiques urbains pour porter leur message. C'est notamment le cas des colleuses féministes, mouvement social initié par l’activiste Marguerite Stern à Marseille, en 2019. Les grandes lettres noires sur feuilles blanches visent pour les colleuses à se réapproprier l’espace public et imposer au regard ce qui peut être ignoré par ailleurs : les féminicides.
Ce style standardisé fera rapidement des émules dans différentes villes. Les slogans se diversifient au fil des appropriations, s’élargissant à la lutte contre le patriarcat sous toutes ses formes et à d’autres formes d’oppressions. Depuis peu, cette esthétique immédiatement reconnaissable est détournée par des mouvements sociaux rivaux, luttant par exemple contre l’IVG (encart à droite).
2. Provoquer : perturber l'espace public
La provocation est un ressort récurrent de la création artistique. Le street art n'y échappe pas, prenant place avec facilité dans un espace ordonné à une fonction spécifique, dont il peut facilement jouer en la détournant, la raillant... Dans la cour d'une crèche, By Dav' a par exemple laissé deux pochoirs d'oursons enfantins, parodiant les célèbres « Bisounours » : l'un tient un cocktail Molotov et l'autre une grenade. La destination de l'espace s'en trouve forcément perturbée !
Bien que désacralisée et abandonnée, l’Église du Bon-Pasteur demeure un symbole religieux dont les murs et l’intérieur sont régulièrement vandalisés. Le crâne en plâtre moulé par Sceriffo s'y impose comme une gargouille morbide. Ici, l’artiste emprunte au genre des vanités. Développées au 17e siècle, ce sont des représentations allégoriques de la mort, rappelant l’homme à sa condition et soulignant la vanité des affaires humaines.
Pour Sceriffo, chacun doit prendre conscience de sa propre vacuité : « C'est en descendant de son piédestal imaginaire, que l'humain peut comprendre qu'il n'est qu'une espèce parmi les autres, et certainement la plus nuisible à sa demeure ». Pourquoi une église ? « Par pure provocation, précise l’artiste. Ce n’est pas une attaque contre la religion parce que l’église a perdu son caractère sacré, mais j'aime provoquer une émotion que cela soit de l'effroi, de la gêne, de la curiosité, etc. Cela amène à la réflexion ».
Choquer passe par l'image, mais aussi par les mots. Même si le contraste entre le texte et le fond fleuri adoucit l'insulte, les collages de Choléra street attribuent aux murs une forme visuelle de syndrome de Gilles de la Tourette, qui résonne dans la ville !
3. Sensibiliser : changer le regard du passant
Une démarche de sensibilisation peut tendre à mettre au centre de l'espace public un objet artistique qui invite le passant à changer de regard. C'est très précisément ce que fait Théo Haggaï avec le projet « Human Moon Constellation ». Ses dessins relient des personnages de toute la planète qui se donnent la main pour inciter à la tolérance et symboliser l'égalité dans la diversité.
Intervenant au squat Maurice Sève, alors occupé par des migrants, Théo Haggaï a transformé l'aspect visuel de l'espace public. En le rendant « beau » alors qu'il évoquait jusque-là le délabrement d’un site à l'abandon, l’artiste armé d’un seul marqueur appelle les habitants et les passants à changer de regard sur les résidents du squat, grâce auxquels la transformation du lieu a été rendue possible.
Sensibiliser au plaisir féminin, c'est d'abord produire une représentation familière du clitoris, organe dont la reproduction complète dans les manuels scolaires remonte à 2017 ! Pour Underthunder, cela passe par le projet klit in da street. L'artiste dissémine un peu partout dans le tissu urbain des clitoris stylisés, auxquels elle prête les traits de personnages publics ou de fiction. Désexualisé et omniprésent, le clitoris perd ainsi toute étrangeté.
Dans un tout autre registre, Zorm amorce une tentative de sensibilisation à la présence animale dans la ville, mais son travail va plus loin. Les pingouins et les koalas nous rappellent la fragilité de la biodiversité et les menaces qu'elle subit, qu'il s'agisse du réchauffement climatique ou des incendies géants d'Australie. Quant aux têtes de singes, elles portent sur le passant un regard attristé mais bienveillant, comme pour lui dire que nous aurions les moyens, si nous le voulions, de vivre ensemble et autrement.
4. Rendre hommage : faire exister ses figures
Si l'engagement passe par l'affichage de ses convictions, il repose aussi sur l'hommage des grandes figures qui incarnent les valeurs que l'artiste souhaite promouvoir. Jalb, pochoiriste, illustre la solidarité et la justice en mettant en avant Rosa Parks et Martin Luther King, pour leur lutte contre le racisme, l'Abbé Pierre pour son engagement en faveur des personnes à la rue, Simone Veil pour la loi sur l'interruption volontaire de grossesse et Coluche pour les Restos du cœur.
Lors du premier confinement, les Las Gatas ont rendu hommage non à des personnes, mais à des fonctions remplies par les « premiers de corvées ». Infirmières, éboueurs, éducateurs, etc., celles et ceux qui étaient en premières lignes et ont permis une continuité de la vie quand tout était à l'arrêt.
Dans la démarche militante, il n'est pas rare que le choix de l'emplacement revête un sens particulier. Ici, l'hommage aux soignants a été collé sur les murs de l'hôpital de la Croix-Rousse.
Au sein de la communauté des graffeurs, la mémoire des pratiquants disparus perdure à travers de nombreux tags et graffs en leur honneur. Ces campagnes d’hommage sont organisées par les graffeurs proches du défunt, auxquelles s'associe spontanément la communauté élargie. Elles sont en général ponctuées d’une jam session – peinture en commun.
Depuis son tragique décès sur le périphérique lyonnais en 2019, c'est le nom du jeune graffeur Ivory que des proches continuent de peindre sur les murs, comme ici, avec une pièce monumentale sur la rocade reliant Rillieux-la-Pape à Neuville-sur-Saône.
Les grands parcs apparaissent comme des espaces à part, qui proposent une nature organisée par l’homme et reflètent les préoccupations des époques qu’ils traversent.
L’Hôtel du département du Rhône a la particularité d’abriter à la fois le Département du Rhône, collectivité territoriale, et la Préfecture du Rhône, service de l’État dans le département.
Dans le récit de la constitution des sites archéologiques de Saint-Romains-en-Gal et de Fourvière, prenons conscience de la valeur des traces civilisationnelles qui nous sont données à voir.
Une fête, une parade, un carnaval, un rituel, un emblème, un creuset, un bonheur, un défi, une histoire, une énergie ?... Retrouvez sur cette page toutes les étapes de nos réflexions sur le Défilé de la Biennale de la danse de Lyon, un évènement hors catégories !
Le Grand Lyon bouillonne d’initiatives, de projets, d’envies de faire et d’inventer : puisse ce guide aider, encourager et multiplier ces enthousiasmes !