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Qu’entendez-vous par « frontières sociales » ? Comment s’assurer qu’elles existent ?

question

Qu’entendez-vous par « frontières sociales » ? Comment s’assurer qu’elles existent ?

reponse

Le terme est revenu dans la bouche aussi bien des enseignants que des élèves. Le « flair ethnographique » peut consister à repérer des catégories qui reviennent chez des acteurs ayant des profils différents, et se dire qu’il y a peut-être quelque chose à creuser ! J'ai mis du temps à en faire un concept, même si ce terme est abondamment utilisé par la sociologie anglo-saxonne et l’anthropologie. Heureusement on dispose d'outils théoriques complémentaires, d'assises empiriques et d'approches méthodologiques sur le déplacement social qui sont fort utiles pour aller au-delà des métaphores faciles : je pense au beau travail de Dominique Memmi sur Jules Romains et « les déplacés », de Claude Fossé-Poliak sur les autodidactes, de Bernard Pudal sur les porte-parole communistes d'origine ouvrière, à l’enquête de Stéphane Beaud sur les jeunes de cités à la fac et celle de Michel Pialoux sur les décalages vécus par Christian Corouge, un ouvrier spécialisé pétri de culture et de syndicalisme qui à sa façon en dit beaucoup sur le fait d’être en permanence sur la frontière elle-même… Cela m’a permis de me saisir de certaines pistes pour retravailler la notion d’espace social à partir de celles de frontières et de passages.

Parler de frontières a aussi l’avantage de remettre en question le préjugé en arrière-plan du mot mobilité. Dans toute vie, on peut avoir des moments de mobilité et d'immobilité sociale. Et à un niveau plus macro-social, la reproduction de la structure implique une part de mobilité sociale. Tous les sociologues depuis Marx et Pareto l'ont montré : hormis les sociétés de castes  les plus rigides — et encore ! —, les frontières sociales ne sont jamais totalement étanches. Si les frontières sociales étaient étanches, elles deviendraient vite instables et inacceptables. Du coup, il y a des passages, dans les deux sens d'ailleurs, même s’ils sont faibles. Comme la possibilité du passage existe, des groupes se sentent menacés et d’autres sont perçus comme des menaces. D’où les polémiques récurrentes sur la « baisse du niveau », la « charité » et les « quotas » lorsqu’il est question non pas d’abolir, mais tout juste d’assouplir certains points de passage localisés des frontières sociales, par exemple en augmentant les taux d’accès des boursiers à tel ou tel segment de l’enseignement supérieur.

citation

Parler de frontières a aussi l’avantage de remettre en question le préjugé en arrière-plan du mot mobilité