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Cycle Veille M3 / La nuit, un territoire en passe de se normaliser ?

Dossier

L’être humain est fondamentalement un animal diurne. Il n’est pas adapté à l’obscurité. Vivre la nuit contrarie son rythme biologique, au point de réduire son espérance de vie. Et pourtant, cette face cachée de nos jours a un goût particulier : celui du temps volé à la banalité des heures où le Soleil règne en maître.

Depuis l’industrialisation, notre organisation sociale privilégie la productivité à tout prix, tant et si bien que décennie après décennie, nous avons progressivement débordé nos journées et « colonisé » une nuit jusqu’alors réservée pour l’essentiel au sommeil, à l’intimité ou aux célébrations.

Nous avons laissé nos activités du jour s’y glisser, à la faveur de davantage de travail, de consommation ou de loisirs, aidés par l’artificialisation des éclairages, désormais visibles depuis l’espace.

La lumière de la Lune, maîtresse des marées et muse des cultures, ne suffit plus. Dommage, car la luminosité moderne est un fléau pour la biodiversité. Cette pollution lumineuse désoriente oiseaux et insectes, perturbe amphibiens et mammifères. Sans oublier qu’elle entraîne des dépenses énergétiques aussi faramineuses que néfastes pour le climat.

Alors si les humains, soumis à des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, étaient amenés à définitivement domestiquer ces heures fraîches, que resterait-il de leur pouvoir transgressif, de leur charme sauvage, de leur atmosphère inspirante ?

Pire : ces évolutions entraînent le désenchantement d’une nuit qui n’a presque plus rien de mystérieux. Que deviennent alors ces mythes et légendes, qui y voyaient une ouverture vers l’irrationnel, l’imaginaire, le magique ?

Penchés sur leurs smartphones, les humains d’aujourd’hui cèdent au pouvoir d’attraction des lumières bleues, trouvant derrière leur écran des magasins en permanence ouverts, des projections ininterrompues de vidéos et des formes de sociabilité les liant à des anonymes passant pour des proches.

Sans doute est-il urgent de prendre la mesure de ces transformations, pour préserver la tonalité singulière d’une nuit qui a tant à dire « au jour et à demain », comme l’a écrit le géographe Luc Gwiazdzinski.

Bonne lecture !
Date : 01/01/2024