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Pierre-Marie DURAND (1861-1951)

Étude

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Date : 02/01/2007

Il est né en 1861 à l’Arbresle. Son grand-père était cultivateur à Bully et son père huissier à l’Arbresle au moment de son mariage et rentier lors de la naissance de Pierre-Marie. Ce fils de notable de province est élève dans les institutions catholiques de la région, puis fait son droit. A cette époque, le charbon est l’énergie domestique et industrielle dominante, mais l’électricité, découverte depuis peu, connaît une croissance de la demande, en partie liée à l’éclairage et aux transports urbains. Quant au pétrole, sa consommation ne connaîtra une hausse substantielle qu’après la Grande Guerre.

 

Un notable discret

Licencié en droit, il s’installe comme avoué à Lyon en 1891 et se marie en 1895 avec une fille de petits notables, mademoiselle Devillaine, dont il a deux enfants. Les vingt premières années de sa vie sont tellement peu connues que l’on ne sait pas exactement quand et pourquoi il se lance dans les affaires ! Son engagement dans l’industrie date de 1906 à la fondation de l’Entreprise industrielle, future société mère du groupe. Il apparaît, alors, à 45 ans comme un bourgeois lyonnais résidant place Bellecour et affichant à sa boutonnière la légion d’honneur qu’il a reçue l’année précédente. Professionnellement, il se déclare entrepreneur de travaux publics et exploitants de tramways à Perpignan, Brest, Cherbourg et Angoulême. Politiquement, ce n’est pas son mandat de maire de Bombon en Seine-et-Marne qui permet de le situer précisément sur le plan politique, domaine qui l’intéresse peu. Sa fortune est élevée, ses résidences nombreuses et son train de vie luxueux. A sa mort, il laisse à la ville de l’Arbresle une somme de 250 millions de francs, soit le tiers de sa fortune.

 

Un entrepreneur schumpétérien dans l’industrie électrique

L’Entreprise industrielle, spécialisée dans la production et la distribution d’électricité, est fondée en 1906 par Pierre-Marie Durand. Il se lance dans ce secteur bien structuré par des centaines de compagnies, en n’ayant au départ ni la compétence - il n’est pas ingénieur -, ni la totalité des capitaux nécessaires ; mais il est intuitif et sait prendre des risques. Possédant cependant 70% des 3 millions de francs du capital de l’Entreprise industrielle, il devient administrateur délégué, poste qu’il conserve jusqu’en 1945. Il implante au départ son
entreprise dans le Rhône, l’Isère et le Puy-de-Dôme. La stratégie dominante, mais pas exclusive, après quelques hésitations, est arrêtée au moment de la Grande guerre. Elle est de type horizontal, afin de pouvoir imposer les prix, via le système des concessions. Elle consiste donc à acheter des sociétés concurrentes et à reprendre des entreprises en difficulté. Désormais, il lui faut trouver des clients (sociétés de tramways, entreprises frigorifiques…) et les relier aux réseaux de distribution. Pour cela, il achète des sociétés de travaux publics et des scieries pour la fabrication de poteaux. En 40 ans, Pierre-Marie Durand a opéré plus de 50 fusions et s’est associé plus de 50 filiales en France, dans les colonies et à l’étranger (Roumanie, Espagne, Grèce et Turquie). Il faut souligner que si le siège de la société mère est à Paris, rue du faubourg Saint-Honoré, la région Rhône-Alpes devient sa zone de prédilection. Pour en contrôler la production et la distribution, il achète, à partir de 1928, toutes sortes de compagnies, en particulier la Compagnie du gaz de Lyon, puis la Société lyonnaise des Forces motrices du Rhône et enfin la Société générale de Force et Lumière.
Pierre-Marie Durand n’est pas un industriel au sens classique, car, par sa gestion pragmatique, il recherche la rentabilité financière maximale. Cependant, au moment où le groupe est définitivement constitué, en 1935, la croissance ne peut plus provenir que d’améliorations techniques ou financières. Les Durand ne sont plus des repreneurs, mais développent l’interconnexion en construisant, avec le soutien de l’Etat, des lignes à haute tension, mais aussi en augmentant leurs sites de production, pensant même construire un barrage à Tignes.
L’Entreprise industrielle est devenue un groupe à activités multiples où, si l’énergie occupe la première place, le bâtiment représente une part non négligeable du chiffre d’affaires. La seconde guerre mondiale n’interrompt pas son activité, mais l’oblige à repousser certains projets et à modifier la composition de conseils d’administration.

 

Une structure capitaliste familiale

L’Entreprise industrielle est bien une structure capitaliste familiale où, autour du fondateur, rayonne tout un réseau d’administrateurs familiaux. En effet,dès le début, il a associé à ses affaires son frère cadet Barthélémy, lui aussi exploitant de tramways, devenu maire d’Etampes et président du Conseil général de Seine-et-Oise. A la veille de la guerre de 1914, le cousin Emile Durand, polytechnicien, intègre le groupe et son fils, Roger, rejoint à son tour l’entreprise. Au début des années 1920, c’est au tour du fils et du gendre de Pierre-Marie, tous les deux ingénieurs, de faire leur entrée dans l’entreprise familiale. Dans les entreprises intégrées, plus d’une trentaine sur tout le territoire national, dans les colonies et à l’étranger, c’est la famille qui siège dans les conseils d’administration secondée par des administrateurs triés et recrutés dans les compagnies absorbées.
Il ne fonde pas un groupe géant, car il conserve une structure décentralisée, souple et répondant aux besoins locaux. De plus, il tient à conserver le pouvoir au sein de la société mère, donc à en garder le contrôle financier. Pour cela, ils achètent, lui et sa famille, au moins la moitié des actions à chaque augmentation de capital. Lors de ces opérations, les actionnaires sont faciles à trouver du fait de l’excellente rentabilité du groupe, environ 10 % dans l’entre-deux guerres, contre une moyenne de 5%. De plus, les cadres de l’entreprise sont fidélisés par des souscriptions avantageuses de titres de la société, sortes de stock-options avant la lettre. Son besoin de financement énorme, compte tenu des investissements, le fait recourir à des prêts bancaires, refusés par les banques françaises qui trouvent la comptabilité opaque, mais accordés par des banques américaines.
Pierre-Marie Durand est un entrepreneur en avance sur son temps, cas il a agi à la façon d’un raider de la fin du XXe siècle, réalisant des coups, prenant des risques, conservant le pouvoir. Industriel iconoclaste, il est peu apprécié par ses contemporains. En 1946, le groupe est nationalisé et constitue un apport fondamental pour EDF, car implanté dans trente-huit départements, aux colonies et à l’étranger, il alimente 6,3 millions de personnes dans 7000 communes et produit le sixième de l’électricité française. Depuis, l’Entreprise industrielle poursuit ses activités traditionnelles dans le bâtiment avec à sa tête les descendants de Pierre-Marie.

 

Bibliographie :
- Les travaux de Catherine Vuillermot, en particulier sa thèse soutenue en 1997 sur : D’une société à un groupe de production-distribution d’électricité : l’Energie industrielle (1906- 1945).