Rappelons tout d’abord la définition donnée par Louis Malassis, fondateur de l’école francophone d’économie agroalimentaire : un système alimentaire est « la façon dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture ». On peut également le définir comme un ensemble d’acteurs en interrelations orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’une population. Les systèmes alimentaires sont le résultat d’une très longue histoire remontant au néolithique, avec aujourd’hui une grande diversité de formes dans le monde. On observe cependant depuis quelques décennies le développement hégémonique d’un système agroindustriel de production et de consommation de masse, spécialisé, concentré, globalisé et financiarisé, structuré par de très grandes firmes industrielles et commerciales. Ce modèle issu des pays occidentaux se diffuse désormais aux économies émergentes.
Avant d’évoquer les limites du système agroindustriel, j’ai coutume de rappeler les services qu’il a rendus au cours des dernières décennies. Il a permis à un pays comme la France, longtemps déficitaire en produits agricoles par rapport aux besoins de la consommation intérieure, d’entrer dans une ère d’abondance où les besoins alimentaires sont globalement largement satisfaits. La France dispose aujourd’hui d’une capacité de production de premier plan en Europe qui lui permet de figurer parmi les premiers pays exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires. Enfin, si l’on se place du point de vue du consommateur, le modèle agroindustriel a contribué efficacement à la réduction du coût des aliments et à l’amélioration de leur qualité sanitaire.
Mais l’expansion du système agroindustriel se heurte désormais à un certain nombre d’impasses aujourd’hui largement documentées. Du point de vue de la consommation alimentaire, plus de la moitié des habitants de la planète est en situation de malnutrition par carence (environ 1,5 milliard) ou excès (également 1,5 milliard), soit au total 40 % de la population mondiale actuelle, ce qui constitue un échec des plus alarmants et une lourde responsabilité pour les gouvernements et institutions internationales. Outre la sous-alimentation principalement présente dans les pays pauvres, il faut souligner le fardeau des maladies chroniques d’origine alimentaire (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers…) qui se répandent de façon très rapide dans la plupart des pays du monde. On est donc face à un enjeu de santé publique de grande ampleur. Une étude remarquable récemment publiée au Royaume-Uni montre que les coûts cachés de l’alimentation (non incorporés dans le prix et en partie couverts par les transferts fiscaux) sont équivalents à la dépense alimentaire des Britanniques ! La moitié de ces coûts cachés concernent les dépenses de santé qui découlent d’une mauvaise alimentation.