L’art urbain dans la fabrique de la ville, entre convergences et divergences
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Comment l’art s’intègre-t-il dans la fabrique de la ville ?
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S'approprier l'espace public
L’espace public n’est pas qu’un lieu de transit, il est aussi « investi » par une multitude d’usages. Certains y font du sport, d’autres s’y retrouvent pour échanger ou jouer, des habitants le végétalisent… d’autres encore y pratiquent diverses sortes d'arts graphiques, généralement désignés par le terme de « street art ». Sous cette appellation générique, on trouve des collages (de dessins, de photos, etc.), de la peinture (appliquée en spray, avec un pinceau ou un rouleau), du carrelage, des moulages (le plus souvent en plâtre), du carton et du papier mâché, des pochoirs, des installations, des végétaux (mousse ou feuilles collées), etc. Ces formes d’expressions visuelles partagent un même espace, l’espace public devenu support de création.
Légales ou vandales, réprimées ou tolérées, isolées ou inscrites dans une « sous-culture », durables ou éphémères, ces œuvres ont en commun d’être spontanées, au sens où elles ne procèdent pas de commande, publique ou privée, et se situent en dehors des circuits institutionnels de l’art. Mais comme en miroir à la diversité des pratiques et des formes, les intentions des artistes sont également plurielles.
Le deuxième volet de ce portfolio en triptyque illustre l’appropriation de l’espace. Il s’agit alors d’y laisser sa marque, voire d’en revendiquer une forme particulière de (co)propriété. Cette affirmation peut emprunter plusieurs chemins : revendiquer une légitimité à intervenir dans l’espace commun en le transformant, y inscrire son nom ou celui de son groupe pour marquer son « territoire » et y affirmer son talent et sa culture… Bref, dans ce jeu d’appropriation, il s’agit autant de dire que « la rue est à nous » que « nous sommes de la rue ».
Faire du graffiti, au-delà d’un mode d’expression, c'est s'inscrire dans une communauté qui partage des pratiques, des références culturelles, un vocabulaire et des codes qui lui sont propres. La communauté se reconnaît une appartenance commune, qui exclut les profanes, peu souvent en capacité de décrypter ses messages et de saisir ses enjeux.
Chacun se choisit un “blaze” - un nom -, monte et intègre des “crews” - des équipes -, et se livre à une véritable compétition entre initiés, qui a ses règles et ses champions. C’est avec fierté que l’on se retrouve et défend son crew : ici les 69ERS s’imposent aux automobilistes de la rocade est.
Sur les autoroutes, voies ferrées et autres axes importants, les graffeurs renouvellent le paysage au gré des constructions et des campagnes d'effacement. Loin d’un investissement anarchique, l’ensemble est en fait bien organisé : chacun a sa place, et le premier qui peint sur une “gâche” la conquiert. Les autres se poseront autour, puis au-dessus, poussés à varier les techniques. Car graffer sur une peinture déjà existante, ou “toyer”, c'est enfreindre une règle centrale, et s’exposer à des représailles.
Après l’intervention à la bombe d’OMICK, CLOUN, PEC, les NLK, CAOS, SEK et IBOU, c’est avec la peinture au rouleau que SYONE (FAC), TEPIO et CLEOH, et SORGA (MOB) s'approprient les hauteurs.
Faire la preuve de sa virtuosité vandale au reste de la communauté peut revêtir différents aspects pour les graffeurs. Il s’agit de peindre le plus possible, le plus gros possible, avec le plus de style, sur les endroits les plus visibles et les plus difficiles d’accès. Pour cela, on ne lésine pas sur les moyens : arpenter rue par rue la ville pour y inscrire son nom, s’introduire dans les dépôts de métro sécurisés, ou encore descendre en rappel des édifices.
C’est en imposant de longues phrases en lien avec l’actualité, nécessitant beaucoup de temps et accroissant ainsi les risques, que JB, BDS et les BAP font la démonstration de leur motivation.
À la sortie du tunnel de Fourvière, un grand mur aveugle, élément remarquable, “spot” idéal pour les graffeurs, surplombe l’autoroute, les quais de Saône et la voie ferrée. Peur et Satu déjà posés au premier étage, les 2P doivent sortir la grande perche pour investir le second.
Couleurs contrastantes et voiture de police sur fond enflammé, ces peintures au rouleau percutent autant par leur maîtrise que par l’imaginaire qu’elles convoquent. Elles constituent ainsi de véritables pièces maîtresses, selon les codes de la communauté des graffeurs dits « vandales ».
Outre les lieux cachés, les murs légaux ou libres permettent aux graffeurs d'intervenir dans un espace public largement partagé, tout en prenant le temps de produire des œuvres très abouties qui témoigneront de leur maîtrise technique. Ici, dans la continuité de leur travail extrêmement exigeant, Ynot (en haut) et ERPI (en bas) posent des œuvres qui rivalisent de virtuosité.
Conformément aux codes de la culture graff, la recherche reconnaissance se fait souvent à travers de grandes pièces collectives. Chacun des graffeurs compose alors un élément d'une fresque en s'accordant aux autres. Signée du crew, ici la GEK team, l'œuvre finale tient une place dans la compétition qui oppose les groupes de graffeurs.
Les associations de supporters “ultras” récupèrent en partie les codes du graffiti pour se livrer à une compétition dans l’espace public. Pour ces groupes, le territoire est enjeu et support de luttes parfois violentes : leurs interventions visent à glorifier leur club ou leur ville, et dénigrer ceux des supporters adverses, allant jusqu’à l’insulte, comme par exemple avec l'inscription ASAB - all Stéphanois are bastards. On les croise pour la plupart sur les axes reliant Lyon et Saint-Etienne, clubs rivaux par excellence, et aux alentours du Groupama Stadium à Décines, prolongeant ainsi l'arène d’affrontement.
Selon les codes du graffiti, un mur « ouvert » par un artiste lui appartient légitimement. Le texte « I will always be there » (Je serai toujours là), qui apparaît sur certains des graffs de Georges de Loup présentés ici, fait ainsi autant référence à la déclaration amoureuse qu'à l'intention d'occuper ce mur. Ces huit variations sur un même thème illustrent l'effort de l'artiste pour tenir la place après chaque opération de nettoyage des services de propreté urbaine.
La transformation de l'espace public est l’une des formes de son appropriation. Pour Ememem, celle-ci passe par la « réparation » des chaussées endommagées. Fissures, nids de poule, pavés manquants… Ces interstices sont comblés par des mosaïques réalisées sur mesure.
Avec ce travail de "flacking", terme inventé par l'artiste, la question est posée de savoir qui est légitime à intervenir dans l'espace public. Ememem explique : « Je crée des « anomalies » là où je trouve des blessures. [...] L’origine et le fil conducteur, c’est l’esprit de raccommodage de la rue et le besoin de couleur, mais aussi l’envie de casser les codes, l’envie de formes, de matières là où on ne les attend pas. Casser la monotonie, les standards de l’urbanisme ».
Avec le projet #faiteslesparler, cet artiste resté anonyme colle des photos de personnalités, politiques ou des médias, comprenant des phylactères vides. Il offre ainsi aux futurs passants la possibilité de les remplir pour faire parler ces acteurs de la vie publique.
Avec ces œuvres collaboratives, l'objectif est de transformer l’espace public en agora, lieu d’échanges et de débats, mais également, précise l'artiste, de « faire parler des gens qui parlent pour nous ». Si le résultat de l'expérience artistique n'est pas toujours au niveau des attentes de l'artiste, les passants jouent le jeu, souvent avec humour.
Retrouvez tous les numéros du portfolio :
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Comment l’art s’intègre-t-il dans la fabrique de la ville ?
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Grâce à la rencontre de trois graffeurs lyonnais, penchons-nous sur leur expérience de cet univers en perpétuelle mutation que représente le graffiti.
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Parmi les intentions identifiables, se trouve la volonté de subvertir l'espace public en le détournant de son usage premier.
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Imposer sa marque aux lieux est l’une des formes de conquête d'un territoire devenu terrain d'expression et d'identification.
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La rue est le lieu où l’artiste peut affirmer ses engagements à un public « captif ».
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