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Comment peut-on expliquer ce phénomène de plus en plus répandu d’adhésion à des marques phares (de type Apple, Nespresso…) ? Qu’est ce qui justifie...

question

Comment peut-on expliquer ce phénomène de plus en plus répandu d’adhésion à des marques phares (de type Apple, Nespresso…) ? Qu’est ce qui justifie ce besoin de se reconnaître dans des marques ?

reponse

La marque s’inscrit incontestablement dans une dynamique, elle est vivante. Une marque ne se réduit pas à un logo mais génère une relation. Avec le capitalisme, la nature de la relation qui était essentiellement utilitaire et transactionnelle s’est esthétisée. On a petit à petit fait monter en puissance des attributs esthétiques dans le choix des marchandises qui ont déporté le regard de l’utilité vers des fonctions davantage émotionnelles. À cette esthétisation de la marchandise s’est ajoutée une logique de personnalisation des marques. Alors que la marque a longtemps été pensé comme une empreinte mentale censée lier un objet marchand à un imaginaire, la marque a été progressivement pensée comme un partenaire à partir des années 2000. C’est pourquoi l’on projette sans difficulté des attributs humains comme l’identité, la personnalité, le charisme, etc., sur les marques.
Cette anthropomorphisation des marques explique aussi en partie la dimension communautaire que certaines marques sont capables de catalyser. Certaines marques suscitent en effet de la part de leurs clients des logiques de fidélisation exclusive et d’attachement qui mettent en évidence l’existence d’une véritable communauté (réelle ou virtuelle) liée à la marque. Il me semble que les communautés de clients générées par des marques font en partie écho au phénomène d’émergence de la figure de l’amateur : celui qui aime et qui aime partager. En effet, ces communautés résultent d’une reconfiguration de clients autour d’une marque sur la base de l’amour de la marque et de la connaissance fine du produit. Elles s’inscrivent souvent dans un contexte croissant d’économie circulaire et participative, où l’amateur contribue aussi à l’expansion et la notoriété de la marque. L’amateur est celui qui est doté d’une expertise et qui va essayer d’accroître le cercle d’influence et d’acheteurs de marque auprès de personnes avec lesquels il partage un ethos et une connaissance de l’univers en question. C’est une nouvelle forme d’amicalité qui prend racine dans les salons parisiens du XVIIIe siècle alors que se déploie la figure éclairée de l’amateur d’art.
Par ailleurs, notre rapport aux marques est de nature addictologique dans la mesure où la marque renvoie à ce que les grecs appelaient le « pharmakon », c'est-à-dire ce qui est à la fois le poison et le remède. C’est le poison, parce que la marque, et ce qu’elle représente, instille un problème et le dramatise autant qu’elle devient le remède en le résolvant. La notion de pharmakon permet de comprendre cette pulsion vers la marchandise qui est le moteur même du capitalisme. Cette addictologie repose sur une logique de décommodification. Rappelons en effet que la fonction d’une marque est de « décomodifier » une marchandise, c'est-à-dire de faire porter le regard sur d’autres aspects que celui de la commodité afin de créer et de capturer de la valeur économique. Ainsi, les marques désutilisarisent les biens et les marchandises en leur donnant du sens à travers des récits et des codes. Autrement dit, un individu n’achète presque jamais un produits mais des codes et des récits qui lui sont associés via la marque. Il faut pour ce faire que la marque dramatise un non-événement et qu’elle produise du récit.
La marque n’existe donc pas simplement à travers des codes mais aussi à travers une narration. La marque est essentiellement une puissance narrative. Pour le dire autrement, les grandes marques racontent des grandes histoires. Par exemple, Burberry s’est repositionné avec un récit autour de la britannicité. Avant, Burberry vendait des imperméables. Aujourd’hui, elle est devenue une marque de « lifestyle » : elle emblématise toutes les facettes et les contradictions de la britannicité.

citation

Une marque ne se réduit pas à un logo mais génère une relation.