La stigmatisation, l’enfermement ou le communautarisme sont de vastes et complexes sujets. Il existe plusieurs facteurs d’enfermement. Il est vrai que les populations de Seine-Saint-Denis se déplacent peu. Certaines familles ne vont jamais à Paris alors que dix kilomètres nous séparent. Force est de constater que les transports en commun ne facilitent pas la mobilité car s’il est facile de se rendre à Paris en début de soirée, il est plus difficile d’en revenir en fin de soirée, après un spectacle ou un concert. Avec l’Orchestre nous devons organiser les déplacements pour que les familles puissent venir aux concerts à Paris. Mais l’enfermement ne tient pas qu’au problème des transports en commun.
Les politiques culturelles développées dans ces quartiers ont souvent été pensées en fonction de ce que l’on supposait susceptible d’intéresser les gens. Et, sans leur accorder le droit de décider pour eux mêmes, on a assisté à une focalisation quasiment exclusive sur les cultures urbaines. Or, à travers les actions que nous conduisons avec l’Orchestre Divertimento au sein du bel auditorium de l’École Municipale de Musique et de Danse de Stains, je rencontre de l’adhésion, certes plus ou moins forte, mais certaine. Les gens apprécient de passer de bons moments ensemble.
Ainsi, l’enfermement peut être le fruit de décisions politiques. Les médias participent également du processus d’enfermement. Nombre d’entre eux me font souvent remarquer ô combien il est génial de diffuser un enseignement de musique classique dans une ville comme Stains qui compte près de 60% de logements sociaux. Or, de mon point de vue, c’est juste tout à fait normal et légitime. La musique classique fait partie de notre culture, du patrimoine de la France et elle doit être enseignée sur l’ensemble du territoire français. Les médias me renvoient aussi régulièrement l’image de la jeune arabe de banlieue qui a réussi. Or, je suis d’abord une professionnelle, une chef d’orchestre qui dirige son orchestre et bien d’autres. Le périphérique est aussi dans les idées !
L’enferment vient enfin du regard des autres. Des personnes sont venues me remercier de leur avoir permis de faire de la musique car les gens les regardent autrement. Les idées reçues restent vivaces. J’ai beaucoup de difficultés à attirer à Stains un public parisien et ce malgré la qualité de nos équipements et alors que les spectacles ne sont pas différents de ceux que nous présentons à Paris. Parmi ce public, certaines personnes se déplacent aux quatre coins du monde, mais n’envisageraient en aucune façon de se rendre à Stains, pourtant à dix kilomètres seulement de Paris. Et certains font tout pour que rien ne change. Je pense notamment à ce journaliste qui a refusé de filmer un concert que nous donnions à Stains car l’auditorium était trop luxueux pour des gens d’ici. Il aurait préféré filmer des halls d’entrée d’immeuble dégradés !