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La dynamique d’innovation dans la métropole lyonnaise

Interview de Karine DOGNIN-SAUZE

Vice présidente du Grand Lyon en charge de l'innovation et des Nouvelles Technologies

<< Nous sommes prêts à nous engager dans cette dynamique d’innovation où c’est tout le territoire de la métropole qui innove et qui devient innovant, pas seulement quelques acteurs identifiés comme les entreprises ou les clusters >>.

Entretien avec Karine Dognin Sauze
Vice présidente du Grand Lyon en charge de l’innovation et des Nouvelles Technologies
Interview réalisée le 11 juin 2009 par Emile Hooge, Nova7

Date : 10/06/2009

Qu’est ce que c’est pour vous l’innovation, vue depuis votre fonction d’élu au Grand Lyon ?

Trop souvent l’innovation est associée à la création d’entreprise, avec le risque de restreindre cette notion dans un champ trop étroit. Un grand nombre d’entreprises nouvellement créées n’ont rien d’innovantes ; certaines seulement appuient leur création sur un concept, un produit ou un procédé résolument nouveau. L’innovation est également souvent  associée aux projets de Recherche et Développement conduits dans l’industrie ou en partenariat avec le monde académique.  Bien sûr que l’innovation c’est aussi cela, mais pas seulement. Je préfère aborder le concept d’innovation sous un angle un peu différent : l’innovation est ce qui fait changer nos pratiques et nos façons de vivre. D’ailleurs,  je lui préfère le terme « invention » qui véhicule plus fortement la rupture entre l’avant et l’après, ainsi que le processus qui consiste à valoriser et faire connaitre un nouveau procédé ou une nouvelle découverte. Ces grands hommes que sont les frères Lumières ou André-Marie Ampère, au-delà d’avoir été les géniteurs de nouvelles industries, ont avant tout bouleversé notre société par leurs travaux.  

La question de la qualification de l’innovation reste largement ouverte : l’innovation se suffit-elle en soi ou l’innovation n’existe-t-elle que lorsqu’un nouveau produit ou procédé a rencontré une demande ? Aujourd’hui, presque tout est innovation, du simple argument marketing à la grande invention.  

Il est communément acquis  que  l’innovation est une nécessité pour les entreprises et pour le bon développement de nos économies. Je pense que c’est aussi une nécessité pour nos collectivités. Notre monde est devenu complexe et ouvert, permettant de multiples interactions entre les territoires, les disciplines, les publics et les sujets.  Il est en mutation à grande vitesse et de façon très frappante les individus semblent vivre et intégrer ces changements plus rapidement que l’on ne le croit ou en tout cas que les collectivités n’en sont capables. Les modes de vie évoluent sous l’impulsion des innovations venant du monde économique. C’est au tour des collectivités de capter cette impulsion pour accompagner les évolutions voire devenir des acteurs « innovants » et participer activement à cette dynamique…

Plus que jamais, nous devons faire preuve de créativité et utiliser les nouvelles technologies existantes pour répondre aux enjeux complexes que sont le changement climatique, la cohésion sociale, le vieillissement de la population, etc.


Est-ce qu’à Lyon nous sommes réellement prêts à innover de cette manière et à nous inscrire pleinement dans ces mutations de la société ?

A priori, certains pays semblent culturellement plus enclins à se projeter dans ces changements. Ce sont des pays où l’acceptabilité sociale du progrès et de la modernité est plus forte. La manière dont les technologies numériques sont venues imprégner et reconfigurer la société japonaise en est un bon exemple. Les japonais ont cette capacité fascinante de relier leur passé au futur. Ils sont à la fois très enracinés dans leurs traditions et très prompts à se projeter dans l’avenir. Il me semble d’ailleurs que l’un ne peut aller sans l’autre …
En Europe, nous sommes très centrés sur notre présent et enfermés dans nos cultures et nos acquis bien que disposant d’un potentiel créatif exceptionnel du fait de notre diversité.  Ainsi, la France est un pays fait de contradictions : nous sommes soumis à  des rigidités fortes, surtout sur le plan institutionnel et administratif, et en même temps notre société génère les plus grands créatifs et chercheurs ! Les français sont souvent les premiers à s’emparer des dernières technologies et à se lancer dans la création d’entreprises innovantes.

De son côté, l’agglomération lyonnaise semble particulièrement bien tirer parti de cette contradiction : nous savons habilement ou instinctivement puiser dans notre histoire et notre patrimoine pour innover et envisager notre avenir.  Nous avons su faire germer une filière jeux vidéo sur le terreau fertile de notre histoire cinématographique ; nous avons projeté notre savoir-faire de l’industrie chimique dans la problématique des enjeux environnementaux permettant ainsi une mutation stratégique du pôle compétitivité Axelera. Les acteurs de notre territoire disposent d’un environnement porteur pour croiser leurs perspectives et savoir-faire. Cette convergence  entre différents domaines et différents milieux, ces  décloisonnements sont particulièrement favorables  à l’innovation.
Je crois, qu’ici plus qu’ailleurs, nous avons la faculté de mobiliser nos atouts locaux pour dessiner les filières qui s’avéreront stratégiques pour l’avenir dans une perspective internationale. Nous l’avons déjà démontré en structurant des filières comme les biotechnologies ou celle du  numérique. Nous poursuivons ce travail sur ce mandat avec des priorités stratégiques très claires que sont les sciences de la vie et les éco-technologies.

La proximité que nos collectivités locales nourrissent avec les citoyens de l’agglomération lyonnaise est sans aucun doute un élément déterminant dans cette capacité particulière que nous avons à innover. Un des facteurs clés de succès est de considérer enfin que les usagers et les habitants peuvent contribuer également au processus d’innovation de notre territoire.



Quel doit être le rôle du Grand Lyon pour favoriser cette dynamique d’innovation dans la métropole ?


D’abord, je crois que nous sommes prêts à nous engager dans cette dynamique d’innovation où c’est tout le territoire de la métropole qui innove et qui devient innovant, pas seulement quelques acteurs identifiés comme les entreprises ou les clusters.

La configuration de l’agglomération nous permet d’envisager une telle orientation.  Elle est suffisamment grande et attractive pour accueillir et révéler les talents, les savoirs et richesses nécessaires pour innover. Notre territoire est un terrain parfait pour l’expérimentation  de nouveaux usages, modes de vie et activités.

Si notre environnement local favorise cela assez naturellement du fait de sa taille qui favorise  les rencontres indispensables à l’innovation, la collectivité se doit d’accélérer ce processus en développant des espaces de rencontre et des plateformes collaboratives. Ces espaces doivent permettre les décloisonnements entre différentes disciplines et favoriser les interactions entre scientifiques, entrepreneurs et usagers. Ils doivent aussi permettre de relier des mondes différents : l’économie, la culture, le social. Il faut rechercher le foisonnement d’idées et revenir au processus même qui permet de générer l’innovation pour créer des compétences et des savoir-faire.

En résumé, le rôle d’une collectivité n’est pas nécessairement de faire l’innovation à la place de ses acteurs mais d’offrir un environnement propice à l’expression des talents et de laisser naître les projets innovants en favorisant l’interactivité entre les individualités.  C’est sans doute notre meilleur atout pour attirer de nouveaux talents internationaux  et valoriser nos talents locaux.

Par ailleurs, l’agglomération peut imaginer se présenter comme un espace urbain de nature innovante qui permettrait à ses habitants de mieux vivre ensemble en utilisant notamment les nouvelles technologies d’information et de communication pour relier les intelligences individuelles, capter toutes les créativités et inventivités et optimiser la gestion de ses ressources et de ses flux.  


Est-ce que vous avez des suggestions concrètes pour mettre en pratique cette nouvelle approche ?

Certaines entreprises ont déjà mis en pratique ces principes et impliquent leurs clients dans la conception de produits. Les collectivités pourraient faire de même et créer des laboratoires ouverts où les usagers s’investiraient pour faire changer leur ville.
L’entreprise innove sans cesse car les entrepreneurs ont intégré que c’était un élément de survie et de développement. Ce n’est pas encore le cas pour  la collectivité. Pourtant, les particuliers adoptent ces nouveaux comportements presque à la vitesse des mutations  de leur environnement, en temps réel. C’est un nouveau rythme, une ouverture sur le citoyen et un changement d’état d’esprit qu’il faut adopter !

On pourrait par exemple imaginer de changer la forme des réunions de concertation actuelles ou des conseils de quartiers pour s’assurer que les individus apportent leurs idées plutôt que de venir uniquement réclamer des solutions à leurs problèmes… Ces réunions deviendraient de véritables ateliers de créativité. Nous pourrions ainsi  faire bouger la relation entre les élus du Grand Lyon, les techniciens et les habitants/citoyens pour obtenir de la participation et de l’engagement.

Pourquoi ne pas  réinventer le concept de boîte à idée et le remettre au goût du jour, en s’appuyant par exemple sur des nouvelles technologies numériques qui permettraient à chacun de participer en temps réel à la construction de projets collectifs. Les gens expriment déjà spontanément beaucoup d’idées et font preuve de créativité mais il manque un catalyseur pour que ces talents se rencontrent et soient valorisés. Si la collectivité était capable de capter ces idées, de les organiser et les diffuser, nous aurions un potentiel d’innovation énorme.

Il serait aussi intéressant de s’inspirer du principe des pôles de compétitivité qui fonctionne excellemment pour stimuler l’innovation dans le monde de l’entreprise. Fondé sur la fertilisation croisée entre laboratoires de recherche, entreprises et territoires, il favorise le décloisonnement. Il s’appuie aussi sur une mobilisation de financements publics et privés pour concentrer des moyens sur des projets sélectionnés et réellement innovants. Si l’on applique ces principes à un travail d’innovation sur les modes de vie en ville, on pourrait de la même manière imaginer des dispositifs similaires de décloisonnement et de financements. Il faudrait inciter les chercheurs, les collectivités, les entreprises, les associations et les usagers à travailler ensemble sur ces sujets. Il faudrait aussi trouver de nouvelles modalités de financement des projets collaboratifs.

Finalement, je dirais que le Grand Lyon doit à la fois offrir un environnement favorable pour que les créativités individuelles puissent s’exprimer et accompagner cette force innovante de manière à ce qu’elle se transforme en projets concrets et se diffuse pour le bénéfice de tous.  
Nous avons à peu près tout, y compris l’audace, pour que notre agglomération en voie de métropolisation évolue vers le schéma d’une métropole innovante et intelligente, pour qu’elle devienne ainsi reconnue selon ces caractéristiques sur l’échiquier international. Cela permettrait de valoriser les talents de notre territoire mais aussi d’être un territoire attractif pour tous ceux qui cherchent à mettre en pratique des idées originales et innovantes. Et surtout, c’est la condition pour continuer à être un lieu où il fait bon vivre en maîtrisant les grands enjeux de notre temps.