Partagez-vous le point de vue de Jean-Loup Amselle qui affirme que le multiculturalisme a échoué en France ?
question
reponse
La vision que porte Jean Loup Amselle sur le multiculturalisme est tout à fait intéressante, cependant il me semble qu’elle ne prend pas en compte deux facteurs qui sont d’importance, celui de la construction européenne et celui de la mondialisation. La construction européenne induit un profond changement dans le sens où ce n’est plus à l’échelle des pays que se décident les politiques mais au niveau européen et cette construction ne peut nier ou effacer les histoires et la diversité des différents pays qui la composent. La diversité culturelle des différents pays ne peut pas être sans incidence sur l’entité européenne mais aussi sur la diversité de chacun des pays. La charte sur les langues et cultures régionales qui fait obligation à tous les États de prendre en compte la diversité des régions, des cantons, des länder, est un exemple éloquent.
La mondialisation est un autre facteur qui modifie les rapports entre les différentes cultures. Ce qui se passe à l’autre bout du monde a une répercussion à l’échelle de l’Europe, des pays, des villes, des quartiers, et jusqu’à dans les foyers. « L’autre » dont on était séparé par l’espace, est désormais présent chez « nous ». Les frontières ont disparu. Des cultures longtemps géographiquement éloignées sont aujourd’hui tenues de cohabiter dans les mêmes espaces. La France a cédé au multiculturalisme, mais avait-elle le choix ? C’est une évolution qui s’impose à toutes les sociétés. De fait, nos recettes de gestion de la diversité ne peuvent plus fonctionner aujourd’hui. Les modèles pensés il y a un siècle en France, aux Etats-Unis, au Canada ou ailleurs sont en crise. La Belgique est au bord de l’éclatement du fait de la difficulté à renouveler son mode de gestion de la diversité. Et, il ne faut pas se voiler la face sur la réalité de notre modèle universel : l’Alsace et la Lorraine, mais aussi les Départements et les territoires d’Outre Mer, Mayotte, La Réunion, La Guadeloupe, etc., sont autant d’exceptions. Notre modèle universel républicain est comme un morceau de gruyère rempli de trous d’exception ! A l’intérieur même de la métropole, le traitement n’est pas le même pour les juifs, les protestants, les Corses ou les Bretons. En y regardant de près, on se rend compte que le modèle républicain a toujours composé, bon gré malgré, avec les pesanteurs de l’histoire, des traditions et des particularismes. Robespierre a bien essayé de promouvoir par la force son modèle universel, mais il a fini sur l’échafaud !
Dans l’agglomération lyonnaise, une gestion politique communautariste est également bien réelle sans que ce soit clairement dit ; et ce n’est pas un fait nouveau. Souvenons- nous, par exemple, comment Charles Hernu, lorsqu’il composait ses listes électorales, veillait à la présence d’arméniens, de juifs, de musulmans, etc. A Lyon, les partis qui ont réussi à diriger la ville ont été obligés de composer avec le poids électoral des catholiques. Par ailleurs, Jean Loup Amselle semble faire du multiculturalisme une cause qui explique l’évolution et l’échec des politiques d’intégration. Or, l’option multiculturaliste n’est que la conséquence d’autres facteurs. C’est un multiculturalisme par défaut, et c’est pour cela qu’il est officieux. En 1946, les travaux du Conseil National de la Résistance, les décisions prises sous la direction de Charles de Gaulle, ont mis le lien social au cœur des préoccupations de la « République démocratique, sociale, laïque, une et indivisible » : Assurances, sécurité sociale universelles, droit sociaux et économiques, services publics, etc. étaient les moyens par lesquels la République assurait l’intégration et la cohésion sociale. C’est le désengagement social de l’État sous la pression du libéralisme, voire de l’ultra libéralisme, qui commande les processus de mondialisation comme la construction européenne. Cet abandon du social est à l’origine des replis sur les solidarités de proximités (de la famille, du terroir, de la communauté ethnique, religieuse, etc.). Les identités sociales de classes ou de catégories socioprofessionnelles, on fait place aux identités d’appartenances héritées. La place qu’occupaient le Parti Communiste et les syndicats est aujourd’hui prise par le Front National et les organisations communautaristes. Les revendications sont moins formulées en termes sociaux que sur des bases ethniques ou religieuses.